L’univers concentrationnaire de Kodengui résume assez le peu de valeur que le régime dictatorial de Paul Biya accorde à la vie de celles et ceux qui pourraient à tout moment basculer dans l’arbitraire judiciaire au Cameroun.
Ce sont souvent des personnes en détention provisoire dont certains y séjournent dans l’oubli pendant d’interminables années, auxquels le régime a désormais ajouté une poignée de ses anciens dignitaires tombés en disgrâce, qui sont en réalité des prisonniers politiques présentés par la propagande locale comme des “prévaricateurs de la fortune publique” dans un pays où la corruption endémique et institutionnalisée est un sport national, à l’image du football.
Voilà
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
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A la prison de Yaoundé, les chanceux dorment assis, les autres debout
Plongée dans des prisons d’Afrique (7/7). Dans la prison centrale de la capitale du Cameroun, 4000 détenus s’entassent dans un lieu prévu pour en abriter quatre fois moins.
J. C, Camerounais de 33 ans, ancien pensionnaire de la prison Centrale d’Ebolowa, capitale régionale du Sud Cameroun, est libéré en juin 2016 après trois mois de détention. Il y purgeait sa seconde peine après un premier séjour d’un an à la prison centrale de Yaoundé, communément appelée Kondengui.
Ses mots sur la prison centrale de Yaoundé soulignent autant son caractère « surpeuplé » que la violence qui y règne.
« Une fois que tu descends à Kondengui (…) Tu entres d’abord en cellule de passage. Dans cette petite cellule, vous êtes 100 ou 150, même 200 parfois. Si vous êtes trop peu c’est 50 ou 80. On est trop trop trop serrés. Tu as des gens qui dorment debout, d’autres assis. On est serré-serré. L’air que tu respires n’est pas comme l’air du dehors. Il y a des gens partout. Tu n’as pas un endroit où poser le pied (tu n’as pas d’espace à toi). Dans les quartiers si tu veux avoir où dormir, tu payes 3 000 Francs CFA au maire et à son équipe. Tu as l’adjoint aussi, et le commissaire. Eux c’est des anciens qui sont là depuis 10 ou 20 ans. Sinon tu vas dormir debout parfois dans la cour… et tu vas faire la corvée. Tu vas laver les toilettes, les cacas, les pipis et tout et tout. »
J. C évoque en rafale la surpopulation et l’insécurité : « Si quelqu’un te bouscule, excuse-toi vite sinon ça peut mal finir… les gens se poignardent pour rien là-bas ». Sans omettre d’évoquer le dénuement et la désolation : « il y a des gens avec des habits sales, d’autres ont des habits déchirés ; on dirait des fous ».
Lire l’épisode 2 : A la prison centrale de Yaoundé, être gardien d’un « volcan qui dort »
A Kondengui, 4000 détenus pour 1000 places
Ces paroles rejoignent celles de différents acteurs extérieurs qui interviennent dans les prisons camerounaises (ONG, organisation de droits de l’homme, organisations de santé des détenus, organismes internationaux…). Ils disent l’indigence des détenus dans un lieu qui abrite à ce jour environ 4 000 personnes, dans des locaux prévus pour en abriter quatre fois moins.
Pour J.C, cette prison devrait être reconstruite. Il y a trop « de gens qui ont le sang à l’œil », une expression qui au Cameroun rend compte de la méchanceté, du cynisme voir d’une totale insensibilité. Ces gens doivent rester en prison, dit-il, car « si Kondengui était fermée », tout ce monde reviendrait persécuter le reste de la population. Jugement sévère de ses anciens codétenus, qui lève un pan de voile sur le regard et la perception qu’une partie de la société a des prisonniers, ainsi qu’une construction de la dangerosité de cet univers à laquelle participent des récits comme celui de J.C. Les détenus mériteraient d’être, pour reprendre une expression de l’anthropologue français Didier Fassin, « à l’ombre du monde ».
Pour autant, J.C évoque également son expérience carcérale à Ebolowa, capitale régionale du Sud, située à 150 kilomètres de Yaoundé. Quand il en parle, J.C devient moins acrimonieux sur son jugement de l’institution carcérale.
