Comment voulez-vous que des pays promis à un bel avenir au lendemain de leurs indépendances, regorgeant d’infinies richesses naturelles et de jeunes générations ouvertes sur le monde…. puissent se développer étant littéralement enchaînés par le pacte colonial françafricain scellé – via le Franc CFA et les accords de coopération – entre la France et certains de ces roitelets crapuleux et sanguinaires éternellement adoubés dans les médias hexagonaux???
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Il n’y a objectivement aucune raison d’espérer un décollage économique dans cette partie de l’Afrique noire francophone, si les générations remuantes ne décident pas avec l’aide du reste de la communauté internationale d’y mettre définitivement un terme.
Car ce sont les mêmes soutiens français des Sassou, Biya, Bongo, Déby…qui se plaignent d’une montée du sentiment anti-français en Afrique noire francophone, après être parvenus depuis des décennies à maintenir ces vampires à la tête de ces États prometteurs en occultant leurs crimes.
JDE
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En Afrique, « la démocratie n’est plus “un luxe” mais un objectif revendiqué »
Chronique
Philippe Bernard
Au Sénégal, où des émeutes meurtrières ont suivi l’arrestation du principal opposant au président, la colère de la rue dénonce d’abord une trahison de la démocratie, observe Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.
Chronique. Cette année-là – 1990 –, Jacques Chirac considérait la démocratie comme « une sorte de luxe » pour l’Afrique. La fin de la guerre froide annonçait alors, grâce à la mobilisation des sociétés civiles, l’éclosion du multipartisme sur un continent où l’Ouest comme l’Est avaient, depuis la décolonisation, nourri une pléthore de tyrans ou d’autocrates à leur botte.
A la tête du Sénégal indépendant depuis 1960, Léopold Sédar Senghor avait formellement reproduit les institutions françaises qu’il avait lui-même servies en tant que député et ministre. Sous sa houlette autoritaire mais éclairée puis sous celle d’Abdou Diouf, le pays a domestiqué progressivement le multipartisme. Il a attendu l’an 2000 pour connaître sa première alternance politique pacifique. Une rareté en Afrique à l’époque.
Abdoulaye Wade, le vieil opposant élu cette année-là, puis réélu en 2007, a tenté ensuite de se cramponner au pouvoir. Mais les Sénégalais l’ont remercié par les urnes et il a dû céder la place en 2012 à l’actuel président, Macky Sall. Le Sénégal, modèle de stabilité qui n’a jamais connu de coup d’Etat, est un Etat pauvre où la croissance démographique (+ 2,7 % par an) absorbe une bonne part de la croissance économique, elle-même en berne pour cause de Covid. Mais la vie démocratique y est intense, et la liberté d’expression réelle. C’est un pays où le perdant à l’élection présidentielle reconnaît sa défaite le soir du vote.
Colère de la rue
Cette « exception sénégalaise » semble aujourd’hui menacée. Les émeutes meurtrières déclenchées par l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, accusé de viol par Adji Sarr, employée d’un salon de massage, n’ont cessé qu’après sa remise en liberté et la médiation de leaders religieux. La crise politique perdure, alimentée par de multiples facteurs : vie chère, absence de perspectives, effondrement de l’emploi informel – le seul pour 95 % des jeunes −, notamment dans le tourisme du fait de la pandémie. La disparition en mer, par centaines, de candidats à l’émigration, reflète l’état de désespérance de la jeunesse auquel le pouvoir n’offre guère de réponse.
Mais la colère de la rue dénonce d’abord une trahison de la démocratie : l’instrumentalisation de la justice pour éliminer le premier challenger du chef de l’Etat. Le degré de rage est tel que la vérité sur les actes reprochés à M. Sonko, qui se présente en parangon de vertu, n’est plus au centre du débat en dépit du témoignage public de la jeune masseuse. Il faut dire que Macky Sall a déjà utilisé des procédures judiciaires pour écarter deux autres concurrents. Aucun Sénégalais n’a oublié la déclaration glaçante du président : « Je veux réduire l’opposition à sa plus simple expression. »
Pour ajouter au trouble, M. Sall, élu en 2012 sur la promesse de « donner l’exemple » en Afrique en réduisant de sept à cinq ans la durée du mandat présidentiel, a refusé d’appliquer à son premier mandat cette réforme approuvée en 2016 par référendum. Alors que la Constitution limite à deux le nombre de mandats et qu’il a été réélu en 2019, Macky Sall n’exclut pas de se représenter… en 2024. Une perspective insoutenable pour la population qui lie maintien au pouvoir, inertie et corruption.
Situations variées
« L’obsession du pouvoir ne vient ni de notre climat ni de notre couleur de peau, observe l’écrivain guinéen Tierno Monénembo dans Le Point. Le pouvoir est une drogue. C’est pour cela qu’il faut lui fixer des limites. » Cette question de la limitation des mandats présidentiels est au centre du débat démocratique dans l’Afrique entière. Car trente ans après la grande vague du multipartisme, la démocratie n’est plus « un luxe » mais un objectif revendiqué. « L’élection fait désormais partie du paysage africain. On vote dans tous les pays sauf l’Erythrée à raison d’une vingtaine de scrutins par an [sur 54 Etats], résume Pierre Jacquemot, auteur du livre De l’élection à la démocratie en Afrique 1960-2020 (Fondation Jean-Jaurès, 2020, consultable ici en PDF). Mais la maturité démocratique n’est pas totalement acquise. »
L’ancien ambassadeur décrit des situations variées oscillant entre la « maturité », comme au Sénégal ou au Ghana, et l’appropriation familiale du pouvoir, comme au Gabon et au Togo, où l’on « préside » de père en fils depuis plus d’un demi-siècle. Au total, une douzaine de chefs d’Etat sont en poste depuis plus de vingt ans, dont Paul Biya (Cameroun), Denis Sassou-Nguesso (Congo) et Yoweri Museveni (Ouganda). Car le mouvement vertueux s’est inversé.
« Depuis le début du XXIe siècle, nous assistons à un mouvement de révision ou de suppression des clauses limitant à deux le nombre de mandats pour un même président [République démocratique du Congo, Rwanda, Cameroun, Tchad, Guinée, Côte d’Ivoire, Togo, Ouganda, Burundi, etc.] pour permettre aux dirigeants de se maintenir ad vitam aeternam au pouvoir », constate, dans la revue Esprit, Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Abstention majoritaire
Banalisé, le rituel électoral est loin de traduire l’enracinement de la démocratie. Les programmes électoraux manquent de contenu, le scrutin est souvent perçu dans une logique de redistribution clanique des avantages et l’abstention est majoritaire, en particulier chez les jeunes. Alors que la majorité des Africains a moins de 20 ans, les dirigeants sont souvent des vieillards : 79 ans pour Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), 83 ans pour Alpha Condé (Guinée) et 88 ans pour Paul Biya (Cameroun).
Ce n’est pas la limite d’âge qui menace Macky Sall, 59 ans, mais son refus obstiné d’exclure qu’il briguera un troisième mandat, ce qui violerait la Constitution et ruinerait l’exemplarité du Sénégal. Alors que faiblissent les indicateurs africains de la santé démocratique et que le Mali voisin se désintègre, le « pays de la teranga » (« hospitalité » en wolof) fait figure de « canari dans la mine ». Qu’il vacille, et le coup de grisou n’est pas loin.