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Au Cameroun, une CAN dans un climat social et politique tendu
Quatre semaines de compétition, 24 équipes africaines, des journalistes et des officiels du monde entier… Comme tout rendez-vous de cette ampleur, la 33e Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football, qui commence dimanche 9 janvier au Cameroun, va avoir un effet loupe sur la situation du pays.
Unité nationale autour d’une passion commune, le football, ou fenêtre d’opportunité pour faire résonner des revendications, la CAN sera-t-elle une période de trêve ou l’occasion pour les voix critiques de se faire entendre ?
Le Dr Hilaire Kamga, porte-parole de la Plate-forme de la société civile pour la démocratie au Cameroun, rappelle que la compétition intervient dans un contexte socio-économique difficile pour une grande partie des citoyens. « La CAN arrive à un moment où on vient de voter un budget qui pose beaucoup de problèmes aux Camerounais. Des frais de transferts via la téléphonie mobile sont entrés en vigueur. Les prix des produits de première nécessité ont flambé sur les marchés. Cela crée une tension sociale. »
Une cinquantaine d’opposants condamnés à la veille de la CAN
Des difficultés de la vie quotidienne auxquelles s’ajoute un climat politique que Louis Marie Kakdeu qualifie de « délétère ». Cet enseignant-chercheur en sciences de la communication à l’université de Maroua, dans l’extrême-nord du Cameroun, rappelle que vendredi 31 décembre, quatre militants du collectif Stand Up for Cameroun, détenus depuis septembre 2020, ont été condamnés à seize mois de prison ferme par un tribunal militaire de Douala pour « insurrection ».
Quelques jours plus tôt, lundi 27 et mardi 28 décembre, on apprenait la condamnation de 54 membres du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), parti de l’opposant Maurice Kamto, arrivé officiellement deuxième à la présidentielle de 2018. « Le pouvoir en place est dans une dynamique sécuritaire. Pour donner un signal à ceux qui voulaient profiter de la CAN pour faire des revendications, il a donc choisi, à la veille de la CAN, d’alourdir les condamnations [des militants du MRC détenus, eux aussi, depuis septembre 2020, NDLR]. Parmi les opposants, certains hésitent et se demandent s’il faut participer ou boycotter la CAN. »
Incertitudes sur les formes de contestation
Observateur, lui aussi, de la vie politique camerounaise, Paul Joel Kamtchang de Adisi Cameroun, organisation qui travaille sur les libertés publiques, s’attend, malgré la récente consigne de Maurice Kamto appelant à ne pas critiquer la CAN, à des prises de position des détracteurs du pouvoir durant la compétition et à une mobilisation surtout sur les réseaux sociaux.
« Ils ont promis [en décembre, NDLR] qu’ils allaient profiter de la CAN pour se faire entendre aussi bien par le monde entier que par le régime de Yaoundé sur certaines complaintes formulées depuis la présidentielle 2018. Donc, la CAN ne pourra pas être calme comme on a l’impression d’observer, prévoit-il. Il est possible que l’on assiste sous quelque forme que ce soit à l’expression de critiques pour justement profiter de la fenêtre de la CAN. C’est tout le monde entier qui aura à la fois les oreilles et les yeux rivés sur le Cameroun. »
Jeudi, les représentants de la société civile ont tenu une conférence de presse exprimant leurs préoccupations quant aux sentences prononcées la dernière semaine de décembre. Ils « attirent l’attention du chef de l’État et de l’opinion nationale et internationale sur les risques de troubles sociaux que peuvent engendrer la multiplication des violations des libertés publiques. »
À ce jour, seul un député du parti Social Democratic Front (SDF), Jean Michel Nintcheu a déposé une demande formelle d’autorisation pour une marche pacifique à Douala ce samedi 8 janvier, veille de la CAN. Dans son courrier adressé aux autorités, il dit vouloir attirer l’attention sur la guerre qui perdure depuis cinq ans dans les régions à majorité anglophone du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
► À réécouter : Cameroun: le pays déchiré par le conflit en zone anglophone
Les combattants séparatistes de ces zones, quant à eux, pourraient tenter de mener des actions durant la CAN alors que des matchs sont prévus à Limbé et des entraînements à Buéa. Les autorités camerounaises ont déployé un important dispositif militaire pour assurer la sécurité durant la compétition.
