LISONS LE:
LA QUESTION CAMEROUNAISE AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU
Longtemps niée par les apôtres locaux de l’immobilisme, la crise camerounaise n’a cesse de s’aggraver. Gérée a huis-clos par un gouvernement aux abois, qui ne pense plus qu’en termes de “complot”, elle menace désormais la paix régionale et commence, a ce titre, a préoccuper les acteurs internationaux.
Et d’abord les organisations de défense des droits de l’homme dont les rapports n’ont cesse de s’accumuler au cours des dernières années.
Dope au discours vide de la “souveraineté nationale” et de “l’anti-impérialisme” alors que dans les faits il n’est qu’une courroie de transmission des intérêts étrangers, le gouvernement les a fièrement ignorées.
Au passage, il a couvert d’ignominie les voix (y compris celle de l’Ambassadeur des États-Unis) qui s’efforçaient de lui faire entendre raison ou l’encourageaient a faire honnêtement face a la détérioration de la situation.
Plus grave encore, il a intimide et stigmatise ceux qui osaient le braver, et jete en prison des centaines de ses propres citoyens pour lesquels près de 40 ans de brutalités et de prédation ne sont plus guère acceptables.
Quelque soit le point de vue a partir duquel on l’envisage, la crise en cours ne peut plus être considérée comme une simple affaire intérieure.
Petit a petit, elle est en train de se transformer en une affaire internationale, nonobstant les appels de circonstance au patriotisme, voire a “l’oubli et a la réconciliation” (mais – et comme par miracle – pas a la justice et a la responsabilité).
Dans sa myopie, le gouvernement camerounais aura largement contribue a “internationaliser” ce qui, au départ, aurait pu faire l’objet d’un traitement politique, a savoir, comme ne cessent de le répéter les plus lucides, la forme de l’état et les conditions de sa relégitimation.
Il a d’abord cherche a “décapiter” toute opposition, en droit fil d’une pratique du brutalisme héritée de l’époque coloniale, exacerbée au lendemain de l’indépendance a la faveur des “lois d’exception” des années 1960, et intensifiée au moment de l’adoption en 2014 d’une loi contre le terrorisme qui, en plus de militariser la justice, a achevé de criminaliser toute forme de contestation.
Aujourd’hui, la plupart des interlocuteurs potentiels du gouvernement sont incarcérés. De nombreux autres sont détenus au secret dans des centres formels et informels ou ils sont soumis a des traitements cruels et dégradants.
La technique est connue. On nie tout en bloc. On prend prétexte d’un chaos a venir (que l’on a fomente pendant près de 40 ans) pour s’opposer a tue-tête a tout dialogue. On refuse de parler aux siens. Pas même aux Évêques et autres autorités religieuses.
S’étant prive d’interlocuteurs locaux, le gouvernement devra désormais, s’il n’y prend garde, répondre de ses actes devant la “communauté internationale”.
Récuser l’interventionnisme, en souligner les travers, ou s’y attaquer frontalement au nom d’un panafricanisme de circonstance ou d’un souverainisme de pacotille n’y changera strictement rien.
Pour le reste, la crise camerounaise a au moins trois dimensions.
Elle est, dans l’immédiat, humanitaire.
Mais elle est surtout politique. Et, plus profondément encore, culturelle.
Elle est d’autant plus périlleuse que vient s’y greffer une menace explosive – la succession d’un vieux tyran absent, malade et exténue, dans un contexte de confusion institutionnelle extrême et de privatisation armée du pouvoir.
Dans ce contexte, toute tentative de mettre en place une succession masquée, “de gré a gré”, de père en fils, ou d’époux a épouse, derrière le paravent de hauts fonctionnaires bénis a l’occasion par des officiers de l’armée, des unités spéciales, de la police ou du renseignement risque de faire exploser pour de bon un édifice en train de prendre de l’eau de toutes parts, et d’ores et déjà vermoulu.
Traiter l’aspect humanitaire de la crise en laissant de cote l’aspect politico-constitutionnel serait une grave erreur.
Les deux sont intimement lies.
Ce qu’il faut organiser, c’est la fin effective d’un régime dont le bilan aura ete, de bout en bout, calamiteux.
Le temps d’une transition en bonne et due forme et en bon ordre est donc venu. Et si la “communauté internationale” veut être utile, c’est cet objectif qu’elle doit viser.
Une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU aura bel et bien lieu dans les jours qui viennent.
Les Camerounais ne doivent pas se méprendre sur sa nature, ni sur ce qu’il faut en attendre. Aurions-nous été a la hauteur de l’histoire, et aurions-nous fait corps comme les Algériens, les Soudanais et d’autres peuples, nous n’en serions pas la. N’y étant guère parvenus nous-mêmes, nous ne sommes pas en droit d’exiger des autres qu’ils nous libèrent a notre place.
Dans tous les cas, la reunion se fera selon la “formule Arria”.
Il s’agit, pour faire court, d’une réunion informelle. Convoquée par l’un des membres du Conseil de Sécurité, elle donnera l’occasion aux autres membres d’entendre des voix franches et directes sur la situation qui prévaut dans le pays.
N’y ayant guère été invites, nous ne pouvons qu’émettre un vœu et un seul.
Il faut souhaiter que ces voix franches ne s’expriment pas seulement au sujet de la dimension humanitaire de la crise.
Mais qu’elles aillent a la racine de la tragédie sous nos yeux, la nécessité d’organiser le passage d’une tyrannie de pres d’une quarantaine d’années a une forme moderne de l’Etat dont “la démocratie des communautés” deviendrait le pilier.
Achille MBEMBE