50 à 70 personnes libérées jeudi au Cameroun
Une “première vague” de 50 à 70 militants anglophones, arrêtés pendant la fronde de la minorité linguistique contre le pouvoir central de Yaoundé, doit être libérée jeudi, a indiqué le porte-parole du gouvernement camerounais.
“Tous ceux qui n’ont pas de sang sur la main, tous ceux qui n’ont pas cassé, tous ceux qui n’ont pas profané les symboles de l’Etat, tous ceux qui n’ont pas incendié des écoles et des institutions seront libérés”, a affirmé jeudi Issa Tchiroma Bakary à l’AFP par téléphone.
Cette annonce intervient au lendemain d’un décret du président Paul Biya ordonnant l’arrêt des poursuites à l’encontre de certains leaders anglophones, qui étaient poursuivis “pour terrorisme” et “rébellion”, des accusations passibles de la peine capitale.
Le décret de M. Biya citait nommément trois activistes dont le magistrat anglophone et opposant Ayah Abine, qui a déjà recouvré la liberté,a-t-on appris de sources concordante.
Ces libérations font partie d’une “première vague” de bénéficiaires de la décision présidentielle, selon le porte-parole du gouvernement, qui ne détaille pas le nombre total de personnes détenues depuis le début de la crise en novembre.
“Cette décision est un motif de soulagement pour nous autres qui nous battions depuis pour leur libération”, avait réagi auprès de l’AFP l’un des avocats des anglophones.
Jeudi, des dizaines de détenus étaient présents au tribunal militaire de Yaoundé où ils attentaient jusqu’en fin d’après-midi le début de l’audience au cours de laquelle ils devaient être fixés sur leur sort individuel.
Depuis novembre 2016, la minorité anglophone – environ 20% de la population camerounaise estimée à 22 millions – proteste contre ce qu’elle considère comme une marginalisation.
Une grève des avocats, suivie de celle des enseignants, a dégénéré en crise socio-politique dans les deux régions anglophones, au point de menacer le bon déroulement de l’élection présidentielle prévue en 2018, d’après les experts.
Certains anglophones exigent le retour au fédéralisme alors que d’autres réclament la partition du pays. Deux hypothèses que refuse Yaoundé.
L’existence d’une minorité anglophone est un héritage de l’histoire du Cameroun. A la fin de la Première guerre mondiale, la tutelle de l’ex-colonie allemande a été confiée à la France et à la Grande-Bretagne (pour la partie frontalière du Nigeria).
A l’indépendance en 1960, le Cameroun a été une République fédérale jusqu’en 1972, avant de devenir une République unie.
Avec AFP
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Cameroun – Crise anglophone : tout n’est pas réglé
À l’approche de la rentrée scolaire, ce geste du président camerounais participe sans doute de la volonté du pouvoir central de Yaoundé de décrisper l’atmosphère en zone anglophone où la situation restait très tendue après des mois de défiance. En effet, Paul Biya a décrété mercredi 30 août, à la surprise générale, l’arrêt des poursuites judiciaires « pour actes de terrorisme » contre des leaders de la minorité anglophone en lutte depuis novembre 2016.
Ras-le-bol de l’opinion publique anglophone et nationale
« Le président de la République a ordonné ce jour l’arrêt des poursuites pendantes devant le tribunal militaire de Yaoundé contre les nommés Nkongho Agbor Félix, Fontem Aforteka’a Neba, Paul Ayah Abine », a indiqué Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, dans un communiqué lu sur les ondes de la radio d’État. Il s’agit de trois leaders anglophones : Nkongho Agbor Félix Balla, Fontem Aforteka’a Neba et Paul Ayah Abine parmi la trentaine actuellement en prison et poursuivie pour « coaction d’actes de terrorisme, hostilité contre la patrie et rébellion ». Le communiqué évoque d’autres personnalités interpellées ces derniers mois, sans en préciser le nombre et l’identité.
