Une société plongée dans une tension politique et tribale aussi intense et permanente, sur fond d’une confrontation fratricide entre les leaders des deux principales formations politiques…ne doit-elle pas envisager une troisième voie???
Je pose une nouvelle fois cette question, en pensant fondamentalement que l’apaisement pourrait effectivement être dans l’urgence à privilégier une troisième voie: sans Paul Biya (RDPC), ni Maurice Kamto (MRC).
Car l’extrême polarisation tribale du débat politique autour de ces deux figures partisanes, éminemment estimables et responsables, porte en effet les germes d’une implosion générale.
C’est la survie même du Cameroun comme Nation qui devrait nous amener à transcender nos divisions et préférences pour l’un ou l’autre des deux camps en lutte à mort (essentiellement) pour le maintien ou la conquête du pouvoir suprême, au-delà de la bataille que nous menons collectivement pour la défense des libertés fondamentales.
Mon questionnement ne se réduit évidemment pas à un choix de personne ou personnalité, et surtout pas celles ne sont que des alibis pluralistes du pouvoir en place et présentés officiellement comme ses “opposants”. Il a trait aux alternatives envisageables pour sortir le Cameroun d’un duel fratricide duquel aucun des deux camps ne sortira vainqueur, car rongé par un affrontement sous-jacent ethno-tribal qui pourrait précipiter le pays entier dans une implosion…Ce, alors même que les deux groupes ethniques qui s’opposent (Beti-Bulu vs Bamilékés) ne sont pas majoritaires, et veulent néanmoins monopoliser puis imposer (sans le dire explicitement bien sûr) leur approche essentiellement partisane voire communautaire de la succession à la tête de l’État.
C’est pourquoi j’incite à réfléchir sérieusement en la possibilité d’une troisième voie: ni Kamto ni Biya. Même si je sais pertinemment que je soulève là un véritable tabou dans le contexte délétère actuel, qui pourrait même m’attirer les foudres des partisans des deux personnalités.
Je rejoins en cela une réflexion déjà émise par le Pr. Thierry Amougou lors des marches du 22 septembre 2020 ( https://www.lebledparle.com/
JDE
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Marche du 22 septembre : le salut du Cameroun se situe en dehors de Paul Biya et de Maurice Kamto
- Thierry Amougou, correspondance
- Publication : 21 septembre 2020
Le politique est un mode de régulation qui permet de stabiliser un espace sociétal conflictuel et instable. La politique y participe donc au sens où sont but est de donner du sens à une société en réussissant à faire cohabiter et à faire cheminer des hommes et des femmes qui ont des avis divergents et/ou contradictoires sur la communauté politique et son devenir. Dès lors, le pouvoir politique a pour objectif de rendre la vie meilleure afin qu’elle soit digne d’être vécue : le pouvoir politique doit servir la vie. Son rôle n’est pas de l’ôter, de l’insécuriser, de la vulnérabiliser et, encore moins, de la détruire.
Les positionnements politiques du régime et du couple MRC-BAS par rapport à la marche du 22 septembre 2020 sont la preuve d’une faillite politique profonde au Cameroun. Cette faillite se manifeste par deux indicateurs :
Le premier indicateur est que les deux camps sont de moins en moins au service de la promotion d’une vie meilleure pour les Camerounais et les Camerounaises que d’une invitation de ceux-ci au sacrifice suprême pour défendre un camp : « la vie ou la mort nous vaincrons » est désormais le leitmotiv des deux côtés.
Le deuxième indicateur est que les Camerounais et les Camerounaises sont appelés à devenir des héros et des héroïnes alors que le rôle de l’action politique est de permettre aux hommes, aux femmes et à leurs enfants de vivre décemment sans avoir besoin d’être des héros et des héroïnes. En conséquence, le régime en place et le MRC-BAS sont disqualifiés au sens où ils présentent le sacrifice suprême comme seule offre politique là où le bien-être des populations camerounaises mérite mieux. Il va de ce fait sans dire que le salut du Cameroun et des Camerounais se situe au-delà et en dehors de Biya et de Kamto. Ces deux camps ont retrouvé l’Etat de nature hobbesien où seul le meurtre de l’autre est la matérialisation de notre droit à la vie.
• Ni Biya, Ni Kamto ne mérite le sacrifice des Camerounais…
Le sacrifice suprême pour Kamto et ses idées vaut-il la peine ? Le sacrifice suprême pour Biya et son régime vaut-il la peine ? Notre argumentation répond par la négative à ces deux questions.
