Hong Kong: le patron de presse pro-démocratie Jimmy Lai remis en liberté sous caution
Le magnat des médias hongkongais Jimmy Lai, arrêté lundi lors d’une opération de police au nom d’une loi sécuritaire imposée par la Chine, a été libéré mardi soir, a constaté un journaliste de l’AFP.
Jimmy Lai, magnat de la presse hongkongaise et figure du mouvement pro démocrate, a été remis en liberté sous caution dans la nuit de mardi à mercredi tandis que son journal, l’Apple Daily, a affiché sa volonté de poursuivre le combat.
Le propriétaire du journal, âgé de 71 ans, est sorti de détention flanqué de ses avocats.
Une foule de ses partisans l’attendaient devant le commissariat de police où il était détenu. Ils ont promis de « combattre jusqu’au bout » et de soutenir l’Apple Daily en s’engageant à « se procurer une pomme (apple) par jour ». Jimmy Lai s’est engouffré dans une voiture sans faire de déclaration.
Mardi, au lendemain de la perquisition au siège du tabloïd et de l’arrestation de son propriétaire pour soupçon de collusion avec des forces étrangères, et comme un défi aux autorités, le quotidien avait publié en première page une photo du magnat de la presse, menotte aux poignets, et promis de poursuivre le combat.
« Néanmoins, les prières et encouragements de nombreux lecteurs et rédacteurs nous permettent de croire que tant qu’il y aura des lecteurs, il y aura des rédacteurs, et que l’Apple Daily va certainement continuer de se battre », ajoute-t-il.
Plus de 500 000 exemplaires du journal avaient été imprimés, contre 100 000 habituellement, pour rendre compte de l’arrestation de Jimmy Lai sur la base de la nouvelle loi de sécurité nationale imposée par Pékin à la « région administrative spéciale » de Hong Kong.
Jimmy Lai est pour l’instant la figure la plus importante du mouvement pro démocrate à avoir été arrêté en vertu de cette loi contestée, entrée en vigueur le 30 juin dernier pour combattre la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec des forces étrangères.
Ses détracteurs y voient une étape supplémentaire dans la reprise en main par le pouvoir central chinois de l’ancienne colonie britannique, au mépris du principe « un pays, deux systèmes » qui a présidé à sa rétrocession, en 1997.
En Chine continentale, la presse officielle a déclaré que l’arrestation de Jimmy Lai montrait ce qu’il en coûtait de « danser avec l’ennemi ».
La militante pro-démocrate Agnes Chow, qui avait été elle aussi arrêtée lundi, a été libérée sous caution tard mardi soir. Chow appartenait comme Joshua Wong au mouvement Demosisto, qui a décidé de se dissoudre avant même que la loi sur la sécurité nationale n’entre en vigueur.
Les Hongkongais se mobilisent après l’arrestation de deux figures du mouvement démocratique
L’arrestation d’Agnes Chow, figure de proue de la jeunesse, et celle de Jimmy Lai, magnat de la presse d’opposition, ont fait réagir les habitants. Ils ont acheté en masse le tabloïd, « Apple Daily », fondé par M. Lai.
Par Florence de Changy
Lundi 10 août restera sans doute une « journée noire » dans les annales de la liberté d’expression à Hongkong. A 7 heures du matin, la police s’est présentée avec des mandats d’arrêt et de perquisition au portail de la grande villa du célèbre magnat de la presse de Hongkong, Jimmy Lai, 71 ans, bailleur de fonds du mouvement démocratique de Hongkong et fondateur du Apple Daily, quotidien d’opposition très populaire. Jimmy Lai a été emmené, poignets menottés dans le dos, au siège de son groupe de presse NextDigital, pendant que sa résidence était fouillée.
A la nuit tombée, ce fut au tour de l’étudiante en sciences politiques et militante prodémocratie Agnes Chow, 23 ans, d’être arrêtée chez elle. Agnes Chow a cofondé avec Nathan Law, 27 ans (élu député en 2016, puis « disqualifié » et, à présent, en exil à Londres), et Joshua Wong, 23 ans, le parti Demosisto, à présent dissous. Ils l’avaient lancé en 2016, à la suite du « mouvement des parapluies » de 2014, au cours duquel des centaines de milliers d’étudiants, de lycéens et même de collégiens s’étaient mobilisés pour réclamer, en vain, une « vraie démocratie ». Selon les informations postées sur son compte Facebook, Agnes Chow aurait été arrêtée pour « incitation à la sécession en vertu de la loi sur la sécurité nationale ».
Entre ces deux arrestations hautement symboliques, qui frappent au cœur du mouvement prodémocratie, la police a arrêté huit autres personnes, parmi lesquels deux jeunes militants ainsi que les deux premiers fils de Jimmy Lai, Timothy et Ian, ainsi que plusieurs membres de la direction du journal Apple Daily, dont les logements ont également été perquisitionnés.
En fin de soirée, la police a indiqué avoir arrêté neuf hommes et une femme, de 23 à 72 ans, soupçonnés de « collusion avec des forces étrangères », un crime couvert par la nouvelle loi de sécurité nationale, ainsi que de « complot en vue de fraude ». La loi de sécurité nationale, mise au point par Pékin et promulguée à Hongkong le 30 juin, punit les crimes de subversion, de sécession, de terrorisme, et de collusion avec des forces étrangères. Les peines de prison peuvent aller jusqu’à la perpétuité dans les cas très vaguement qualifiés de « graves » par le texte.