L’occasion de présenter une image positive du Cameroun pour les autorités
Les autorités ont, elles aussi, des messages à faire passer pendant la CAN. Pour Louis Marie Kakdeu, « ce sera l’occasion pour le régime de Paul Biya, qui doit célébrer cette année ses quarante ans à la présidence, de tenter de se refaire une petite santé populaire. »
Le Dr Hilaire Kamga estime qu’il ne faut pas s’attendre à un « changement de logiciel » de la part du gouvernement ou du parti majoritaire, le RDPC. Les manifestations hostiles ne seront pas autorisées. En revanche, chants et danses folkloriques seront organisés. Des militants seront sans doute mobilisés le long des routes arborant des portraits du chef de l’État. Tout sera fait pour que l’accueil soit festif.
En cette période d’incertitudes que fait peser la pandémie de Covid-19 et le nouveau variant Omicron, il est important aussi pour Yaoundé que cette CAN soit une réussite sur le plan logistique.
Le pays, présenté comme terre de football, n’a pas organisé la compétition depuis 1972. Elle aurait dû avoir lieu en 2019 mais a été à plusieurs reprises repoussée. Des investissements massifs ont été débloqués pour la construction et la rénovation de stades, avec deux infrastructures spectaculaires : les stades d’Olembe à Yaoundé et de Japoma à Douala.
Les autorités espèrent une réussite sur le plan sportif aussi. Les Lions indomptables camerounais ont remporté cinq fois la CAN dans leur histoire. Jusqu’où iront-ils cette fois ?
Passionné de football, il y a un mois déjà, Mathias Eric Owona Nguini, professeur de sciences politiques et vice-recteur de l’université de Yaoundé 2, était impatient.
« Toutes les grandes compétitions sportives, Jeux olympiques, Coupes du monde et autres sont des vitrines événementielles qui peuvent permettre de redorer l’image d’un pays. Et on a déjà vu cela pour le Cameroun à l’occasion de l’organisation du CHAN. Et les Lions indomptables sont, du point de vue symbolique, un des liens forts du pays. Quand les Lions indomptables jouent, tout le Cameroun est derrière eux. Et nous espérons bien que les Lions indomptables remporteront leur sixième victoire devant leur public. »
Enfin, verra-t-on Paul Biya dimanche à la cérémonie d’ouverture de la CAN ? Un président aux apparitions et aux prises de parole rares.
Dans son discours pour la nouvelle année, il a invité les Camerounaises et les Camerounais à « se mobiliser massivement pour faire de cette CAN la plus belle fête du football organisée sur le continent ». « Rappelons au monde que nous sommes une grande nation », a-t-il ajouté.
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Football : au Cameroun, la Coupe d’Afrique du président Paul Biya
Après maints reports et rumeurs d’annulation, la CAN doit commencer à Yaoundé le 9 janvier. Une victoire pour l’inamovible chef de l’Etat camerounais, qui attend ce moment depuis plus de sept ans.
Combien de fois a-t-il espéré ce moment ? Paul Biya doit donner, dimanche 9 janvier au stade Olembé de Yaoundé, le coup d’envoi de la 33e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football. Il s’apprête à en savourer chaque instant. Le président du Cameroun attend ce jour depuis si longtemps.
En regardant le trophée, le chef d’Etat va certainement rêver aussi du soir de la finale, prévue le 6 février, où il se verrait bien remettra la coupe dorée à ses « chers Lions Indomptables », son équipe nationale. Lors de ses vœux de fin d’année, il les a exhortés « à donner le meilleur [d’eux]-mêmes pour que cette fête du football se termine en apothéose ».