La première raison pour laquelle ni l’un ni l’autre ne mérite le sacrifice des Camerounais et des Camerounaises est qu’ils constituent un seul et même système. Aucune analyse sérieuse du « Biyaïsme » comme système politique intergénérationnel ne peut ne pas intégrer Maurice Kamto, Ekoka et Nzongang comme des éléments d’une grande partie de sa dynamique périodique. Chacun d’eux a une dizaine d’années de service au cœur d’un « Biyaïsme systémique » qui n’a jamais cessé d’infliger inégalités, pauvreté et régression sociale à ceux qui ne font pas partie du club au pouvoir. Club au pouvoir auquel Maurice Kamto, Ekoka et Nzongang ont choisi d’appartenir sans états d’âmes pour les Camerounais et les Camerounaises de la plèbe. Il en découle que se sacrifier pour Maurice Kamto et ses acolytes équivaut à se sacrifier pour le « Biyaïsme systémique » et sa continuité ; car le pouvoir étant productif au sens foucaldien du terme, Kamto, Ekoka et Nzongang au pouvoir c’est aussi le « Biyaïsme systémique » au pouvoir : le contre-système fait partie du système autant que le contre-pouvoir fait partie du pouvoir. Ce n’est pas parce qu’on devient des transfuges du système en place que cela efface notre appartenance à celui-ci et encore moins nos avantages acquis grâce à lui. Les Camerounais doivent ôter tout espoir de pouvoir suprême à quiconque ignore le peuple durant des années pendant toute sa carrière pour ne penser à celui-ci que lorsqu’il veut utiliser ledit peuple comme escabeau ou chair à canon pour conquérir le pouvoir suprême une fois ses arrières assurés financièrement. Cela porte deux noms : le populicide et l’instrumentation des Camerounais et des Camerounaises pour soi.
Si nous sortons du « Biyaïsme systémique » pour analyser individuellement Kamto et Biya, il apparait, encore une fois que ni l’un ni l’autre ne mérite le sacrifice des Camerounais et des Camerounaises.
Concernant le président Biya, pas besoin d’être un clerc pour noter que l’homme du 6 novembre a son avenir politique derrière lui. Il serait donc politiquement peu pertinent qu’un quelconque Camerounais se sacrifie pour un homme et un régime en fin de parcours. Les Camerounais et les Camerounaises auraient le triomphe bien modeste si celui-ci se réduisait à défendre un régime qui, après 38 ans de pouvoir a, malgré des avancées tangibles sur le plan des principes démocratiques par rapport à celui d’Ahidjo, globalement été décevant en matière de développement du Cameroun. Le président Biya ne mérite donc pas le sacrifice des Camerounais parce que sa personne souffre d’un déficit bilanciel auquel s’ajoute un déficit transitionnel. Ce dernier met en exergue une absence de vue à long terme visant à préparer le pays à une transition démocratique en préparant l’après-Biya. Dans la mesure où le président du Sénat n’est plus à la fleur de l’âge, les Camerounais et les Camerounaises ne peuvent se sacrifier pour un « Biyaïsme sans Biya » qui risque être une véritable « nuit des longs couteaux ». Dès lors, le déficit de préparation d’un avenir crédible devrait attiédir et exclure tout sacrifice suprême une fois qu’on constate que l’émergence du pays en 2035 est un slogan creux qui n’engage que ceux qui y croient.
