Âgé de 75 ans aujourd’hui, Pierre Désiré Engo est un ancien haut commis de l’État qui a servi sous l’ancien régime (celui d’Ahmadou Ahidjo) notamment comme vice-ministre de l’Économie et du Plan. Puis, il sera le tout premier ministre de l’Économie et du plan de Paul Biya en novembre 1982 avant d’être nommé directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) en avril 1983, poste qu’il occupe jusqu’au 1er septembre 1999.
Au temps d’Ahmadou Ahidjo, il fut avec Paul Biya (l’actuel président de la République du Cameroun) parmi les rares ressortissants de l’actuelle région du Sud (à l’époque, la région formait une province avec le Centre et l’Est) dans le gouvernement. M. Engo a donc la particularité de ne pas être «une créature de Paul Biya». Ce sera d’ailleurs l’une des raisons profondes de sa descente aux enfers.
Autre particularité de Pierre Désiré Engo, il a été le patron d’une Caisse nationale de prévoyance sociale florissante qui avait des participations dans pas mal de sociétés publiques et parapubliques, détenait un impressionnant patrimoine immobilier, investissait dans le social (hôpitaux, écoles, etc…), assurait le paiement des salaires des fonctionnaires pendant la crise économique de la fin des années 1980 et du début des années 1990. De quoi susciter la convoitise du cercle tribalo-familial au pouvoir au Cameroun (ce que l’écrivain Enoh Meyomesse appelle le G-Bulu) qui avait déjà sans doute échafaudé un plan de mise à mort politique de Pierre Désiré Engo.
La preuve, en 1998, alors que Pierre Désiré Engo sollicite un plan de paiement de la lourde dette vis-à-vis de la CNPS, le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, un certain Edouard Akame Mfoumou (un membre du cercle) lui oppose une fin de non-recevoir. Histoire d’accentuer la crise qui secouait l’entreprise et le faire passer aux yeux des pensionnés (qui accumulaient plusieurs trimestres d’arriérés de pensions) comme le responsable de leurs misères.
Membre du bureau politique du RDPC, élite parmi les plus influentes de la région du Sud dont est originaire Paul Biya, Pierre Désiré Engo créé au milieu des années 1990 la Fondation Martin Paul Samba, du nom de ce nationaliste camerounais originaire lui-aussi du Sud-Cameroun qui a résisté à la colonisation allemande! Pour le cercle, Engo a poussé le bouchon très loin «nous ici dans le Sud, nous avons pour modèle Paul Biya mais M. Engo, originaire du Sud comme Biya prend pour référence Martin Paul Samba?», s’écrit quelques membres du cercle.
Lorsqu’en août 1999, Pierre Désiré Engo décide d’étendre les œuvres de la Fondation Martin Paul Samba sur l’étendue du territoire camerounais, c’est la panique dans le cercle.
À l’oreille du chef de l’État, ça commence à chuchoter:« Engo veut créer un parti politique concurrent au RDPC». Ce dernier sort son arme fatale: la justice. Celle à ses ordres.
Le 3 septembre 1999 (2 jours après son limogeage), sur la base d’une plainte pour détournements de deniers publics d’un certain Atangana Bengono Pierre déposé en février 1999, Pierre Désiré Engo est convoqué devant une magistrate-instructeure près le TGI du Mfoundi. Pendant plusieurs heures d’interrogatoire, les charges s’écroulent les unes après les autres. Confuse, la magistrate garde quelques minutes de silence et sort de son cabinet. Elle y revient après avoir reçu des «instructions». Celles du cercle bien entendu.
La juge sort de son chapeau deux chefs d’accusation: «trafic d’influence» et «prise d’intérêt dans un acte». Direction, le bagne de Kondengui. Le cercle exulte. Comble de cynisme, l’un d’eux se rend à la prison de Kondengui pour dire à Engo que «moi à ta place, je me tairais». En prison pour «trafic d’influence» et «prise illégale d’intérêt», les multiples procès et condamnations qui vont suivre porteront plutôt sur «chèques sans provision», «complicité de détournements de deniers publics» et «détournements de deniers publics».
