Comme je l’ai écrit en réaction à la proposition d’un « Grand MRC » de Me Christian Bomo Ntimbane, le parti socialiste français d’Epinay (qu’il a pris en exemple) est parvenu à installer la culture de l’alternance en France, d’abord parce qu’il a su constituer une base idéologique puis imprimer en son sein malgré les différents courants une véritable culture partagée du refus de la compromission avec les conservateurs et autres réactionnaires de tous bords.
Je peine objectivement à dénicher cette ligne dans la grande coalition du changement que propose Me Ntimbane à travers la constitution souhaitée d’un « Grand MRC ».
La lecture de la trajectoire socialiste indique précisément au MRC de rester inflexible sur son socle idéologique et programmatique, puis de s’élargir uniquement avec celles et ceux qui adhèrent au moins à l’esprit progressiste qui s’en dégage. En effet sous une dictature crasse comme celle du Cameroun, l’objectif ne doit pas uniquement consister de changer le pouvoir en place, mais d’imprimer une véritable culture démocratique faite d’abnégation et de cohérence dès l’opposition, une opposition frontale parfaitement assumée voire revendiquée, afin de ne pas se retrouver avec des cadres et militants versatiles et intermittents qui retournent sans scrupule leurs vestes et iraient se vendre au plus offrant à la première défaite électorale ou lors d’un « passage du désert ».
Le Parti socialiste malgré les défaites électorales essuyées après Epinay, dont celle de la présidentielle de 1974, a su garder le Cap idéologique et sa cohésion d’ensemble avec des cadres de qualité comme Laurent Fabius, Michel Rocard, Jacques Attali, Jean Pierre Chevènement, Lionel Jospin, Jacques Delors, et autre Pierre Joxe… exerçant diverses activités et professions notamment dans la haute administration et le secteur privé, mais jamais tentés de quitter le navire au motif que le pouvoir avait parfois échappé de justesse à leur champion François Mitterrand.
Je peine à retrouver cet esprit et même cette culture politique chez nombre de leaders politiques que Me Ntimbane a proposés pour la constitution d’un grand MRC. Même si l’expérience du PS n’est pas intégralement transposable au MRC dans le contexte dictatorial du Cameroun. Je dirais même que la boucle dictatoriale refermée avec les régions RDPC consécutives au verrouillage systémique des institutions et à un processus électoral laisse clairement entendre que la transition et/ou alternance ne suivra pas nécessairement le timing et le modus operandi souhaité par le leader du MRC, Maurice Kamto. Mais cela l’oblige néanmoins à gagner la bataille des idées et des opinions, afin de prédisposer celles-ci à l’urgence du changement, y compris par la voie insurrectionnelle.
Il n’empêche qu’à mon humble avis d’ancien militant socialiste, la stratégie actuelle du MRC et de Maurice Kamto est la bonne. Parce lentement et patiemment il gagne la bataille idéologique dans l’opinion publique et imprime dans la douleur (souvent répressive et carcérale) cette culture de l’abnégation voire du renoncement avec un souci de cohérence idéologique, qui préfigure d’un vrai changement de mœurs politiques et de gouvernance au Cameroun. C’est le chemin inévitable pour ne pas reproduire les mêmes tares que la tyrannie en place.
L’impatience d’une accession au pouvoir pour le pouvoir est très mauvaise conseillère en l’état de la culture politique essentiellement totalitaire des Camerounais, après plus de 38 années de zombification par Paul Biya.
Je pense que les progressistes de ce pays ne feront pas l’économie d’une révolution des mentalités y compris politiques dans la perspective du changement souhaité par tous…
L’impatience d’accéder au pouvoir pour le pouvoir dans l’état de décrépitude généralisée actuelle me semble contre-productive.
C’est en cela que la stratégie non violente assise sur l’accès au pouvoir à travers des urnes transparentes du Pr. Kamto me paraît bien pensée et adaptée à la situation, même si elle génère tellement de frustrations internes. Il faudra faire comprendre à ses cadres que la politique en démocratie est une forme de sacerdoce, non un tremplin social pour un enrichissement immédiat, comme semblent l’avoir cru certains démissionnaires qui se répandent en invectives dans les médias contrôlés par le régime de Yaoundé.
Ils s’étaient simplement trompés de chapelle politique!
Joël Didier Engo, Président du Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)