Mais avant même le match d’ouverture face au Burkina Faso, il y a déjà une victoire que Paul Biya entend célébrer. Celle d’avoir réussi à organiser dans son pays le plus grand événement du sport africain. Certes, il lui a fallu être patient. Mais à 88 ans et après trente-neuf années accroché au pouvoir, le président connaît mieux que personne la valeur du temps.
Pas d’infrastructures adaptées
Il doit quand même lui sembler loin, ce 21 septembre 2014 où, lors d’un congrès à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, la Confédération africaine de football (CAF) avait attribué au Cameroun l’organisation de sa compétition phare pour l’année 2019. Issa Hayatou, puissant président camerounais de la Confédération africaine de football (CAF) depuis 1988, était alors au sommet de son influence.
« Tout le Cameroun est mobilisé pour relever un défi que le chef de l’Etat considère comme une cause nationale », expliquait Pierre Ismaël Bidoung Kpwatt, ex-ministre des sports, en 2018
« Le Cameroun ne disposait d’aucune infrastructure aux normes internationales », se souvient Charles Mongue-Mouyeme, consultant spécialisé dans le football camerounais. Le pays de Paul Biya a alors cinq ans pour construire deux enceintes sportives et adapter les autres au cahier des charges particulièrement strict qu’exige la compétition. Les travaux vont mettre deux ans avant de débuter. « Nous avons accusé un gros retard à l’allumage, le démarrage des chantiers pourtant colossaux a été vraiment poussif », concède Charles Mongue-Mouyeme.
La CAN féminine 2016 sert de galop d’essai et permet d’accélérer le rythme de la remise aux normes du stade de Limbe (dans la région sud-ouest du pays) et de la rénovation complète de l’enceinte Ahmadou Ahidjo, à Yaoundé. Mais, officiellement à cause de mauvaises conditions climatiques, les travaux s’éternisent et le tournoi féminin commence près de quarante jours plus tard que prévu.
24 équipes au lieu de 16
En finale, les Camerounaises s’inclinent (1-0) face aux Nigérianes, mais ce n’est pas ce qui soucie les observateurs de la CAF : à quatre ans du coup d’envoi de la CAN, les différents chantiers à Bafoussam, Garoua, Douala et Yaoundé avancent très – trop ! – lentement.
En mars 2017 à la surprise générale, Issa Hayatou n’est pas réélu pour un huitième mandat à la tête du football africain. Ahmad Ahmad, le Malgache, qui lui succède, entend faire passer la compétition de 16 à 24 équipes avec le soutien de la Fédération internationale de football (FIFA). Pour les organisateurs camerounais, cette décision implique qu’il faut ajouter deux sites aux quatre initialement prévus. Le pays des Lions indomptables accepte de relever le challenge « par orgueil plus que par raison », explique Charles Mongue-Mouyeme.
En 2018, Paul Biya a fait du maintien de la CAN 2019 dans son pays un argument de campagne présidentielle
Ahmad Ahmad a de sérieux doutes. « Même avec une CAN à quatre équipes, le Cameroun n’est pas prêt », tacle-t-il, en août 2017, lors d’une conférence de presse au Burkina Faso. Paul Biya réplique dans la foulée : « La CAN 2019, c’est déjà demain. Le pays sera prêt le jour dit, j’en prends l’engagement. »
Les visites d’inspection de la CAF s’enchaînent. Paul Biya s’implique personnellement et, lors de l’élection présidentielle d’octobre 2018, qu’il remporte pour la septième fois, il fait du maintien de la CAN 2019 dans son pays un argument de campagne. « Sous l’impulsion du chef de l’Etat, tout le Cameroun est mobilisé pour relever un défi qu’il considère comme une cause nationale », déclare alors Pierre Ismaël Bidoung Kpwatt.
