“Je Souhaite partager cet éditorial publié il y a exactement 12 ans. C’était dans Mutations, le 3 octobre 2005.”
Les généraux anglais Dobell et français Aymerich savaient-ils, en 1916, en marquant sur les rives de la rivière Mungo la partition au profit de leurs deux pays de la colonie allemande du Kamerun, qu’ils étaient en train de semer les graines de l’une de ces questions coloniales, qui près d’un siècle plus loin, se poserait toujours avec tant d’acuité?
Ce que l’on désigne à ce jour la “question anglophone “ au Cameroun fait partie de ces problèmes dont la complexité tient d’abord de leur définition. Car personne, avec exactitude, ne saura exprimer de façon succincte sur ce problème dont les manifestations sont pourtant si visibles.
Elles surgissent parfois comme des éruptions, avant de se calmer-ou d’être calmées – selon des méthodes propres au pouvoir camerounais, dont c’est l’une des principales épines dans le pied. Les partisans de la sécession, regroupés au sein du SCNC, par leurs actions sporadiques ne sont donc, finalement que l’expression extrême d’un sentiment diffus fait de frustrations, peut-être de marginalisation, sans doute de particularisation et souvent d’indexation qui sont le quotidien des Camerounais dits “anglophones”. Mais avant de phosphorer sur la question, il est utile de dire à quel point la définition de cette réalité peut, à partir d’un certain moment, être sujette à problèmes.
En effet, qu’est-ce qu’un “anglophone” aujourd’hui au Cameroun? Les tenants de la catégorisation géographique et ethnique pourront dire que ce sont les ressortissants des provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Au gré des déplacements des populations, il commence à y avoir une proportion assez importante de ces provinces-là dont les enfants achèvent une bonne scolarisation dans le système francophone.
Dans le système camerounais qui couple l’identité ethnique à l’expression linguistique coloniale, quelle pourrait être l’identité de ce type de Camerounais? Complication supplémentaire: de plus en plus de Camerounais estampillés “francophones” choisissent, de manière délibérée, le système anglophone pour la scolarisation de leurs enfants…Comme on peut le constater? l’actuelle simplification de la la perception de cette question, qui induit aussi le simplisme des solutions proposées, n’en fera que compliquer la donne.
À propos de complication, il y a une manière de régler cette affaire, qui répond aux schémas actuels de résolution de la plupart des problèmes de notre pays: c’est celle de la “répartition du gâteau”, qui suppose que, ” les anglophones sont fâchés, parce qu’ils n’auraient pas suffisamment à manger, et qu’ils feraient de l’agitation pour qu’on rajoute un morceau dans leur escarcelle.
C’est une manière de voir est dans l’Adn des tenants du pouvoir à Yaoundé. D’ailleurs, en sous-main, bien de proches du pouvoir, issus de la sphère considérée comme “anglophone”, auraient d’autant plus d’intérêt à pousser les feux que cela ajouterait quelque chose au quota réservé à cette partie de la nation…C’est une vision bien alimentaire de cette question, qui la banalise pour le grand bien de ceux qui pensent qu’elle n’a aucune raison d’exister.
Il est sans doute temps que notre pays cesse ainsi de tourner en désavantages, ce que d’autres nations considèrent comme étant des atouts pour le Cameroun. Car le bi-culturalisme camerounais est une donne que l’on apprécie fortement à partir du moment où l’on sort de nos petites frontières nationales.
Toute la colère “anglophone” qui sourd, avec des formes de manifestations différentes, est évocatrice de ce qui est le mal véritable de notre pays: le déficit de prise en charge des populations, la répartition calamiteuse des ressources de la nation, la difficulté des communautés à prendre en charge leur gestion quotidienne et prospective, le manque de visibilité de la jeunesse par rapport à son avenir et celui de la nation tout entière.
Par Haman Mana, Directeur de publication du quotidien Le Jour