Maurice Kamto, l’autre protagoniste de cette faillite politique camerounaise ne mérite pas non plus le sacrifice suprême des Camerounais. Sa personne souffre également un triple déficit qui ne mérite pas le sacrifice suprême des citoyens camerounais. En premier, Kamto souffre d’un déficit de cohérence du positionnement politique et de réflexion intellectuelle. Il a été tour à tour soutien du SDF dans les années 1990, membre de l’équipe au pouvoir avec de hautes fonctions pendant une dizaine d’années. Il a par ailleurs apporté son expertise et sa signature militante à la modification de la Constitution qui a autorisé Biya à rester Président ad Vitam aeternam. De même, aller de la publication de « L’urgence de l’urgence de la pensée » à l’exaltation de l’urgence de l’insurrection est une défaite de la pensée car l’urgence de la pensée devrait aussi penser l’insurrection et non démissionner une fois que l’insurrection devient un mode de satisfaction de son ambition présidentielle. Autre incohérence, et non des moindres, c’est d’appeler à la fin de la guerre au NOSO en restant solidaire de la BAS qui cotise pour financer l’achat d’armes pour faire la guerre au NOSO. Un déficit réputationnel est aussi à mettre à l’actif de Maurice Kamto. Celui-ci a déjà eu des postes de pouvoir au sein desquels il n’a montré aucun intérêt et aucune empathie pour les souffrances des populations camerounaises. Ce peuple s’est révolté en mars 2008 et essuyé des tirs à balles réelles qui ont laissé près de 500 jeunes sur le carreau d’après le rapport d’Amnesty International. Encore ministre de Biya, Kamo est resté muet comme une carpe lors de cette révolte populaire. Le peuple camerounais n’a eu droit ni à son empathie, ni à sa compassion, ni à une prise de parole se désolidarisant de ces actes. Un individu avec un tel déficit réputationnel ne mérite pas un quelconque sacrifice pour lui. Le dernier déficit qui frappe Maurice Kamto est un déficit d’exemplarité. La vie de Kamto, sa carrière politique et son style de vie ne correspondent pas à l’éthique révolutionnaire. Mao a vécu toute sa vie en révolutionnaire, de façon modeste et hors des pouvoirs établis. Sankara est mort sans aucune richesse et a réduit le train de vie des ministres. Gandhi a renoncé à tout pour servir son peuple. Il a même renoncé à s’habiller à l’Occidentale pour être au même niveau que son peuple. Karl Marx, d’une famille bourgeoise, est mort sans maison ni argent…ces figures-là sont exemplaires dans le monde de la révolution parce qu’elles ont montré l’exemple en menant un style de vie crédible qui convainc et fait foule à lui tout seul. Maurice Kamto appartient aux Camerounais richissimes qui ont pactisé avec le système dominant en place et habitent les beaux quartiers camerounais desquels le peuple camerounais appauvri est exclu par le système grâce auquel il s’est enrichi. Il ne peut donc avoir le beurre et l’argent du beurre car sa trajectoire, son niveau de vie et son rapport aux masse populaires sont des choses contre lesquelles doit se battre le peuple camerounais. Kamto est la figure et l’incarnation de l’élite camerounaise contre laquelle le peuple camerounais doit se révolter et pour laquelle il ne doit aucunement se sacrifier. Sans une pensée révolutionnaire profilatrice d’une utopie collective où peut s’originer une adhésion populaire, la révolution made in MRC se confond à Kamto, à sa tribu et à une prise de pouvoir par un homme providentiel pour une utopie individuelle : les ferments fondateurs de son échec sont ici concentrés.
• « Sardinars » et « Tontinars » : deux faces complémentaires d’un Cameroun haïssable
La diaspora camerounaise, du moins sa frange politiquement engagée a, depuis l’élection présidentielle de 2018, construit une écosystème politique particulier : les Résistants au sein de la « Brigade Anti-Sardinars » (BAS) contre les Patriotes au sein de la Brigade Des Patriotes (BDP). Leur affrontement donne lieu à une création conceptuelle dont l’analyse peut éclairer une sociologie de l’Etat camerounais éclairante pour l’Afrique et le monde. Les lignes qui suivent montrent que « Sardinars » et « Tontinars » sont deux faces d’une même pièce, un Cameroun haïssable duquel il faut sortir non d’un côté pour un autre mais au détriment de deux.
