Un conseil donné amicalement par un diplomate d’un pays partenaire ne devient pas une “volonté ordonnée” par son pays, qui pourtant apporte toutes les formes de soutien au Cameroun tant en matériel militaire qu’en aide financière.
Aussitôt les personnes les plus insoupçonnables de collusion avec une tyrannie sanguinaire montent sur leurs chevaux pour se plaindre d’ingérence voire d’implication des États-Unis dans la vie politique du Cameroun.
Cet “incident diplomatique” – pour peu que c’en soit un – est en réalité venu révéler à la face du monde et singulièrement du peuple camerounais maintenu depuis 36 ans sous une chape de plomb tyrannique et implacable, combien cette dernière jouit d’infinies petites compromissions, allégeances, et complicités jusqu’ici non assumées; et surtout que beaucoup préfèrent en réalité le chaos qui se dessine inéluctablement avec la parodie de réélection annoncée d’un vieillard impotent de 85 ans, à une transition ou alternance apaisée dans ce pays dont il a hérité pacifié et relativement prospère en 1982 d’Ahmadou Ahidjo.
Le célèbre historien Achille Mbembe a sur ce plan raison d’envisager le pire dans les prochains mois, devant le jusqu’au-boutisme morbide des partisans de Paul Biya. Nous parlerons hélas bientôt de ce pays tel que nombre d’entre-nous l’avons connu – UNI – qu’au passé.
Dommage!
JDE
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CAMEROUN: L’ENLISEMENT
Il y a quelques jours, l’Ambassadeur des États-Unis a été reçu par le Président de la République, Son Excellence M. Paul Biya au pouvoir depuis novembre 1982 et l’un des Chefs d’Etat les plus âgés de la planète.
En un mot, l’Ambassadeur a relayé auprès du Président de la République le sentiment du gouvernement américain selon lequel le moment était arrivé : les États-Unis ne verraient pas d’un bon œil sa pérennité au pouvoir. Le temps était venu de passer la main.
Des élections se préparent. Tout ayant été verrouillé et au vu de la faiblesse de l’opposition et de sa fragmentation, le Président est assuré de l’emporter.
Victoire inutile, en réalité. Jamais le pays n’a autant été en conflit avec lui-même. On connaissait Boko Haram et la déstructuration d’une partie du Nord soumise à ses coups de boutoir. Pique-nique, en vérité, si l’on prend en compte la sale guerre en cours dans les régions anglophones – l’incendie de villages entiers, la fuite des civils dans les forêts, des dizaines de milliers d’exilés au Nigeria, la ponction des soldats, les multiples exactions, la violence prédatrice de l’armée et l’autre violence non moins sanguinaire des sécessionnistes, les enlèvements, décapitations, mutilations et autres formes d’éviscération.
Le tournant sanglant de ce conflit inutile, totalement auto-infligé – et donc qui aurait pu être évité – constitue un moment décisif de l’histoire postcoloniale de ce pays, et sans doute la plus grande menace au contrôle que le régime post-Ahidjo exerçait depuis 1982.
A ceci il convient d’ajouter l’intensification des antagonismes ethniques. Il est toujours hasardeux de réfléchir en termes généraux, comme si les ethnies formaient effectivement des entités stables ou des blocs tangibles. Toujours est-il que plus que jamais auparavant, nombreux sont ceux qui s’identifient de plus en plus ouvertement en tant que Bamileke ou Beti, deux des pôles belliqueux les plus usités dans les représentations publiques.
Pendant ce temps, la corruption est devenue systémique. La vandalisation du trésor public aussi. Dans un pays où les niveaux d’appauvrissement sont parmi les plus spectaculaires en Afrique, d’incroyables sommes d’argent sont détournées presque chaque semaine au vu et au su de tout le monde. Plus de 36 ans de recul dans tous les domaines ont fini par conduire à une grave impasse. Beaucoup ne savent plus ou donner de la tête. “On va faire comment?”, ne cesse-t-on de répéter à qui veut l’entendre. La prédation s’effectue à tous les niveaux de la société, chacun s’efforçant de l’externaliser et de la faire financer par plus faible que lui.
Dans ce contexte, les Américains pour une fois chercheraient-ils à anticiper? Si oui, le chemin est encore long et étroit. Il ne s’agit pas seulement de signifier à un vieux satrape que la récréation est terminée.
Si l’on ne veut pas que tout s’achève comme en Centrafrique ou au Congo sous Mobutu, ou encore par des pogroms à géométrie variable (anglophones vs francophones, Bamileke vs Beti etc…), alors il faut préparer la suite, et le plus rapidement possible.
Et d’abord en mettant sur pied une plate-forme au sein de laquelle les différents acteurs puissent renégocier la forme de l’Etat puisque tel est le différend majeur.
On le sait, le différend concernant la forme de l’Etat porte en réalité sur la redistribution équitable des pouvoirs et des richesses et opportunités entre toutes les composantes de la nation. Seule une régionalisation radicale peut permettre d’y répondre.