« Il y a Kondengui et il y a les autres prisons. Même parmi nous les anciens du ngata [expression signifiant prison], on sait que ce n’est pas la même chose. Quand tu as “work le ngata” [fais de la prison], ceux qui ont fait New-Bell [prison centrale de Douala], et Kondengui, et sont passés ailleurs vont te dire que les autres prisons du kuo [pays], ne sont rien à côté. D’abord, à Ebolowa, c’est une petite prison, vous êtes même 250 comme ça. C’est pas vide, mais vraiment c’est rien. Y’a pas beaucoup de gens. Tu respires un peu. Y’a pas beaucoup de quartiers, et si tu te comportes bien tu peux sortir faire ta corvée dehors. Vraiment ce n’est pas la même chose ».
« Goûter à l’air de dehors »
Pour l’ancien détenu, il y a au moins deux types de prisons au Cameroun. D’une part, Kondengui, assez proche de la prison centrale de Douala-New-Bell, deux espaces décrits comme des lieux d’inhumanité où règnent violence, trafics et misère ; d’autre part, les « petites prisons », en régions et en zones rurales, dont personne ne parle et où les prisonniers bénéficieraient de conditions plus humaines, moins dégradantes. Il importe de reconnaître que les petites prisons, si elles paraissent moins violentes, peuvent également être difficiles pour les détenus sans soutien extérieur ou ne sortant pas. L’économie informelle y est moins développée et les opportunités moins importantes.
Cette division est liée non seulement à la différence des effectifs, mais également à la diversité des registres d’enfermement. D’un côté les prisons des grandes villes, avec un mode d’emprisonnement « strict » (même s’il existe des cas de sorties pour corvée) ; de celui des « petites prisons », avec des modalités de gestion plus souples et plus ouvertes sur le dehors, certains détenus allant hors les murs pour effectuer des travaux d’intérêt publics, et ainsi « goûter à l’air de dehors ».
Une telle dichotomie des prisons camerounaises rejoint une observation générale en Afrique. L’image de prisons surpeuplées reflète uniquement la réalité des capitales politiques et économiques du continent. Ces prisons de grandes villes abritent en moyenne la moitié de la population carcérale nationale, comme par exemple à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Au Cameroun, c’est le tiers, avec les prisons de Yaoundé, Kondengui, et celle de Douala, New-Bell.
Lire l’épisode 5 : A la prison d’Abidjan, le parcours tortueux de Yacou le Chinois
En Afrique, un taux d’incarcération parmi les plus bas au monde
La prison centrale d’Ebolowa abrite en moyenne 350 détenus (prévenus et condamnés) répartis en trois quartiers légèrement séparés : les hommes, les femmes et les mineurs. Même si l’établissement est prévu pour accueillir environ 200 personnes, son taux de surpopulation est largement inférieur à celui de la prison centrale de Yaoundé ou celui de la prison de centrale de Douala (4 500 détenus environ à l’année pour 1 000 places).
L’image des prisons des grandes villes africaines laisse souvent penser qu’en Afrique on emprisonne plus que partout ailleurs dans le monde. Or, le continent compte a contrario, parmi les taux d’incarcération les plus bas au monde.
L’Afrique se situe à l’avant-dernière place avec 94 détenus pour 100 000 habitants, le dernier rang étant occupé par l’Asie, 92/100 000, quand les Amériques atteignent un taux moyen de 387/100 000, et l’Europe 192/100 000.
Le Cameroun se situe un peu au dessus de la moyenne africaine, à 115 détenus pour 100 000 habitants quand des pays comme le Burkina Faso comptent seulement 34 ou encore 16 pour la République Centrafricaine. A contrario, les îles Seychelles présente un des forts taux d’emprisonnement au monde, même devant les Etats-Unis, avec respectivement 799 et 698 détenus pour 100 000 habitants. L’Afrique du Sud et le Swaziland totalisent les plus forts taux en Afrique (hors Seychelles donc) comptent respectivement, 292/100 000 et 289/100 000.
Ces chiffres mériteraient certes une analyse plus approfondie, mais ils obligent à tordre le cou à plusieurs clichés et fausses idées sur les prisons africaines. Car, la surmédiatisation des prisons des capitales, en fait aussi des bénéficiaires prioritaires de réformes, d’interventions des ONG et des acteurs extérieurs, concourant à négliger les « petites prisons », qui ont aussi leur lot de problèmes.
Par Patrick Awondo, enseignant et chercheur à l’université de Yaoundé et à l’Ecole normale supérieure de Lyon.