Neuf candidats dont les plus remarqués étaient Maurice Kamto, Cabral Libii, Josuah Osih et Akere Muna ont affronté le président sortant, Paul Biya, dont le slogan « La force de l’expérience » était un rappel sans ironie de ses 36 années consécutives à la tête du pays. Contre toute attente, dans un pays ravagé par la corruption et le chômage, et dont le retard en matière de développement sur ses voisins africains ne cesse de s’aggraver, cette élection a porté dans la société camerounaise des espoirs qu’on a crus taris par plus de trois décennies d’immobilisme.
Les jeunes se sont impliqués
Bien que la campagne électorale ne se soit officiellement ouverte que le 22 septembre 2018, Cabral Libii, benjamin des impétrants lançait dès 2017 le mouvement 11 millions d’électeurs, appelant les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales. Volontiers moqué par les briscards du régime, et selon le concerné, méprisé également par ses compétiteurs de l’opposition, le jeune loup, dont l’appel a suscité un engouement indiscutable, avait pourtant saisi une exaspération indocile dont il ferait ensuite la dynamique de son futur parti. Alors que près de 60 % des Camerounais ont moins de 25 ans, la gérontocratie aux commandes depuis le 6 novembre 1982, date à laquelle Paul Biya, fonctionnaire de 49 ans, accédait à la magistrature suprême, n’a cessé de les écarter du fait politique. Sans y réussir parfaitement en cette fin de saison de pluie 2018. Sur les réseaux sociaux transformés en arène politique et lors de meetings bondés, la jeunesse camerounaise s’est emparée de l’enjeu présidentiel, indifférente à la fatigue méthodiquement provoquée de ses aînés. Si les thuriféraires du régime avaient misé sur la lassitude, le clientélisme et la menace sécuritaire pour s’assurer une élection sans remous, la société camerounaise s’est appliquée à fausser certains de leurs calculs.
L’opposition traditionnelle sourde aux appels de la rue camerounaise
D’autres mathématiques néanmoins ne sont pas parvenues à se soustraire aux logiques politiciennes. La présidentielle dans le pays des Lions indomptables est un scrutin à un tour que remporte le candidat arrivé en tête avec le plus de suffrages. Le RDPC, parti au pouvoir, compte dans le pays 153 députés sur les 180 sièges de l’Assemblée nationale, 87 sénateurs et contrôle 85 % des mairies. Un ancrage territorial favorisé par un système de récompenses dont les moyens sont souvent accusés d’être confondus à ceux de l’État. Dans un tel contexte, une opposition dispersée n’avait aucune chance de l’emporter. Et comme s’il semblait précisément que la victoire n’était pas l’objectif recherché, elle est donc restée sourde aux appels de la rue camerounaise en faveur d’une candidature commune. Seul Akere Muna s’est rangé, deux jours avant le scrutin, derrière un Maurice Kamto en tête des sondages. Trop tard pour Elecam – l’organisme en charge de la gestion du processus électoral – qui a refusé de retirer les bulletins NOW, le parti d’Akere Muna, des bureaux de vote. C’est pour la plupart en rangs dispersés que les aspirants au palais d’Etoudi se sont présentés au suffrage du peuple camerounais. Dans une partie qui n’est en vérité que la course au second rôle, la politique a ses raisons qui ignorent le rêve de la population. L’opposition unie, ce ne sera pas pour tout de suite.
Le vrai débat devant le Conseil constitutionnel…
Au soir du 14 octobre, sans surprise, Elecam a ainsi annoncé Paul Biya vainqueur de l’élection présidentielle avec, fidèle à son habitude, un score herculéen de 71,28 % des voix. Ses partisans y ont naturellement vu la preuve de la force de l’expérience, mais pour les autres, la fraude était manifeste et la bataille loin d’être terminée. Sans attendre la communication officielle des résultats, Maurice Kamto s’est, dès le lendemain du vote, proclamé vainqueur, espérant un soulèvement populaire qui n’a pas eu lieu. Mais si les Camerounais n’étaient pas prêts à risquer des violences dans la rue, ils ont en revanche montré pour la bataille rhétorique qui s’est livrée devant la Cour constitutionnelle un appétit sans précédent.
Des Camerounais protestent à Paris, le 27 octobre 2018, après la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel. © AFP/Julien Mattia/Nur Photo
C’est en effet devant le Conseil des sages que s’est enfin tenue la véritable campagne présidentielle, au cours de plaidoiries interminables qui ont disséqué pendant trois jours un système politique dont l’heure du décès est encore au moins à sept ans d’être prononcée. De cette autopsie précoce, l’opinion publique a retenu l’évidence de la collusion entre le parti au pouvoir et les services de l’État, la dissymétrie entre les moyens mis à disposition des différents candidats, des fraudes grossières et la mise à l’écart de régions entières dont le vote prévisible était défavorable au candidat sortant.
… devenu une tribune pour l’opposition
Comme d’habitude pourrait-on dire, et pourtant des centaines de milliers de Camerounais se sont amassés devant leurs postes de télévision, téléphones portables ou ordinateurs pour suivre les audiences à la Cour qui étaient pour la première fois diffusées en direct à la télévision nationale et sur les réseaux sociaux. Une imprudence pour de nombreux ténors du régime tant cet enjeu qui a mobilisé l’opinion a constitué une tribune précieuse pour l’opposition, mais surtout la preuve tangible de l’ébullition réelle d’une société qu’il est de plus en plus difficile de tenir sous couvercle.
Les germes d’une ère nouvelle
Le scrutin de 2018 au Cameroun aura ouvert une ère nouvelle qui sonne le glas des verbiages et tripatouillages paresseux en catimini. Malgré un résultat attendu, même le pouvoir en place, en jouant le jeu d’un processus démocratique dont nul n’est dupe qu’il possède tous les verrous, a fait le constat de l’éveil tardif mais irréversible des consciences camerounaises. Même avec la certitude de perdre, le peuple camerounais s’est à nouveau mis à espérer. En cela, cette élection, transfigurée par le plaidoyer démocratique de Maurice Kamto et de ses avocats, marque pour une génération entière un tournant décisif dans l’histoire politique du pays. Rien n’a changé et pourtant rien ne peut plus être comme avant. Pas cette fois chuchotte la nation déliée, plus que jamais prête pour la prochaine.
* Consultante en communication