Du « jamais-vu »
La loi a pour but officiel de restaurer l’ordre dans l’ancienne colonie britannique où la contestation antigouvernementale enfle depuis l’été 2019, ayant pris à plusieurs reprises la forme de manifestations ou d’actions violentes. Mais l’opposition prodémocratie estime que cette loi vise essentiellement à faire taire toute forme de contestation ou de critiques tant du gouvernement local que des autorités centrales à Pékin, alors que la liberté d’expression est explicitement garantie par la Basic Law, la mini-Constitution de Hongkong, mise en place avant la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine en 1997.
En milieu de matinée lundi, ce sont deux cents policiers qui ont débarqué sur le site de NextDigital, à Tseung Kwan Ho, où le Apple Daily est réalisé et imprimé. Alors que l’enquête semble chercher à établir des fautes de gestion de l’entreprise (notamment le non-respect d’une clause du bail), des dizaines de policiers ont également parcouru l’immense salle de rédaction. Quelques altercations verbales, filmées en direct, ont eu lieu entre journalistes et forces de l’ordre. Les témoins sur place ont constaté que la plupart des policiers déployés sur place tournaient en rond, sans autre mission que de faire acte de présence.
Chris Yeung, le président du syndicat de la presse locale, HKJA (la Hong Kong Journalists Association), a déclaré au Monde qu’une intervention de cette ampleur avait un effet « terrifiant pour les journalistes », affirmant que c’était du « jamais-vu » à Hongkong. « La police qui arrête le fondateur et les dirigeants d’un journal, et qui fait une descente dans une salle de rédaction, je pense que l’on peut considérer cette date comme le jour officiel de la mort de la liberté de la presse à Hongkong », a déclaré Keith Richburg, ancien chef de bureau du Washington Post à Paris, qui dirige aujourd’hui le département de journalisme à l’université de Hongkong.
Selon l’Oriental Daily News, principal concurrent du Apple Daily, un mandat d’arrêt a également été émis à l’encontre du plus proche collaborateur de Jimmy Lai, Mark Simon, citoyen américain. Joint par messagerie lundi, Mark Simon nous a indiqué se trouver aux Etats-Unis actuellement et ne pas être au courant du mandat d’arrêt le visant.
« Un prêté pour un rendu »
Par solidarité, tant avec le groupe de presse populaire qu’avec son dirigeant, dont la témérité face à Pékin impressionne, les Hongkongais se sont précipités pour acheter en masse le journal. Et le Apple Daily de mardi s’est arraché comme jamais. Sa « une », tristement historique, montre l’arrestation de son opiniâtre fondateur barrée des caractères chinois « Apple Daily poursuivra le combat » tandis que l’éditorial évoque le « jour le plus sombre ».
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Des queues se sont formées dès 2 heures du matin devant certains kiosques. « C’est juste pour montrer au Parti communiste chinois que s’ils s’en prennent à nos libertés, nous allons nous défendre de plus belle », a déclaré à RTHK, la radio publique de Hongkong, un citoyen qui n’avait plus acheté de journal depuis dix ans. Dans son éditorial, le journal a déclaré son intention de continuer à se battre estimant que « tant qu’il y aura des lecteurs [du journal], il y aura des journalistes ».
Apple Daily a indiqué avoir imprimé 350 000 exemplaires dans la nuit de lundi, contre 70 000 habituellement. Et, à 8 heures du matin, le journal en a imprimé 200 000 de plus pour répondre à la demande exceptionnelle. Le soutien au groupe NextDigital s’est également manifesté à la Bourse, où après avoir perdu jusqu’à 18 % lundi matin, l’action a rebondi mardi de plus de 788 % à la suite d’un large mouvement d’achat de solidarité.
Lors d’une interview accordée au Monde mi-juillet, Jimmy Lai avait considéré que l’adoption de la nouvelle loi de sécurité nationale « signait la fin des libertés et de l’état de droit à Hongkong ». Sur la base du fort retentissement de l’annonce de la loi, il semblait néanmoins espérer que Pékin s’en tiendrait à ce virulent coup de semonce, sans nécessairement aller plus loin si rapidement. Mais plusieurs observateurs estiment que cette nouvelle opération est en fait, de nouveau, « un prêté pour un rendu » dans l’escalade de tensions entre les Etats-Unis et la Chine, dont Hongkong fait les frais, notamment après l’annonce, le 7 août, par Washington, de l’imposition de sanctions contre onze personnalités politiques de Chine continentale et de Hongkong, dont la chef de l’exécutif, Carrie Lam.
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Alors que les organes chinois ont salué avec enthousiasme l’arrestation de Jimmy Lai, l’ensemble de l’opération a été largement dénoncé, notamment par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne, qui a déclaré que cette opération visait à « étouffer la liberté d’expression » à Hongkong. Comme toutes les voix internationales qui se sont élevées pour condamner ces arrestations, elle a été vertement remise à sa place par la Chine.
Florence de Changy (Hongkong, correspondance)