Rarement un prisonnier aura autant occupé l’espace politique médiatique. Le Camerounais Marafa Hamidou Yaya, ancien secrétaire général de la présidence et proche collaborateur de Paul Biya, détenu depuis six ans, entend bien peser sur les prochaines échéances électorales.
Il s’exprime sur tout. L’organisation de la Coupe d’Afrique des nations 2019 ? « Voulons-nous, pouvons-nous, nous permettre cette dépense, cet investissement sans lendemain, qui profitera majoritairement à des entreprises étrangères et qui, puisque nous sollicitons l’aide de la Chine pour l’assumer, creusera notre endettement ? Non. »
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La catastrophe ferroviaire d’Eseka, le 21 octobre 2016 ? « Le drame a déclenché une onde de choc chez nos concitoyens. Ceux qui restent sourds à cette déflagration ont perdu tout contact avec le peuple. » La crise anglophone ? « Deux identités camerounaises distinctes coexistent aujourd’hui, et les anglophones éprouvent à raison le sentiment d’être marginalisés, d’être des citoyens d’un rang inférieur à celui des francophones. »
Marafa Hamidou Yaya, détenu dans une cellule du secrétariat d’État à la Défense (SED) depuis le 16 avril 2012, purge une peine de vingt ans de réclusion pour « complicité intellectuelle de détournement d’argent public« . Mais l’exiguïté de sa cellule de trois mètres sur quatre n’est pas parvenue à rendre inaudible l’ancien conseiller spécial, secrétaire général de la présidence puis ministre de l’Administration Territoriale.
« À l’approche des échéances électorales de 2018, que diriez-vous si je me taisais ? »
Jeudi 18 janvier, il s’est une nouvelle fois adressé aux Camerounais via une lettre ouverte puis un enregistrement sonore. « Lors des élections présidentielles, législatives et municipales, vous serez le pilote qui peut, soit laisser aller le navire à sa dérive actuelle, soit au contraire l’en sortir pour le diriger sur le bon cap », écrit ainsi l’ancien proche collaborateur de Paul Biya. « À l’approche des échéances électorales de 2018, que diriez-vous si je me taisais ? », poursuit-il.
Beaucoup ne s’enquièrent désormais de ses nouvelles que du bout des lèvres et à l’abri des oreilles indiscrètes
De fait, on ne peut guère accuser Marafa de s’être tu, tout au long de ses six années de détention, agaçant prodigieusement le palais d’Etoudi. À intervalles irréguliers, il a multiplié lettres ouvertes et interviews, y compris à Jeune Afrique, comptant sur ses discrets soutiens à l’extérieur. Il a notamment un temps fait passer des messages par l’intermédiaire d’Hamadou Sali, député de Bogo. Mais celui-ci affirme aujourd’hui avoir coupé les ponts. Comme lui, beaucoup ne s’enquièrent désormais de ses nouvelles que du bout des lèvres et à l’abri des oreilles indiscrètes.
Beaucoup ont en réalité été échaudés par le sort d’Abdoulaye Harissou. Ancien notaire et ami d’enfance de Marafa, celui-ci avait été accusé en 2014 « d’outrages au président de la République, d’hostilité contre la patrie, de complicité d’assassinat et de détention et port illégal d’armes et de munitions de guerre ». Il clamait, depuis, son innocence, estimant que ses liens avec l’ancien ministre étaient la véritable raison de son emprisonnement, qui a pris fin en novembre dernier après trois ans de détention.
« On peut emprisonner le corps, mais pas l’esprit »
Mais l’encombrant prisonnier, défendu par Me Alice Nkom, continue de s’appuyer, malgré de régulières fouilles de sa cellule, sur des réseaux qu’il entretient tant bien que mal dans les milieux industriels et diplomatiques.
Ses soutiens réclament sa libération depuis la France, avec le Comité de libération des prisonniers politiques et le Cercle des amis de Marafa, mais aussi depuis la Belgique, avec la Plateforme Action solidaire pour Marafa (dont le président Fabrice Njayou a notamment interpellé François Hollande en 2016), ou encore depuis les États-Unis (dont le département d’État l’a reconnu comme prisonnier politique), avec le collectif Marafa Watch et le Comité des amis de Marafa.
Il continue à réfléchir, malgré les obstacles
Toujours membre du bureau politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), dont il n’a jamais démissionné, il a même publié un livre, en 2014, intitulé Le choix de l’action, grâce aux Éditions du Schabel.
Dirigées par Haman Mana, ancien journaliste de Mutations et directeur de publication du quotidien Le Jour, celles-ci se sont d’ailleurs fait une spécialité de la publication de ce genre d’ouvrage puisque Marafa y côtoie Urbain Olanguena Awono, ancien ministre de la Santé publique détenu depuis 2008, ou Titus Edzoa, ex-secrétaire général de la présidence, libéré en 2014 après 17 ans de prison.
Faire de 2018 une année utile pour le Cameroun
« On peut emprisonner le corps, mais pas l’esprit », explique Haman Mana. « Il continue à réfléchir, malgré les obstacles », confie-t-il encore. Les services de sécurité sont pourtant particulièrement à l’affût. « Mes droits de visite sont extrêmement limités et des brouilleurs ont été installés pour me priver de toute communication », déplorait Marafa Hamidou Yaya à Jeune Afrique en avril 2017.
Relecteur « méticuleux » sur « le fond et la forme », selon un de ses correspondants, il a pourtant trouvé le moyen de continuer à alimenter la littérature politico-carcérale. Il entend désormais « faire de 2018 une année utile ». « Pour le Cameroun », explique-t-il dans son dernier message aux Camerounais. Mais aussi pour lui.