Depuis son lieu de détention à la prison centrale de Yaoundé, le consultant média et activiste de la page Facebook et YouTube Médiatik s’est confié à votre journal en ligne hurinews.com sur les sévices corporels à lui infligés par les éléments de la Division de la Sécurité Militaire (SEMIL), organe du ministère de la Défense en charge des opérations sécrètes et du renseignement militaire. Kidnappé le 17 avril dernier par les agents SEMIL, Sébastien Ebala est accusé d’appel à manifestations sans autorisation à travers une vidéo virale sur les réseaux sociaux. Son procès est en appel alors qu’il n’a jamais interjeté appel.
SON MESSAGE AUX CAMEROUNAIS
J’adresse mes salutations à tous les camerounais de bonne volonté, de bonne foi, ceux qui n’ont cessé de me soutenir en prière, je leur sais gré pour tout ce qu’ils ont fait pour moi spirituellement, parce qu’il n’y a que ça qui constitue une nourriture pour moi. Pour ce qui est des intrigues, les petites calomnies l’abandon par la corporation journalistique, c’est qu’en réalité, beaucoup sont jaloux de ce que nous faisons mais je remercie une fois de plus les camerounais de bonne volonté et qu’ils sachent que je ne baisserai jamais les bras quelles qu’en soient les difficultés, la répression et les humiliations. Dieu sera toujours au contrôle.
LES CIRCONSTANCES DE SON ENLEVEMENT PAR LA SEMIL
Tout est parti de ma vidéo enregistrée le 16 avril dernier à la Poste Centrale, non loin de la Boulangerie Acropole à Yaoundé, vidéo dans laquelle j’avais appelé les Camerounais à se mobiliser pour faire entendre leur voix sur ce qui se passe dans notre pays : mal-gouvernance, absence d’eau, d’électricité, de bourses pour les étudiants. J’ai appelé les Camerounais à se mobiliser à la Poste Centrale munis de pancartes, de bouteilles d’eau et de cache-nez, afin d’installer celui qu’ils avaient élu le 7 octobre 2018 (Maurice Kamto, ndlr). Après avoir enregistré cette vidéo de près de 3 minutes, je me suis rendu le lendemain à la résidence de mon co-accusé (Tchebo Tchebo Bernard, ndlr) au lieu-dit Hôpital Jamot car c’est là que nous faisions souvent nos directs sur Facebook. Aux environs de 16h 30, mon collaborateur Paul Daizy Biya a reçu un coup de fil d’un certain Mbapou Parfait qui est l’indic de Bamkoui (le colonel Bamkoui Emile Joël est le commandant de la Division de la Sécurité Militaire, la fameuse SEMIL, ndlr). Mbapou lui aurait dit que le colonel est très fâché parce qu’il m’a empêché de me rendre à a SEMIL quelques jours plus tôt pour discuter des problèmes de mon enfant. En réalité c’était un piège et l’objectif de cet appel était de nous localiser. Vers 17h, nous sommes assis au salon, nous entendons des bruits, des personnes qui crient à l’extérieur « fermez ! fermez ! ». On voit des hommes cagoulés qui arrivent avec des kalachnikov, des gilets pare-balles, des marteaux et des pinces-monseigneurs et escaladent la clôture du domicile de M.Tchebo. Le maître des lieux nous a suggéré de nous cacher dans le plafond car nous ne savions pas qui c’était et avons même craint d’être assassinés. C’est comme cela que ces criminels ont cassé le cadenas du portail, ils sont entrés puis ont cassé la porte d’entrée faite en lambris. Une fois à l’intérieur de la maison, ils ont tout mis à sac. Le propriétaire est sorti du plafond et c’est ainsi qu’ils l’ont arrêtés et torturé. Puis ils se sont dits que si Tchebo a été surpris en train de sortir du plafond, ça veut dire que Paul Daizy et moi nous y trouvions aussi. C’est ainsi qu’on nous a nous aussi arrêté.