•Les « Sardinars »
Pour le politologue Jean-François Bayart, faire de la politique en Afrique revient, après les indépendances, à conquérir le pouvoir d’Etat ou des positions de pouvoir au sein de l’Etat pour manger et faire manger les siens, c’est-à-dire sa famille élargie et ses réseaux. Il en résulte à la fois une politique du ventre qui, non seulement exclue la majorité de la population africaine du partage juste des bénéfices des ressources nationales, mais aussi entraîne une réduction du destin politique de l’Afrique et des Africains à la tyrannie de la satisfaction des plaisirs biologiques fugaces et de démonstration de sa réussite sociale. En conséquence, l’Etat au Cameroun est ce que Jean-François Médard appelle en 1978 un Etat néo-patrimonial donnant naissance à des oligarques dont la fortune privée n’est rien d’autre que du bien public détourné à travers un Etat devenu un canal d’assouvissement de la libido accumulatrice des élites camerounaises au pouvoir. Au sein de la BAS, le terme « Sardinars » revient à établir une identité entre le néo-patrimonialisme et l’Etat camerounais puis à faire de la BDP un club d’adeptes de la politique du ventre et de l’Etat néo-patrimonial. Ce dernier prend ainsi le nom de « Sardinavie » au sens d’un pays habités de « Sardinars » dont le projet politique se résume à consommer des « sardines » et du « pain ». Il en résulte un paradigme pain/sardine dont la déclinaison évoque tant la corruption des mœurs d’une population camerounaise incapable de se nourrir qu’une critique d’un vote populaire orienté moins par la tête des populations que par leurs ventres. Il est cependant nécessaire, afin d’aller au bout des choses, d’étendre « le ventre » des « Sardinars africains/camerounais » jusqu’à l’estomac des anciennes puissances coloniales et leurs multinationales qui exploitent les richesses africaines en bonne intelligence avec les régimes en place. La politique du ventre aboutit ainsi à une sorte de démocratie des ventres de dimension internationale. La « Sardinavie » devient de ce fait l’autre nom d’un Cameroun, d’un monde et d’une Afrique politiques soumis à un consumérisme qui fait des populations un simple ensemble de citoyens-consommateurs.
• Les « Tontinars »
La BDP a aussi fait fonctionner ses méninges pour classer et catégoriser la BAS. Le concept « Tontinars » est ainsi né. Il critique la BAS à un quadruple niveau : tribal, politique, stratégique et civilisationnel. Dérivée du terme tontine, association rotative d’épargne et de crédit très célèbre en Afrique subsaharienne, la critique tribale se base sur le fait que la prospérité économique des Bamiléké qui peuplent l’Ouest du Cameroun, a pour base populaire la tontine financière. Le fait que ces Bamiléké soient largement majoritaires au sein de la BAS permet à la BDP d’estampiller celle-ci d’organisation tontino-tribale aux objectifs financiers enrobés de considérations politiques. D’où une critique politique qui consiste à nommer « Tontinars » tous les Camerounais qui ne voient le pouvoir d’Etat que comme un moyen de fructification financière en s’appuyant sur la force collective de son ethnie pour le conquérir. La critique stratégique va dans deux directions complémentaires. La première est que les « Tontinars », Bamiléké économiquement dominants sur la scène camerounaise, escomptent parachever leur projet hégémonique de nature tribale par la conquête du pouvoir politique suprême. La deuxième est que ce pouvoir politique suprême, dans un objectif de pure accumulation économique, n’hésite pas à vendre le Cameroun aux intérêts des grands groupes économiques mondiaux et à leurs Etats.
Il en découle une critique d’un économisme où tout n’est que marché, argent et accumulation. La critique civilisationnelle souligne que ces « Sardinars » sont des « Talibans », c’est-à-dire des adeptes de l’intégrisme économico-culturelle et de la violence comme moyen d’action suivant la logique de la « Talibanie » au sens à la fois d’un pays et d’un mouvement fondamentalistes inaptes à la démocratie. « Sardinars » et « Tontinars » sont de ce fait deux termes critiques complémentaires au sens où la critique de la politique du ventre roi qu’évoque le terme « Sardinars » est incomplète sans la critique de la politique de l’argent roi qu’évoque le concept « Tontinars » étant donné que le destin politique des sociétés ne peut se réduire ni à la « Sardinavie », ni à la « Talibanie ». Patriotes et Résistants camerounais gagneraient à partager leur critique pour construire une démocratie camerounaise au sens d’un échange permanent d’expériences contradictoires pour inventer une société camerounaise maîtresse de son destin. Le paradigme pain/sardine et le paradigme tontine/tribu sont contenu l’un dans l’autre. Ils constituent la putréfaction d’une même plaie à panser pour sauver le pays à la fois de la gangrène de la politique du ventre et de celle de la politique de l’argent.
• Comment sortir le Cameroun de cette défaite politique ?
Les « Sardinars » et le régime en place d’un côté, le MRC et les « Tontinars » de l’autre, ne sont pas à la hauteur de l’enjeu du Cameroun et de l’Afrique. Les uns veulent conserver le pouvoir et les autres le conquérir sans réfléchir ni sur la nature du pouvoir, ni sur les causes de la faillite politique camerounaise. L’Afrique en général, le Cameroun et les Camerounais en particulier sont prisonniers de la philosophie politique occidentale. Celle-ci, suivant Max Weber, ne fait pas une critique de la violence, elle la rend légitime via l’Etat et en fait un moteur de la naissance du droit et de sa conservation. Il en résulte deux conséquences majeures : une anthropologie négative et une violence conservée.