En réalité, il s’agit d’histoires montées de toutes pièces par le cercle.
Pour donner du crédit et de la légitimité à ses coups tordus, un membre très influent du cercle – un certain Jean-Foumane Akame pour ne pas le nommer, frère aîné de Edouard Akame Mfoumou et tout puissant conseiller juridique de Paul Biya – dépêche une commission rogatoire (dont fait partie un avocat, neveu du membre en question, Me Ntibane Bruno et son collègue Ngalle Miano) auprès de certaines banques en France afin de trouver les «preuves de détournements» contre Pierre Désiré Engo. Mal en prend au cercle. La commission rogatoire accouche du vent.
Mais le cercle n’en démord pas.
Alors que le levier de la justice est grippé, il actionne un autre levier: la presse à sa solde. Cette dernière abreuve l’opinion d’informations aussi bien infondées qu’invraisemblables du genre «400 milliards de F CFA détournés par Pierre Désiré Engo», «Pierre Désiré Engo, propriétaire d’une banque en Guinée Equatoriale», etc.
Un autre levier actionné par le cercle: le Contrôle supérieur de l’État. Alors que Pierre Désiré Engo est incarcéré dans des conditions déplorables, l’organisme en charge de contrôler la gestion des ordonnateurs de la dépense publique lui adresse des tonnes de demande de renseignements. Mais des réponses de l’ancien patron de la CNPS, le cercle ne tire rien d’ «accablant».
Après 14 ans passés par M. Engo en prison, un décret du chef de l’État signé en février 2014 décide de gracier les prisonniers ayant purgé 10 ans et plus de prison. Tous les prisonniers concernés par cette grâce présidentielle recouvrent la liberté. Sauf Engo. Les raisons? Une affaire de 25 milliards de F CFA viré de façon frauduleuse dans un compte bancaire d’Engo en France. Une accusation pourtant démentie à maintes reprises par la banque citée dans ce virement. Mais c’est sans compter avec le jusqu’au-boutisme du cercle.
Malgré la libération de Pierre Désiré Engo en mai 2014 obtenue grâce à l’intervention des autorités françaises contactées par un de ses fils, le cercle continue de faire pendre le glaive de Thémis sur sa tête. Malgré son état de santé précaire qui nécessite une évacuation sanitaire en Europe. La commission rogatoire dépêchée par le Tribunal criminel spécial pour déterminer «le mode de transfert» de cette somme dans le compte d’Engo en France n’a toujours pas rendu de verdict. Près de 2 ans après! Parano, le cercle l’est aussi: «surtout qu’il ne rebondisse pas en politique, sinon nous sommes fichus», croit-on dans le cercle qui veut rester le seul maître du jeu, même après Biya.
Autres informations d’importance:
1° L’accusation récurrente distillée par le régime qui laisse entendre que M. Engo serait l’auteur des sévices subis par les pensionnaires alors qu’il était à la tête de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale du Cameroun: L’ordre de dépêcher les forces de l’ordre auprès de l’immeuble siège de la CNPS de Yaoundé a émané de l’ancien Préfet du département du Mfoundi (dont la capitale Yaoundé est le chef lieu), M. Samson Ename Ename, proche parent du Président Paul Biya.
2° Le Groupe de Travail sur la détention arbitraire de l’ONU a reconnu Pierre Désiré Engo comme tel en 2009, et il aura fallu plus de cinq (05) années pour que la Justice aux ordres du Cameroun se résigne à lui concéder une libération conditionnelle, en flagrante violation des différentes recommandations de l’Avis des Nations Unies, notamment celles relatives à sa réparation pour préjudices matériel et moral.
Source: Soutenons Les Prisonniers Politiques Camerounais