Le régime de Yaoundé a-t-il seulement conscience du message qu’il envoie aux investisseurs institutionnels?
Celui d’un des rares pays où sur “un coup de tête” le despote et ses principaux soutiens peuvent décider d’infliger une “punition collective” à toute une minorité anglophone, en lui privant de toute connexion internet pendant des semaines et des mois.
Y a-t-il encore au sein de ce pouvoir déclinant et obscurantiste des personnes dotées de ce minimum de bon sens et à même de ramener Paul Biya à la raison, au sens l’intérêt général?
Il m’arrive parfois d’en douter sérieusement.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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Cameroon clamps down on the internet, and anglophones
A bust-up over language has exposed new tools of repression
THE images beaming from the screens of Cameroon’s state television channel, CRTV, show a country riding on a wave of glory. In February the national football team, “The Indomitable Lions”, beat Egypt to win the Africa Cup of Nations trophy for the first time in 15 years. In January a Cameroonian teenager became the first ever African winner of the Google coding challenge, an international programming competition.
But turn away from the goggle box and the country is troubled. When the footballing trophy was brought to Bamenda, Cameroon’s third-biggest city, placard-carrying protesters joined the crowds of onlookers. And for almost two months the country’s young Google prodigy, along with hundreds of thousands of others, has been unable to surf the web because the government has shut it down in two English-speaking regions (see map). The plug was pulled as part of a clampdown on Anglophone activists in which more than a hundred people have been arrested and pressure groups have been outlawed. At least six people have been killed and scores more injured since December by policemen and soldiers who have opened fire on demonstrators.
The protests initially began as a series of strikes by the country’s English-speaking lawyers, who took to the streets in their wigs and gowns in October 2016 demanding English translations of the country’s key legal texts and better treatment by the authorities. Since then many others have joined in, including teachers. The conflict between the government and the Anglophone minority is escalating.
The roots of Cameroon’s linguistic rift date back to 1919, when Britain and France divided the country between them, having taken it from Germany after the first world war. After both parts gained their independence in 1960 and 1961, they reunited to form a bilingual, federal republic. But English speakers, who are less than fifth of the population, feel hard done by. They say that their regions get less than their share of public money and that it is too hard to interact with the state in English.
President Paul Biya, who has been in power since 1982, is sub-Saharan Africa’s second-oldest ruler, after Robert Mugabe of Zimbabwe. Yet despite his age, he has mastered social media, in the sense of figuring out how to silence digital dissent. After young Arabs used smartphones to organise the uprisings of the Arab Spring, despots everywhere grew nervous. But then they found the off-switch. Last year 11 African governments, including Zimbabwe and the inaptly named Democratic Republic of Congo, interfered with the internet during elections or protests.
The government cut off the internet to a part of the country known for its technology start-ups, which probably hasn’t done much for economic growth. Before the crackdown internet usage in Cameroon had been soaring, with penetration rising to 18% in 2016, from 4.3% in 2010. Phones are also ubiquitous, which may be why the communications ministry has been sending text messages, sometimes several times a day, warning of prison sentences of up to 20 years for anyone “found guilty of slander or propagating false declarations on social media”.
Journalists have been arrested and a popular radio station has been taken off the air. Although the conflict in Cameroon has mainly affected the English-speaking minority, the government’s heavy-handedness suggests that worse may lie ahead. Next year the country’s 84-year-old leader is expected to run for a seventh term. With no clear successor or challenger in sight, Mr Biya probably has no need to ratchet up repression. But meddling with the internet can be addictive, like the internet itself.
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Au Cameroun, un petit génie du code primé par Google et privé d’Internet par Yaoundé
Collins Nji est le premier Africain lauréat du concours Google Code. Mais la crise perdure, et avec elle la coupure du réseau et la fermeture des écoles.
Les yeux rivés sur l’écran d’un ordinateur portable posé sur ses genoux, les doigts volant sur les touches du clavier, Collins Nji Gbah code. Durant de longues minutes, le jeune garçon au visage encore poupin ignore le monde extérieur. Seul Wisdom ose s’approcher de lui et parvient à le distraire. Ils se comprennent. Les deux jeunes Camerounais désignent les lettres et les chiffres qui s’accumulent sur l’écran et éclatent de rire. Wisdom est le mentor de Collins Nji Gbah, tout juste 18 ans et, depuis le 30 janvier 2017, premier Africain lauréat du concours Google Code.
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« Je suis tellement heureux ! J’ai connu Collins à ses débuts. Il aime coder. Il a une motivation d’enfer, jubile le responsable du Google Developpers Group Bambili de Bamenda, venu rendre visite à son “champion”. C’est une très grande fierté pour moi. Son intérêt pour le code était exceptionnel. Je n’avais jamais vu un jeune garçon de son âge si passionné. »
Dessins animés et graphisme
Wisdom Nji – sans lien de parenté avec Collins –, jeune homme de 21 ans à la mine réjouie, a développé le « talent codeur » de Collins. C’est lui qui lui a appris à « ordonner, approfondir et appliquer » ses connaissances pour mieux programmer. La rencontre s’est faite grâce à Tracy, la sœur aînée de Collins et camarade de classe de Wisdom. Elle aidait avec des rudiments d’informatique son petit frère qui passait des « heures et des heures » sur l’ordinateur paternel : soir, week-ends et vacances. Au début, Collins se passionne pour la programmation de dessins animés et de graphisme. Mais la sœur sera vite dépassée. Elle arrange un rendez-vous avec Wisdom. Le coup de foudre amical est immédiat.