L’anthropologie négative fait de l’Homme un violent, un tricheur, un exploiteur et un resquilleur. La violence est externalisée dans le combat économique, la compétition politique et la colonisation d’autres sociétés. Cette philosophie politique occidentale fait perdre à l’Afrique et au Cameroun des ressources importantes pour résoudre ses problèmes politiques.
En effet, la Maât, ce principe philosophique et politique que nous lègue l’Afrique ancienne, ne légitime pas la violence : il la critique et l’exclut comme moteur du politique. La Maât ne nie pas l’existence de conflits et du tumulte dans les sociétés africaines. Elle considère ces choses-là comme productrices d’une énergie vitale à mettre au service non du monopole de la violence légitime, mais de l’impératif d’une harmonie légitime entre le social, le politique, l’anthropologique, le démographique, l’économique et le cosmos. Du coup, la philosophie politique kamite considère que l’Homme est aussi synonyme de bonté, de camaraderie, de solidarité, d’amitié et d’amour. Dès lors, c’est ce côté-là que privilégie la pensée politique africaine séculaire pour mettre en exergue la concertation, le conclave, la délibération, la palabre et la solidarité comme instruments de réforme politique. Il va donc sans dire qu’en raisonnant sous contrainte d’une philosophie politique héritée de la violence occidentale, l’Afrique et le Cameroun s’abîment dans une approche de l’Etat comme une violence organisée alors que la pensée politique kamite fait de l’Etat une harmonie organisée via l’exploitation des énergies vitales des conflits sociétaux. Dès lors, la démocratie libérale est inapte dans une Afrique et un Cameroun sans culture libérale. Seule une approche solidaire de la démocratie permettrait au Cameroun et l’Afrique de concevoir un politique au service de la vie actuelle et future. Une telle éthique politique permettait au cas camerounais et au cas ivoirien de sortir par le haut et non par les catacombes qui font de la population un escabeau ou de la chair à canon. Sortir le Cameroun et/ou la Côte d’ivoire d’une approche de la politique qui produit la violence et la mort du prochain, revient à utiliser le conflit, le tumulte et l’opposition politique comme des pôles de production d’une énergie vitale que la Maât exploite pour créer, grâce à la mission sacrée qu’elle assigne au politique, un impératif d’une harmonie légitime. Cela montre que la solidarité, la concertation et la palabre au cœur des cultures africaines sont au fondement d’une conception solidaire de la démocratie.
Dans cette veine, l’appel à la marche de Maurice Kamto cesse d’être un problème pour devenir une source d’une énergie vitale à capitaliser pour alimenter les arguments nécessaires à une industrie politique à la recherche d’une harmonie légitime. Il apparait de ce fait que la meilleure stratégie pour toujours avoir le service de la vie comme objectif du politique est d’autoriser la marche, de lui assigner un itinéraire et de l’encadrer. Une marche ne peut plus, dans cette nouvelle éthique politique, viser la guerre et l’éviction d’un président mais fournir des arguments pour alimenter l’impératif national d’un débat pour une harmonie légitime. Le Cameroun, via cette stratégie, peut installer une culture positive de la marche contestataire comme moyen d’expression politique afin de mieux orienter l’action politique vers le service de la vie en abondance.
En conséquence, « la vie ou la mort », « la peur change de camp », « nous allons nous sacrifier », éléments lexicaux morbides qui remplacent désormais la belle devise camerounaise « Paix, Travail, Patrie », n’auront plus aucune chance d’exister. L’avenir du Cameroun est donc entre les mains de son intelligence collective. C’est elle seule qui est à la hauteur de l’enjeu et d’un aggiornamento de l’imaginaire et de la pratique politique issus des entrailles de l’Afrique profonde. Cette intelligence collective camerounaise est au-dessus, en dehors et au-delà de Kamto, de Biya, des « Sardinars » et des « Tontinars ». C’est elle qui peut faire retrouver à tout ce monde le sens noble de la politique : servir la vie, la rendre meilleure, moins héroïque.
Pr Thierry Amougou, économiste, Université catholique de Louvain, Belgique. Auteur de L’esprit du capitalisme ultime : démocratie, marché et développement en mode kit, 2018, PUL.