Les leaders anglophones dénoncent la « marginalisation » de leur communauté et revendiquent un retour au fédéralisme, voire – pour certains – l’indépendance. Le pouvoir central a répondu par la fermeté, avec, par exemple, une coupure d’Internet pendant plus de trois mois, entre janvier et avril, dans les deux régions. Ils avaient été interpellés en décembre et janvier au plus fort des protestations dans le nord-ouest et le sud-ouest du pays. On ignore le nombre exact de personnes qui devraient être libérées, mais une trentaine a déjà fait six mois de prison.
Félix Agbor Nkongho et Neba Fontem Aforteka’a sont les dirigeants du Cameroon Anglophone Civil Society Consortium (CACSC), mouvement interdit en janvier par les autorités après un appel à la grève dans les deux régions anglophones du Cameroun (sur dix régions au total). La mesure présidentielle concerne aussi « certaines autres personnes interpellées dans le cadre des violences survenues ces derniers mois », ajoute le texte présidentiel.
Soulagement à Bamenda et Buea
Pour Me Claude Assira, l’un des avocats des anglophones : « Ils sont considérés déjà comme étant libres ou libérables, sauf qu’il y a des formalités de levée d’écrou qui retardent souvent le processus. […] Donc je crains qu’ils ne soient encore obligés d’attendre encore un tout petit peu, peut-être les premières heures de jeudi, explique-t-il. Mardi encore, nous avions une procédure d’habeas corpus devant le tribunal de Yaoundé et puis d’autres démarches en parallèle auprès d’instances nationales et internationales. Donc voir ce résultat aujourd’hui ne peut être pour nous qu’un motif de satisfaction, de grande satisfaction. »
Issa Tchiroma-Bakary, le porte-parole du gouvernement camerounais, annonce que l’objectif est de clairement couper court aux velléités de sécession : « Est-ce un clin d’œil pour les anglophones ? En tout cas, au niveau du gouvernement, nous pensons que cela contribuera à calmer la situation et à ramener la quiétude de manière générale, à faire comprendre, y compris aux sécessionnistes, que la voie qu’ils ont prise n’est pas la bonne. »
« M. Biya a libéré quelques-uns de ses otages. Nous espérons qu’il va tous les libérer. On estime à plus de 200 le nombre de détenus », a réagi auprès de l’AFP Josuah Osih, le numéro deux du Social Democratic Front (opposition). « De notre point de vue, le fédéralisme est la seule solution. » « Ce décret ne change pas notre but de restaurer notre indépendance », avance, au sein de la minorité séparatiste, Raymond Sama, directeur de la chaîne de TV Southern Cameroon Broadcasting Corporation (SCBC TV).
Les anglophones « continueront à résister jusqu’à ce que tous [leurs] frères soient libérés », assure-t-il en réponse aux questions de l’AFP via la messagerie WhatsApp.
Menace sur l’année scolaire
Le président Biya a fait cette annonce de façon impromptue, alors que la situation semblait bloquée par la fermeté du pouvoir et les grèves dans les deux régions qui ont fortement perturbé la dernière année scolaire. « Je pense que ce décret intervient clairement pour éviter une seconde année scolaire quasi blanche dans les régions anglophones. Le fait que des enfants n’aillent pas à l’école, c’est un signe aux yeux du monde que la crise perdure », estime Hans De Marie Heungoup, analyste à l’International Crisis Group (ICG) pour le Cameroun.
Ce décret intervient dans un contexte de « logique répressive », estime-t-il, précisant que « sept journalistes et une douzaine de militants anglophones ont été arrêtés en un mois ». Début août, un rapport d’ICG estimait que la crise anglophone « pourrait affecter l’élection présidentielle » prévue fin 2018. « C’est une décision qui est prise pour apporter un apaisement, mais qui, de mon point de vue, ne réglera pas fondamentalement le conflit », ajoute Mathias Éric Owona Nguini, professeur de sciences politiques à l’université de Yaoundé-II. « Une fois que les leaders anglophones seront libérés, est-ce pour autant qu’ils seront d’accord avec les gens du régime sur les perspectives institutionnelles ? »
Cette chaîne indépendantiste anglophone avait suscité mardi la colère du gouvernement, qui a demandé son arrêt « sans délai » en dénonçant son « caractère séditieux et haineux ».