La peur du pire et les efforts fournis pour harmoniser les circuits de médiation ont fini par porter leurs fruits : dans la nuit de jeudi 4 à vendredi 5 juillet, les deux camps issus du renversement du président Omar Al-Bachir, au Soudan, ont fini par trouver un accord destiné à dessiner le plan de l’exercice du pouvoir lors d’une période de transition.
Cette période, les organisateurs de la contestation l’avaient voulue longue de plusieurs années. Les généraux du Conseil militaire de transition (TMC), qui exercent le pouvoir depuis le coup d’État du 11 avril, avaient tout mis en œuvre pour la ramener à sa plus simple expression. Elle devrait finalement durer « trois ans ou un peu plus », selon le communiqué des négociateurs rendu public dans la nuit.
Il fallait cette avancée pour sortir de l’état de crise dangereuse, avec une mobilisation populaire gonflée à bloc, et différentes parties armées menaçant d’en venir à des violences, qui amenaient le Soudan au seuil d’une guerre civile.
Eviter la confiscation
C’est aussi sur la façon d’organiser le conseil souverain, l’organe placé à la tête de l’Etat, qu’un accord a été trouvé. Et tout particulièrement sur le principe d’une direction tournante, principe rejeté jusqu’alors par le TMC. C’est en cela que l’accord du 5 juillet est important. Sur cette question, les responsables des Forces pour la liberté et le changement (FFC) et les généraux du TMC s’étaient opposés depuis près de trois mois. Les membres des FFC espéraient que le conseil souverain ne serait qu’un organe cérémoniel, destiné à rassurer sur la continuité de l’État, et que le centre de gravité du pouvoir pendant la transition se situerait du côté des deux autres organes, le gouvernement (dirigé par un premier ministre) et une vaste assemblée.
Cette architecture à trois niveaux repose sur une distribution permettant d’intégrer différentes forces, tout en établissant des frontières avec les responsables de l’ancien pouvoir – afin d’éviter la confiscation de la transition et de réussir la sortie de la dictature. Les cerveaux du mouvement de contestation y pensaient avant même que ne commencent les manifestations, en décembre 2018, qui allaient mener à la chute d’Omar Al-Bachir.
Le roc sur lequel venaient se briser toutes les tentatives d’accord, jusqu’ici, était la direction du conseil souverain. Les négociateurs se sont mis d’accord sur une structure de onze personnes : cinq civils, cinq militaires et un dirigeant à leur tête, appartenant par rotation à l’un puis l’autre camp. Les militaires exigeaient que l’un des leurs débute dans ce rôle, laissant planer la menace d’une tentative immédiate pour contrôler la transition en sous-main à partir de ce siège. Tout ceci devra se régler à l’usage. Il reste aussi à définir avec précision la composition et le fonctionnement de la future assemblée, et mettre sur pied un gouvernement.
Dossiers brûlants
De nombreux obstacles demeurent. D’abord, un malentendu existe entre les manifestants, qui réclament depuis des mois, et avec un courage jamais démenti, malgré les violences, « tout le pouvoir aux civils ». L’accord, en l’état actuel de ce qui en a été révélé, revient-il à confier de nouveau, après trente ans, la direction des affaires aux civils ? Ou faut-il tabler, plutôt, sur une gestion mixte avec les militaires, au moins pendant la période de transition ? La réponse est encore flottante, mais elle dictera la suite des événements. Les généraux ont tenté, depuis des mois, de nommer leur propre gouvernement de civils « dociles », preuve que les tensions vont demeurer.
D’autant que dès les premiers pas de la transition, une fois le gouvernement nommé, il faudra affronter de nombreux dossiers brûlants. L’économie est dans un état catastrophique. Les divisions de chaque camp, du côté notamment des FFC, risquent de se révéler à présent de façon nette, et présentent le risque de dissensions entre civils, comme cela s’est déjà passé au Soudan dans les phases qui avaient suivi les deux révolutions précédentes, lorsque des manifestations de masse avaient accompagné la chute de deux pouvoirs militaires, en 1964 et 1985.