Le vrai visage du régime camerounais, en guerre contre sa population anglophone et ses opposants politiques, commence à s’imposer dans les cadres diplomatiques… sauf au Quai d’Orsay.
C’est l’image qui résume la politique française au Cameroun. Le 12 avril, la presse gouvernementale titrait sur le « soutien constant » de Paris, illustré par une photo de l’entrevue de la veille entre l’ambassadeur de France et Paul Biya, en précisant que la « sécurité » faisait partie des « sujets longuement évoqués » entre les deux hommes. Le message, aux opposants comme aux serviteurs zélés du régime, ne saurait être plus clair. Il vient comme une réponse cinglante aux ONG et rares parlementaires qui, depuis des mois, interpellent l’exécutif français sur sa politique envers le vieil allié camerounais – à la tête du pays depuis 1982, après avoir été Premier ministre dès 1975, et finalement dans les arcanes du pouvoir néocolonial depuis toujours.
Crimes à répétition
Les demandes de condamnation du régime sont de plus en plus pressantes, au fur et à mesure que s’allonge la liste de violations des droits humains : à l’état « habituel » de la dictature camerounaise se sont ajoutés les crimes de guerre commis par l’armée camerounaise dans l’Extrême Nord au nom de la lutte contre Boko Haram depuis 2013 ; la répression féroce des revendications des populations anglophones de 2016 à 2017 ; la guerre ouverte contre ces mêmes populations depuis, conséquence de la répression, la radicalisation de groupes contestataires en mouvements armés ; et, depuis fin janvier, le déchainement répressif contre les cadres du parti d’opposition MRC, coupables de contester les résultats de l’illusoire « élection » présidentielle organisée en octobre dernier… Le bilan est impossible à établir : détention illégales et exécutions arbitraires à l’Extrême Nord, au minimum des centaines de morts et des dizaines et dizaines de villages incendiés dans les régions anglophone dont un demi-million d’habitants ont fui ailleurs dans le pays et au Nigeria [1] ; détention dans l’attente d’un procès par un tribunal militaire de près de 200 militant.e.s du MRC, dont son leader Maurice Kamto, l’ancien maire Paul Eric Kingue (connu pour s’être opposé aux intérêts bananiers français dans le Moungo), le rappeur Valsero ou encore l’avocate Michèle Ndoki (arrêtée alors qu’elle tentait dans la clandestinité de soigner les graves blessures infligées par les tirs d’un policier lors d’une manifestation le 26 janvier et qui, sans doute coupable d’être une jeune femme brillante, cristallise la haine des partisans du régime sur les réseaux sociaux).
Le froid et le chaud états-unien
Si les Etats-Unis sont tout-à-fait capables de se satisfaire des crimes commis par un allié, ils sont parfois gênés quand une minorité anglophone fait l’objet d’une répression telle que celle qu’endure les habitants des régions Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun (dites le NO-SO). C’est sans doute ce qui explique des prises de position très explicites de la part de l’ambassadeur états-unien à Yaoundé, déjà en mai 2018 (cf. Billets n°278, juin 2018). Mais plus récemment, ce sont les déclarations du Monsieur Afrique de l’administration Trump, le sous-secrétaire d’état américain aux affaires africaines, Tibor Nagy, qui ont provoqué quelques remous au Cameroun. Le 4 mars, en amont d’une tournée africaine qui devait notamment le mener à Yaoundé, il a ainsi déclaré au sujet de Maurice Kamto : « Le gouvernement camerounais assure qu’il a été arrêté et emprisonné pour des raisons légitimes. Moi, je pense vraiment qu’il serait très sage de le libérer. Camer.be. Parce que, que ce soit vrai ou faux, il est perçu comme ayant été incarcéré pour ses activités politiques » (RFI, 4/03). Puis, depuis l’Afrique du Sud, il avait fait part de son inquiétude sur le NO-SO : « chaque jour, les gens meurent. Ils sont en train de souffrir dans la partie anglophone du Cameroun (…) Il faut envisager la tenue d’une discussion internationale pour résoudre la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest » (voaafrique.com, 12/03). En clair, une possible saisine du Conseil de sécurité de l’ONU. Un mois plus tôt, la presse américaine avait rendu publique la décision des Etats-Unis de couper une partie de l’aide militaire au Cameroun : une suspension de 17 millions de dollars, sur un montant total inconnu. Un signal symboliquement fort, en dépit de la rhétorique habituelle selon laquelle le régime Biya serait un allié de la « guerre contre le terrorisme ».