Élections ou pas, la base sociale du régime au pouvoir continuera de s’effriter. Et le potentiel de conflits explosifs ira croissant. L’actuel Président semble avoir perdu toute capacite ou volonté d’enrayer et la spirale du déclin, et l’engrenage sanglant. Les Américains en ont-ils conclu que son maintien au pouvoir constitue un facteur d’aggravation des risques et d’insécurité à l’échelle sous-régionale? La France, qui est une partie intégrante du “problème national camerounais”, a-t-elle une position claire sur cette question? Qu’en pensent les puissances régionales, à l’exemple du Nigeria?
La partie ne fait que commencer.
Par Achille Mbembe
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Tribune…. UN CONSEILLER SPÉCIAL DE PAUL BIYA RÉAGIT AUX PROPOS DE L’AMBASSADEUR DES ÉTATS-UNIS Par Luc SINDJOUN,
Conseiller spécial à la Présidence de la République du Cameroun
L’amitié entre Etats, comme l’amitié entre les êtres humains, est nourrie par les mamelles de la franchise et la sincérité. L’amitié sans franchise est hypocrisie ; l’amitié sans sincérité est simulation et dissimulation. L’amitié durable est celle dans le cadre de laquelle les partenaires échangent et discutent librement, reçoivent mutuellement l’un de l’autre. Mais, l’amitié n’est pas fusion de l’un dans l’autre, encore moins confusion des deux partenaires. Dans une relation d’amitié entre Etats, chaque Etat conserve son identité et assume son droit à la différence, sans préjudice du partage des valeurs communes. Il en découle une dialectique qui fait la richesse de ladite relation.
Ce sont ces considérations générales qui président à la réception in limine litis de la récente déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Cameroun ; déclaration dans laquelle il est proposé au Président de la République de penser à son héritage, à sa place dans l’histoire en s’inspirant notamment des modèles de Nelson MANDELA et de George WASHINGTON.
C’est une déclaration qui, bien qu’ayant surpris certains qui y voient une ingérence manifeste dans les affaires internes, doit être considérée comme participant de la dynamique des relations amicales entre les Etats-Unis et le Cameroun. Il ne s’agit que d’une suggestion de la part d’un ami qui ne saurait se substituer à l’auto-détermination du Président de la République et du peuple camerounais. Parce qu’il s’agit de la suggestion du représentant d’un Etat ami, d’un Etat allié dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie maritime, dans la lutte contre le SIDA et dans la promotion du développement, c’est une déclaration qui mérite attention et réflexion.
Première Considération : Prendre la déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis pour ce qu’elle est
La déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique, pour aussi médiatisée et instrumentalisée qu’elle a été, doit être prise pour ce qu’elle est, c’est-à-dire l’expression d’un point de vue.
– Il s’agit d’un point de vue qui ne saurait être considéré comme un dogme. C’est un point de vue relatif, discutable et déjà discuté sur les plans de la forme et du fond ; c’est un point de vue contredit par la fréquence et la pluralité des motions de soutien appelant à la candidature du Président de la République, M. Paul Biya, à l’occasion de la prochaine élection présidentielle. En tant que représentant d’une société ouverte et démocratique, exerçant ses fonctions dans une démocratie en voie de consolidation, l’Ambassadeur des Etats-Unis ne revendique certainement pas un quelconque monopole de la vérité. D’ailleurs, en rendant publique son opinion, il savait d’avance que l’espace public est le lieu par excellence de la contradiction et de la discussion. Et, de nombreux arguments liés aux enjeux et défis de l’heure permettent de réfuter le point de vue de l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun.
– Le point de vue exprimé par l’Ambassadeur des Etats-Unis ne saurait être considéré comme une injonction adressée au Président de la République. D’abord, parce qu’en tant que garant de la souveraineté et de l’indépendance nationales, le Président de la République ne saurait accepter la moindre pression extérieure ; ensuite, parce qu’en tant que citoyen jouissant de ses droits civils et politiques, comme de nombreux autres camerounais, M. Paul Biya est libre de présenter ou non sa candidature à l’élection présidentielle ; Enfin, parce que, comme tout être doué de raison, M. Paul Biya est le législateur de sa propre conduite.
– Le point de vue exprimé par l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun ne saurait être présenté comme un nouveau paramètre de la vie politique nationale. Au plan juridique, il est constant que le choix des dirigeants relève du domaine réservé des Etats et du droit à l’autodétermination de chaque peuple. Au plan politique, c’est au peuple souverain de choisir, en toute liberté et transparence, ceux et celles qui doivent le diriger.
– La déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun est une contribution à la réflexion du Président de la République. En fait, le Président de la République, en tant qu’il se distingue notamment par l’écoute, l’ouverture et la tolérance, reçoit constamment de nombreux messages de provenance, d’origine et de nature diverses. On peut légitimement penser que le moment venu, le Président de la République pèsera et soupèsera sur la balance de son jugement, puis décidera en privilégiant les intérêts supérieurs de la nation dont il est le garant et en tenant compte des attentes, des enjeux et des défis dont il est à la hauteur.
Au total, la déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun doit être prise pour ce qu’elle est, comme la contribution du représentant d’un Etat ami à un débat démocratique qu’il revient exclusivement au peuple camerounais de trancher, en toute liberté, dans le cadre de l’exercice de sa souveraineté.