« J’ai commencé à lui enseigner la meilleure manière de pratiquer le code, parce qu’il savait déjà coder. Parfois, il me disait “je veux faire telle chose” et je lui donnais tel conseil, ou lui montrais telle voie », se souvient Wisdom. En 2015, un an après leur rencontre, Wisdom et d’autres membres du réseau Google Developpers Group sillonnent des écoles de Bamenda, dans le Nord-Ouest, l’une des deux régions anglophones du Cameroun, pour encourager les élèves de 13 à 17 ans à participer au concours du géant américain.
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« Il est passé au lycée bilingue de Bamenda où je suis inscrit. J’ai décidé de participer, dit Collins Nji, aujourd’hui en classe de terminale de ce lycée désormais fermé en raison de la crise qui secoue la partie anglophone du Cameroun depuis trois mois. Lors des résultats 2015, j’étais parmi les finalistes. J’ai refait le concours en 2016 et je suis parmi les gagnants. Je suis très content ! »
Débuts sur le vieil ordinateur Lenovo B515 de papa
Plus de 1 300 jeunes candidats de 62 pays à travers le monde ont pris part à cette compétition. Au final, 34 gagnants ont été récompensés lors de la publication des résultats le 30 janvier. Près d’un mois et demi après son sacre, Collins Nji n’y croit toujours pas. Son père, couturier, « opposé » au début à la passion de son fils qu’il trouvait « étrange », ne regrette plus de lui avoir finalement cédé son vieux portable Lenovo B515 que lui avait envoyé un ami installé aux Etats-Unis afin qu’il puisse télécharger des modèles de vêtements.
« C’est vrai qu’au début, je pensais que cet amour qu’avait mon fils pour l’ordinateur n’était pas sain. Je ne comprenais pas ce qu’il faisait », lâche Patrick Nji, 54 ans, assis derrière sa machine à coudre dans son atelier en plein centre de Bamenda. Lorsque, en 2015, parce qu’il a été finaliste, Collins reçoit des gadgets estampillés Google, Patrick trouve ces cadeaux dérisoires et préfère que son fils se consacre à nouveau à ses études.
« Collins passait trop de temps sur son ordinateur. Il se réveillait tard le matin. Cela retardait son départ pour l’école. Alors je me suis rangée aux côtés de mon mari, avoue Eleanor Nji, la mère du lauréat. Mais Collins en a été si malheureux que j’ai fini par convaincre son père de lui permettre de travailler à nouveau sur l’ordinateur. » Près d’elle, Jonathan Ngeh hoche la tête. L’oncle de Collins, qui a fait des études aux Etats-Unis, ne comprend rien au code informatique. C’est pourtant lui qui, vaincu par la détermination du garçon, lui a donné de l’argent pour acheter sans cesse du crédit Internet.
Pas d’école, pas de Google
Mais l’oncle Jonathan n’est pas le seul financement de Collins. « Je peignais aussi beaucoup, raconte le jeune homme. Avec l’argent de la vente de mes tableaux, je payais une partie de ma connexion. Mes parents, mon oncle et mon mentor m’ont donné le reste et surtout des conseils pour le concours 2016. »
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Durant les sept semaines que dure l’épreuve, Collins produit vingt travaux de codage et termine le 16 janvier, la veille de la coupure d’Internet dans les régions anglophones. Cette mesure de rétorsion du gouvernement sanctionne les manifestations des Camerounais anglophones qui estiment leurs droits bafoués par la capitale, ainsi que la grève des enseignants. La coupure d’Internet est toujours en vigueur et a causé des dégâts considérables aux deux régions concernées, bloquant notamment tous les transferts d’argent.
« Pour voir les résultats du concours et vérifier mes mails, j’ai dû faire des allers-retours à Mbouda [50 km au sud, à une heure et demie de route] pour me connecter », soupire-t-il. Plus grave : depuis la fin du mois de novembre 2016, les écoles sont fermées. Collins comme de nombreux élèves anglophones, se demande comment il va réussir à passer son baccalauréat, étape indispensable s’il veut un jour travailler à la Sillicon Valley, en Californie.
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En juin, il effectuera un voyage de quatre jours à San Franscisco avec les autres lauréats du concours. Collins Nji Gbah espère y rencontrer ses idoles de Mountain View, le siège de Google, et aussi Mark Zuckeberg, le patron de Facebook. « Il faut que l’école recommence pour que je puisse mieux préparer mon baccalauréat », lâche-t-il, levant enfin les yeux de l’écran de son ordinateur.
En attendant, école ou pas, Collins est devenu la star de Bamenda. A la gare routière, à quelques centaines de mètres de là, Jordan, 14 ans, en classe de 3e, et son frère William, 12 ans, veulent tous deux « vraiment devenir comme Collins ». Depuis que les cours ont cessé pour cause de grève, les deux frères donnent un coup de main à leur mère, qui tient une échoppe. « On a vu Collins à la CRTV [télévision d’Etat]. Il a gagné un grand prix en Amérique. Il est dans le même lycée que moi ! s’exclame Jordan. Il ira chez Barack Obama. Je veux aussi apprendre l’informatique. » Avant, il lui faudra retourner à l’école. Ce que ses parents, comme de nombreux autres, refusent tant que les leaders, militants et journalistes anglophones incarcérés par le gouvernement du président Paul Biya ne sont pas relâchés.
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