La presse à gage camerounaise a déversé un feu roulant en amont de la venue de Tibor Nagy, l’accusant de chercher à déstabiliser le régime, maniant comme à l’accoutumée avec habileté le patriotisme camerounais pour en faire une arme au service du régime. Et à son arrivée à Yaoundé quelques jours plus tard, peut-être briefé par son ambassade qui doit s’inquiéter de voir un tel déferlement contre les intérêts et ressortissants états-uniens, Nagy a mis de l’eau dans son vin, pour finalement saluer au sortir du palais présidentiel la « sagesse » de Biya, qu’il a qualifié « d’homme d’Etat exceptionnel ». Victoire d’étape des Biyaïstes…
Mais Tibor Nagy serait-il d’humeur aussi changeante que son patron Donald Trump ? Le 11 avril, il a déclaré lors d’un point de presse à Houston, tout en reconnaissant être sous pression des membres du Congrès américain à ce sujet, notamment du fait de l’activisme de la diaspora camerounaise, que le Cameroun était sa « prochaine préoccupation » après la chute d’Omar el-Béchir au Soudan.
Déclarations de principe
L’ONU est pour le moment quasi aphone sur le sujet. Seule la Haute commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, s’est émue de la situation au Cameroun, dans la déclaration où elle dénonçait aussi la répression en France contre les gilets jaunes – le seul extrait qui fut commenté dans notre pays.
L’Union européenne (UE) se distingue un peu plus : deux déclarations ont causé des vagues au Cameroun. Tout d’abord celle de la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, le 5 mars, selon laquelle « l’arrestation et la détention prolongée de plusieurs dirigeants d’un parti de l’opposition (…) accroît le malaise politique au Cameroun », qui a également déploré au NO-SO « un nombre inacceptable de victimes et un impact lourd en termes humanitaire et économique ». Et, plus récemment, la résolution du Parlement européen adoptée en séance plénière le 19 avril (malgré l’opposition revendiquée de deux élus français du Rassemblement national), qui détaille les sujets de préoccupation des eurodéputés et formule une douzaine de recommandations. L’info claire et nette. Si ces dernières visent principalement les autorités camerounaises, le Parlement européen suggère d’envisager une saisine du Conseil de sécurité de l’ONU. Et surtout, il « prend acte de la décision des États-Unis de réduire son aide militaire au Cameroun à la suite des allégations crédibles de violations flagrantes des droits de l’homme commises par les forces de sécurité ; demande à la Commission d’effectuer une évaluation de l’aide de l’Union européenne aux services de sécurité camerounais à cet égard et d’en rendre compte au Parlement européen ; demande à l’Union et à ses États membres de veiller à ce qu’aucune aide accordée aux autorités camerounaises ne puisse contribuer à des violations des droits de l’homme ni les faciliter ».
Compte-rendu caviardé
L’exécutif français, comme toujours au sujet du Cameroun et quel que soit le locataire de l’Elysée, brille par son silence. Le Quai d’Orsay, interrogé par un journaliste après l’arrestation de l’opposant Maurice Kamto fin janvier, s’était dit « attentif à sa situation ». Deux semaines plus tard, suite à son inculpation pour « rébellion » et « insurrection », nos diplomates disaient être « préoccupés par ce développement judiciaire et [rester] attentifs à la situation ». Puis, les 19 et 26 février, en réponse aux questions écrites des députés Frédéric Reiss (Les Républicains) et Marie Tamarelle-Verhaeghe (LREM), le ministre des Affaires étrangères a fait savoir que « la France est profondément préoccupée » par la situation auNO-SO, mais aussi « attachée à la stabilité et à l’unité du Cameroun » (deux mots clés qui confortent Biya et le rejet de tout sécessionnisme). Et que la France allait continuer à « mener un dialogue exigeant avec les autorités camerounaises en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme. » C’est vrai que les résultats de ce dialogue entre diplomates sont tellement probants, on aurait tort d’arrêter.
Par contre, quand le député socialiste Alain David l’a interrogé sur le nombre de coopérants militaires présents au Cameroun, lors de son audition par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 13 février, le ministre a balayé la question avec mépris : « Il y a douze coopérants. Ça va ? Je ne suis pas certain, même s’ils étaient très armés… [rires] ». Le Drian parle ici des militaires et policiers au titre de la « coopération structurelle », permanente et sous la tutelle du Quai d’Orsay, à laquelle s’ajoute en fait de la « coopération opérationnelle » lors de stages de formation ou d’opérations communes du ressort d’autres ministères. Le portail de camerounais de la diaspora. Mais surtout, il évacue la dimension symbolique de ce soutien très concret, connu au Cameroun, dans ce que la presse pro-Biya appelle pudiquement « la sécurité ». C’est le « soutien constant de la France »… que Le Drian ne semble finalement pas assumer tant que ça : cette partie de sa réponse a été supprimée du compte-rendu officiel de l’audition. Dans le verbatim publié sur le site de l’Assemblée le 13 mars, Le Drian se contente d’évoquer la « préoccupation » de la France – un coup de gomme qui illustre la sincérité de cette préoccupation diplomatique.
Source : Survie