En vieux maître des horloges de son pays, le président Paul Biya s’est d’abord manifesté dans la soirée du 4 octobre par un tweet inattendu, nouveau moyen de communication des dirigeants, y compris au cœur de l’Afrique : « J’ai décidé de l’arrêt des poursuites judiciaires contre certains responsables et militants de partis politiques, notamment du MRC [Mouvement pour la renaissance du Cameroun], arrêtés et détenus pour des faits commis dans le cadre de la contestation des résultats de la récente élection présidentielle. » Dans la foulée, la présidence indique qu’il s’agit de l’arrêt des poursuites « devant les tribunaux militaires », sans préciser si cette mesure concerne Maurice Kamto, le chef du MRC. Le samedi 5 octobre, Maurice Kamto est libre, comme tous ses proches, cadres du parti. La présidente du tribunal militaire de Yaoundé a prononcé l’abandon des charges contre eux. Une annonce qui coupe court à leur procès, et à celui de 90 de ses partisans, dont la prochaine audience était fixée trois jours après, au 8 octobre, pour insurrection et destruction de biens publics après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 2018.
Décision surprise
Un coup politique qui prend par surprise et déstabilise l’opposition qui ne peut évidemment pas refuser la libération de ses militants accueillis par la foule à la sortie du tribunal. En coulisse, les négociations ont été intenses. Mais les autorités ont lâchées sur ordre du président qui a su faire monter le suspense depuis qu’il a annoncé en septembre la tenue d’un grand dialogue national. Dans la veine en fin de compte des réunions publiques que mène Emmanuel Macron avec les Français depuis la crise des Gilets jaunes.
Cette fois-ci, Paul Biya suit de très près le processus qu’il a engagé. Il n’est pas à Genève ou même dans sa « ferme », près de son village natal à 180 kilomètres de Yaoundé où il aime résider plusieurs semaines d’affilée. Il reste dans le palais présidentiel qui domine la capitale. La crise est grave et peut dégénérer. Il doit faire face à la sale guerre qui s’est installée depuis trois ans dans les provinces anglophones qui abritent 16 % des Camerounais. Combats et exactions sont perpétrés des deux côtés, y compris de la part des rebelles. Le bilan est très lourd : 3 000 morts et 500 000 déplacés selon les ONG. À cela s’ajoute la contestation qui s’agite à Douala et Yaoundé. Le statu quo et les emprisonnements d’opposants qui prévalent depuis les élections contestées de l’an dernier n’ont rien résolu. Au contraire. La violence augmente, entraînant peu à peu le pays vers le risque d’une guerre civile. Une déstabilisation rampante du pays qui inquiète.
La menace Boko Haram
Washington et Paris craignent que le Cameroun devienne comme les pays du Sahel voisins en proie aux attaques des groupes armés islamistes. Jusqu’ici, le Cameroun a bien résisté. Dès le début des incursions depuis l’État du Borno au Nigeria des fanatiques de Boko Haram, Paul Biya a dépêché des renforts au nord, en particulier le BIR, le Bataillon d’intervention rapide formé par d’ex-officiers israéliens. Il a ensuite débloqué des crédits pour acheter du matériel, y compris des hélicoptères, pour arrêter les hordes de fanatiques qui franchissaient la frontière pour massacrer les villageois. Mais il ne s’est pas arrêté là. Pragmatique, Paul Biya n’a pas voulu perdre de temps en tergiversations inutiles qui auraient permis aux islamistes de conquérir l’extrême nord du pays, coincé entre le Nigeria et le Tchad. En hésitant à s’ouvrir à l’aide militaire occidentale, le Burkina Faso est plongé aujourd’hui dans une guerre contre les terroristes, qui tiennent désormais près de 40 % du pays. L’aide des drones américains, des avions français et des militaires du dispositif Barkhane est maintenant là, mais en urgence, au coup par coup et peut-être trop tard. D’habitude sourcilleux de l’indépendance de son pays, Biya, sentant le danger dès le départ, a pris dans la discrétion les mesures nécessaires. Difficile en effet d’éliminer les métastases du mal terroriste, une fois que des régions entières sont contaminées. Aussi le président camerounais a-t-il autorisé des militaires et des conseillers américains à ouvrir une base à Garoua pour des drones, et à se projeter à Maroua pour délivrer du matériel et entraîner des unités de l’armée. Côté français, il a rencontré le responsable de la DGSE, les services de renseignements extérieurs, et a autorisé des échanges avec ses propres services sur les groupes terroristes, qui s’ajoutent aux livraisons de matériels.
Crise séparatiste anglophone
Mais depuis trois ans, un nouveau font, intérieur celui-là, est né. D’abord avec les indépendantistes anglophones qui se battent pour la sécession, avec le pétrole qui va avec. Leurs chefs sont à l’étranger et auraient signé des pré-contrats avec des compagnies nord-américaine, en particulier canadiennes, pour exploiter les ressources. Une crise qui a dégénéré jusqu’à la lutte armée, alors que la population n’adhère pas dans son ensemble au projet d’indépendance des plus ultra. Même imparfait, le grand dialogue a permis au bout de cinq jours de discussions une décentralisation et un statut spécial aux deux régions anglophones, la suppression du statut du délégué du gouvernement nommé, l’allégement de la tutelle de l’État, le renforcement de l’anglais dans les administrations, la double nationalité pour la diaspora et un transfert des ressources vers les régions anglophones de 10 à 15 % des recettes de l’État. Avec la contestation des dernières élections présidentielles est née une seconde crise que Paul Biya a visiblement décidé de gérer autrement. En mars dernier, Washington avait déclaré « qu’il serait sage » de libérer Maurice Kamto et ses militants. Idem pour l’Union européenne, pour qui ces emprisonnements « étaient disproportionnés ». Impliqué dans la région comme jamais, et étant elle-même confrontée aux indépendantistes corses, Paris est resté silencieux par rapport à son allié, mais a fait passer des messages en coulisse prônant l’apaisement. Faisant le constat qu’il fallait faire bouger les lignes, comme dans la lutte contre Boko Haram au nord, Paul Biya a fini par trancher avant qu’il ne soit trop tard. Il a surpris ses adversaires en lâchant du lest en vingt-quatre heures. Des décisions qui rebattent les cartes, autant dans les régions anglophones qui devraient obtenir beaucoup plus par la négociation que par les armes et au sein de l’opposition qui, désormais, va devoir mettre au point une nouvelle stratégie pour exister.
Par Patrick Forestier | Le Point.fr