Urbain Olanguena Awono sortira-t-il un jour de l’imbroglio judiciaire dans lequel il est plongé ? En détention préventive à la prison centrale de Kondengui (Yaoundé) depuis bientôt quatre ans, l’ex-ministre de la Santé camerounais est poursuivi, avec plusieurs de ses collaborateurs, pour détournement de fonds alloués à des programmes de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Sauf qu’au fil des audiences les chefs d’accusation s’effritent, le montant des sommes en cause fond comme neige au soleil, et les témoins à charge, ainsi que le collège d’experts judiciaires, le mettent hors de cause. Sans conséquence sur sa condition carcérale pour l’instant.
Au fil des audiences, les témoins à charge ainsi que le collège d’experts le mettent hors de cause.
De fait, la justice reste sourde et ne fait rien pour accélérer le dénouement de l’affaire. Au contraire. Ainsi, le parquet a cité vingt-quatre témoins mais n’en a entendu que quatre en un an… Pour les proches d’Olanguena, l’indépendance du système judiciaire est ici en cause : c’est le chef de l’État, Paul Biya, qui, en 2008, sur proposition de Laurent Esso, alors secrétaire général de la présidence, a donné l’ordre de procéder à son interpellation. Limogé du gouvernement un an plus tôt, celui que Paul Biya appelait jadis « fiston » est arrêté le 31 mars à son domicile et conduit dans les locaux de la police judiciaire, menotté, assis à l’arrière d’un véhicule utilitaire, sous les huées de la foule.
Les travers de l’opération Epervier
De nombreuses voix s’élèvent pour suggérer, si ce n’est l’arrêt de l’opération Épervier de lutte contre la corruption, du moins une nouvelle façon de l’aborder. Parmi elles, celle de Shanda Tonmé, président de la Commission indépendante contre la corruption et la discrimination, qui dénonce les arrestations sélectives, la lenteur de la justice et l’enlisement des procédures. Victimes emblématiques, Titus Edzoa, ex-secrétaire général de la présidence, et son bras droit Michel-Thierry Atangana, incarcérés depuis 1997 pour une première affaire, comparaissent à nouveau pour tentative de détournement de fonds. L’avocat d’Atangana, Me Rémi Barousse, espérait que la réélection du président Biya s’accompagnerait de mesures de clémence. On en est loin. À ce jour, une trentaine de personnes – six sont mortes en prison – sont détenues dans le cadre de l’opération Épervier. Parmi elles, on recense Polycarpe Abah Abah, ex-ministre des Finances, Jean-Marie Atangana Mebara, ex-secrétaire général de la présidence, ou encore l’homme d’affaires Yves-Michel Fotso. C.J.-Y.
Il est alors accusé, avec treize de ses collaborateurs – dont les secrétaires permanents des trois programmes, Maurice Fezeu (sida), Raphaël Okala (paludisme) et Hubert Wang (tuberculose) -, d’avoir détourné 14,8 milliards de F CFA (22,6 millions d’euros). En tant que président du Comité national de lutte contre le sida, il en aurait à lui seul soustrait 8,5 milliards, les inspecteurs du Contrôle supérieur de l’État pointant des prestations fictives. Au total, onze chefs d’inculpation sont retenus à l’ouverture de l’information judiciaire. Mais, au terme de l’instruction, ils ne sont plus que quatre et sont même requalifiés. Il n’est plus question de détournement de fonds, mais de violation des règles de passation des marchés publics, sur un montant de 414 millions de F CFA.
Soutien du fonds mondial
Pour Urbain Olanguena Awono, cette accusation ne tient pas pour la simple et bonne raison que, selon la loi camerounaise, les ONG et les associations ne peuvent en aucun cas soumissionner à des marchés publics. Leur mode de financement reste donc la subvention, que l’ex-ministre a accordée à différentes structures, dont l’Association camerounaise de marketing social (260 millions de F CFA). En outre, les organisations bénéficiaires des financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ont apporté la preuve qu’elles avaient effectivement perçu les sommes incriminées.
Urbain Olanguena Awono a reçu le soutien de Michel Kazatchkine, directeur exécutif du Fonds mondial (démissionnaire depuis le 24 janvier). Selon lui, « l’enquête des autorités camerounaises portant sur l’utilisation de l’argent du Fonds mondial ne se justifie pas. Le budget, les programmes et les rapports sur les subventions indiquent que l’argent a été géré de manière appropriée, et, à ce jour, le Fonds mondial n’a vu aucune preuve suggérant que ses fonds ont été mal utilisés. » Dans les pays où il intervient, le Fonds mondial ordonne des missions d’audit tous les trois mois… Michel Kazatchkine a écrit trois fois au président Paul Biya pour avoir accès au dossier d’Olanguena, sans obtenir la moindre réponse.
Yves Soue Mbella, un accusé en fuite
Les accusations perdent de leur substance chaque jour un peu plus. Après l’arrêt rendu le 13 octobre 2011, les soupçons de détournement de deniers publics ont été ramenés à seulement 91 millions de Francs CFA. L’accusé a obtenu du parquet l’annulation des poursuites sur deux des quatre nouvelles charges. Il reste à présent deux accusations : celle de détournement de 11,2 millions de F CFA lié au financement du livre Le Sida en terre d’Afrique, écrit par l’ex-ministre et dont il avait reversé la totalité des droits d’auteur au Comité national de lutte contre le sida ; et celle de détournement de 80,9 millions de F CFA relatif à la fourniture de moustiquaires imprégnées.
Attribué à la société Vision SARL, ce marché, non exécuté, avait été payé à son adjudicataire au ministère de la Santé, Yves Soue Mbella. Interpellé et placé en détention avant même le début de l’affaire Olanguena, il avait reconnu avoir usé de faux pour percevoir le montant total de la commande auprès du ministère des Finances. Incarcéré à la prison centrale de Yaoundé, il s’est opportunément évadé alors que s’ouvrait l’instruction.
De sa prison où on le dit déterminé à prouver son innocence, l’ancien ministre affirme payer pour sa proximité avec le chef de l’État et son épouse. Certains, jaloux, auraient pu en prendre ombrage. Or, selon lui, la seule façon d’obtenir de Paul Biya la mise à l’écart d’un collaborateur, c’est de lui prêter des ambitions politiques… avant de l’accuser de détournement d’argent.
Source : jeune afrique