Deuxième considération :
Les modèles ne sont pas un lit de Procuste
Dans sa déclaration, l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun propose au Président de la République, George WASHINGTON et Nelson MANDELA comme modèles. C’est une proposition fort intéressante notamment parce qu’elle montre sur quel piédestal l’Ambassadeur des Etats-Unis place le Président Paul Biya, au risque de froisser sa modestie. Toutefois, de manière générale, il convient de relever que le recours aux modèles ne doit pas consister uniquement à inciter à l’imitation, sous peine de faire de l’histoire, un éternel recommencement ou une simple reproduction à l’identique. Les modèles ne peuvent pas être érigés en lit de Procuste sur lequel l’histoire doit être couchée et taillée. De manière particulière, il y a lieu de procéder à une relecture des modèles, pour mieux se les approprier de manière dynamique.
– George WASHINGTON n’est pas un modèle politique parce qu’il avait choisi, en 1797, de se retirer de la vie publique. Il est célébré dans l’histoire des Etats-Unis en raison de sa riche carrière militaire et politique : il a été chef d’état major des troupes américaines pendant la guerre d’indépendance de 1775 à 1783 ; il a été l’un des rédacteurs de la Constitution américaine ; il a été le premier Président des Etats-Unis de 1789 à 1797. C’est ce qui en fait un héros de l’histoire américaine.
– Nelson MANDELA est un modèle politique parce qu’il a lutté durant toute sa vie pour le triomphe de l’égalité entre noirs et blancs ainsi pour l’acceptation du principe « un homme, une voix ». C’est sa contribution au démantèlement du régime d’apartheid et à la fondation d’une démocratie multiraciale qui en fait un héros.
George WASHINGTON et Nelson MANDELA ne sont pas des modèles politiques, uniquement parce qu’ils ont, l’un et l’autre, pris la décision de se retirer de la vie publique. Ils sont des modèles sur la base de leur œuvre. Ainsi, ne semble pas pertinent, le fait de proposer le retrait de la vie publique comme critère de succès d’une carrière politique. Ils sont nombreux, les cas de retrait de vie publique qui sanctionnent plutôt un échec. Ceci étant, George WASHINGTON et Nelson MANDELA sont utiles à la réflexion.
– George WAHINGTON a su conquérir et affermir l’indépendance des Etats-Unis face à la grande puissance britannique ; il a œuvré pour rendre solides, le pouvoir exécutif et l’administration fédérale. Il a montré qu’un Président doit aussi être un bon soldat, commandant des troupes.
– Nelson MANDELA a compris l’importance de la lutte contre les divisions ethniques et régionales, en s’opposant au projet de constitution fédérale pour l’Afrique du Sud. Il a milité pour un Etat unitaire décentralisé et pour une nation arc-en-ciel affirmant et intégrant toutes les différences.
Troisième considération:
La question de l’entrée dans l’histoire ne se pose pas
Dans sa déclaration, l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun marque son souci pour l’héritage du Président Paul BIYA ainsi que pour sa place dans l’histoire. C’est un souci louable de la part du représentant d’un Etat ami. Son souci respectable n’a pas lieu d’être parce que le Président Paul BIYA est déjà dans l’Histoire. Il aurait été plus convenable de laisser le soin à la postérité de juger de la place du Président Paul BIYA. Toutefois, étant donné que dans notre civilisation, la compression du temps est constante et nous somme de discuter dès aujourd’hui sur ce qui était réservé à demain, il peut être rappelé, sans prétention à l’exhaustivité, que le Président Paul Biya est déjà entré dans l’Histoire comme le Président qui a assuré la sécurité juridique de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, le Président qui a réconcilié les camerounais avec leur histoire en réhabilitant les héros de l’indépendance et de la lutte contre la colonisation, le Président qui a assuré la démocratisation de la société camerounaise, le Président qui agit pour l’accélération de l’industrialisation et envisage l’émergence à l’horizon 2035. Il s’agit là d’une entrée dans l’histoire par les actes posés et non d’un narcissisme prospectif.
La question de l’entrée dans l’histoire ne se pose pas. Gouverner la multitude, c’est entrer dans l’histoire en étant, d’abord, héritier d’un passé dont il faut préserver et consolider les acquis, ensuite, acteur décisif d’un présent qu’il faut transformer à la hauteur des attentes du peuple et en domestiquant la pression des contraintes, enfin, inventeur d’un futur conciliant le possible et le souhaitable pour le bonheur des générations futures. En s’inscrivant, par la volonté du peuple camerounais, dans le triptyque passé-présent-futur, le Président Paul Biya est déjà entré dans l’histoire. Il est aussi interpellé par l’actualité : l’actualité de la tentative de remise en cause de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale dont il est le garant ; l’actualité de l’attachement de son peuple à l’indivisibilité de la République dont il est le gardien ; l’actualité de la quête de l’émergence du Cameroun dont il a tracé les contours. Cette actualité souligne son indéniable utilité et fait de lui L’HOMME DE LA SITUATION.
LUC SINDJOUN,
Membre titulaire du Comité central du RDPC