LE COLONEL BAMKOUI A PROMIS DE MASSACRER LES BAMILEKES SI KAMTO MONTE AU POUVOIR
Les hommes du colonel Bamkoui nous ont transporté au ministère de la Défense. Arrivés en ces lieux, nous avons trouvé le colonel Bamkoui qui a demandé à ses agents ‘ c’est comment ? ils ont voulu bagarrer avec vous ?’, ils ont répondu qu’ils nous ont surpris au plafond et le colonel de leur dire « amenez les au labo ». J’ai été torturé, j’ai reçu 150 coups de machettes sur la plante des pieds. Le but de cette torture était que je dise que c’est Maurice Kamto qui m’avait envoyé. Quand je leur ai dit que je ne suis pas en contact avec Kamto et qu’il ne m’a jamais envoyé, le colonel Bamkoui en personne m’a dit ceci lorsqu’il avait son pied posé sur ma poitrine : « tu te fais utiliser par des Bamiléké, tu penses que Kamto sera président de ce pays un jour ? De toutes les façons, un jour où l’autre, Paul Biya mourra mais Kamto ne prendra jamais le pouvoir et que si cela arrive, il y aura carnage et j’en serai à la tête. Je peux même t’assassiner ici et je mentionne dans le rapport que l’opération a mal tourné. Comme tu ne veux pas dire que c’est Kamto qui t’a envoyé et que tu es séminariste, tu mourras en martyr ». Ce 17 avril est une date triste pour moi mais je suis resté déterminé. Après m’avoir torturé à tel point que mes pieds enflés ont pris la forme des pattes d’éléphants, ils m’ont amené au bureau du colonel Bamkoui que vous pouvez voir sur la photo qui a circulé sur les réseaux sociaux où je suis assis à même le sol. J’ai encore reçu de violents coups de machette. Vers minuit, nous avons été transportés au service central de la recherche judiciaire au SED (secrétariat d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie nationale, ndlr).
IL Y A VRAIMENT UN PROBLEME BAMILEKE AU CAMEROUN
Ce n’est la première fois que le colonel Bamkoui affiche une telle aversion vis-à-vis de Maurice Kamto et de son ethnie les Bamilékés. Quelques semaines avant mon enlèvement par les éléments de la SEMIL, je m’étais rendu à son bureau en compagnie de Paul Daizy Biya lorsque ce dernier disait détenir des éléments compromettant sur le commandant du Bataillon d’intervention rapide (BIR), l’israélien Eran Moas. Le colonel Bamkoui avait martelé que Kamto ne prendra jamais le pouvoir dans ce pays et que si cela arrive, il prendrait la tête d’une opération de carnage. Les Camerounais doivent le savoir, il y a une certaine animosité vis-à-vis de la communauté bamiléké au Cameroun. Quand j’étais à la SEMIL, aucun bamiléké ne m’a touché, aucun anglophone ne m’a touché, aucun douala ne m’a touché, ceux qui s’abattaient sur moi avec une rare violence c’était les ewondos, les bulus, les nangas, les etons et les yambassa et le mot qui revenait à chaque fois est que « tu n’as pas honte, tu te fais utiliser par des bamilékés, ils t’ont promis un poste, voilà pourquoi tu fais tes lives en bras de chemise, tu ne les fais plus avec de vieux tricots ».
LA GARDE-A-VUE AU SED
Au niveau du SED, mes droits ont été respectés. Quand nous sommes arrivés, les agents SEMIL ont demandé aux gendarmes de nous torturer de manière à ce qu’il leur soit imputés tous les sévices corporels que nous avons subis à la SEMIL. Ce que le chef de poste a refusé vu l’état dans lequel je me trouvais, mes vêtements étaient déchiquetés et imbibés de sang. On m’a accordé tout le respect que je méritais. Je vais remercier la lieutenant-colonel Bikaï qui, quand elle m’a reçu le samedi 18 avril m’a demandé si je n’avais pas de famille, je lui ai répondu que jusque-là, on m’avait refusé l’accès à un membre de ma famille. Puis elle a fait un SMS au chef d’escadron Mbialeu Dieudonné du service central de la recherche judiciaire afin qu’on me trouve des vêtements et qu’on aille avec moi à l’hôpital. J’ai beaucoup souffert, j’ai passé 41 jours de cellules au sous-sol.
EST-IL TENTE PAR L’EXIL ?
Mongo Beti, Ernest Ouandié, Um Nyobè sont tous morts au Cameroun. Personne ne me poussera à l’exil parce que ce que je mène comme combat, ce n’est pas pour moi mais pour faire comprendre aux uns et aux autres qu’au Cameroun, il y a des jeunes qui peuvent dire des choses sans avoir besoin d’aller se radicaliser dans des pays où d’autres ont travaillé. Je reste déterminé car conscient de n’avoir fait de mal à personne.
SON MORAL EN PRISON
Je suis là, je tiens le coup, j’ai un moral d’acier, je surmonte tous les obstacles, les coups bas contre moi mais j’ai tout remis à Dieu et à lui la vengeance. Je suis ici en prison parce que j’ai accepté de défendre la vérité, je veux voir le Cameroun changer mais on me reproche d’être l’esclave des bamilékés, si c’est le cas je l’accepte car tous les Camerounais sont mes frères. Je ne pardonnerai jamais à ceux qui m’ont torturé et même s’il m’arrive d’être tué ici ou alors de sortir d’ici, que mes tortionnaires sachent que j’ai leurs visages en tête et ils répondront tous de leurs actes devant Dieu.
Propos recueillis par Michel Biem Tong