Mais le couperet tombe. Le 30 novembre 2018, la CAF retire la compétition au Cameroun à cause de retards accumulés « en matière d’infrastructures et de sécurité », et la repousse à 2021. L’instance faîtière du football africain attribue, quelques semaines plus tard, l’organisation de l’édition 2019 à l’Egypte, où elle siège. L’humiliation est forte pour les Camerounais. « Cette décision, étonnante à plus d’un titre, ne rend assurément justice ni aux investissements colossaux consentis, ni à l’engagement du chef de l’Etat et du peuple camerounais », s’emporte Issa Tchiroma Bakary, porte-parole du gouvernement de l’époque.
Surfacturations et malversations
Le Cameroun, qui a demandé que le tournoi se joue en hiver et non en été, à cause de conditions climatiques plus favorables, bénéficie de dix-huit mois supplémentaires pour se préparer. « Mais, à cause de surfacturations, de malversations et autres tripatouillages dans la gestion des fournisseurs, les choses se sont très mal engagées », se souvient Charles Mongue-Mouyeme. L’organisateur « profite » alors d’un évènement que personne n’avait prédit : l’irruption de la pandémie de Covid-19. A partir de mars 2020, la plupart des événements sportifs sont reportés, et la CAN n’y échappe pas : le tournoi est repoussé à début 2022.
Cet ultime délai n’empêche pas les retards de continuer à s’accumuler au stade Olembé – dont les travaux ont commencé il y a douze ans –, donnant de nombreuses frayeurs à Paul Biya. A trois mois du coup d’envoi, son gouvernement se mobilise pour organiser des visites sur les différents sites avec la presse internationale et tenter de rassurer. Mais jusqu’au début de décembre 2021, le doute est entretenu sur le maintien de la cérémonie d’ouverture dans ce nouvel écrin de 60 000 places, qui doit être baptisé « Complexe sportif Paul Biya ».
Le rebond de la pandémie, avec la propagation du variant Omicron, fait aussi craindre un énième report, voire une annulation. La rumeur est nourrie par les pressions des clubs européens : plusieurs d’entre eux adressent un courrier à la FIFA pour faire part de leurs inquiétudes concernant l’absence prolongée des internationaux africains sélectionnés, qui devront observer une période de quarantaine à leur retour en Europe.
Contexte sécuritaire tendu
En coulisses, Samuel Eto’o, élu mi-décembre à la tête de la fédération camerounaise, pèse de tout son poids pour le maintien de la compétition. « Le 9 janvier, je viendrai voir le match d’ouverture », tranche finalement le nouveau patron de la CAF, le Sud-Africain Patrice Motsepe, le 22 décembre, lors d’une visite au Cameroun. Côté protocole, les supporters devront être entièrement vaccinés et présenter un test PCR négatif de moins de 72 heures pour assister aux matches.
Mais une autre menace plane sur la compétition. Entre, d’un côté, la guerre civile opposant, depuis 2017, l’armée et les séparatistes des régions anglophones et, de l’autre, les risques d’attaques des djihadistes de Boko Haram et du groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest, le tournoi va se disputer dans un contexte sécuritaire particulièrement tendu. « Quand M. Biya parle d’ambiance festive, il fait preuve d’un très grand cynisme, déplore Jean-Michel Nintcheu, député du Social Democratic Front, le principal parti d’opposition. Le Cameroun est en guerre dans le nord-ouest et le sud-ouest [régions habitées principalement par la minorité anglophone], et cette guerre a fait des milliers de morts. »
Une marche pacifique est prévue le 8 janvier pour appeler, entre autres, à la résolution du conflit et à la libération de prisonniers politiques et anglophones. « Une manifestation proche de la CAN pour mettre suffisamment de pression sur le régime, mais sans gâcher l’évènement », conclut Jean-Michel Nintcheu.
Pierre Lepidi et Josiane Kouagheu(Douala, correspondance)