L’ÉCRIVAIN, UNIVERSITAIRE ET ACTIVISTE PATRICE NGANANG ARRÊTÉ MERCREDI 06 DÉCEMBRE À L’AÉROPORT DE DOUALA ET SEQUEESTRÉ DEPUIS À LA PRISON CENTRALE DE KODENGUI À YAOUNDÉ
Arrêté le 6 décembre dernier à l’aéroport de Douala, alors qu’il s’apprêtait à prendre un avion pour Harare, au Zimbabwe. Le 3 décembre, l’écrivain avait posté sur Facebook un texte dans lequel il menaçait «de donner une balle exactement dans le front de Paul Biya».
Patrice Nganang a « disparu » le 6 décembre dernier à l’aéroport de Douala, alors qu’il s’apprêtait à prendre un vol de Kenya Airways pour Harare, au Zimbabwe, pour des raisons familiales. L’enseignant de littérature à la Stony Brook University de New York, qui est aussi un pamphlétaire virulent à l’égard du régime de Paul Biya, achevait ainsi une enquête de terrain effectuée dans une dizaine de villes anglophones, dont Jeune Afrique a publié le carnet de route la veille de sa disparition.
Sans nouvelles de lui, son épouse a alerté les médias. Il sera finalement retrouvé par son avocat, Emmanuel Simh, qui va confirmer dans un communiqué ce que les observateurs soupçonnaient: «Il a été arrêté le 6 à Douala, menotté et conduit à Yaoundé dans une voiture qui l’attendait. Il est gardé à vue dans les locaux de la police judiciaire, après qu’on ait confisqué ses téléphones. Il a été délesté de tout ce qu’il avait, sur procès-verbal, et ne pouvait donc communiquer avec personne. Le lendemain, il a été notifié du motif de son arrestation, à savoir l’outrage au président de la République, suivant un post publié sur son mur Facebook.»
La nouvelle est reprise par les médias du monde entier. Les appels pour sa libération se multiplient. Un collectif d’écrivains a lancé une pétition pour sa libération immédiate, qui a déjà recueilli des milliers de signatures.
L’avocat de l’écrivain Patrice Nganang, Me Emmanuel Simh, estime que son client est victime de ses nombreuses critiques de la gouvernance du président de la République, Paul Biya, dont la dernière en date dans l’Hebdomadaire Jeune Afrique, la vieille de son arrestation
Patrice Nganang est juste victime d’un règlement de compte politique. «Ça fait longtemps qu’il critique la gouvernance de monsieur Biya et on a attendu un moindre incident pour l’arrêter».
Un gouvernement sérieux ne doit ainsi pas arrêter un individu pour un «fantasme». «Il y a de milliers de gens qui rêvent du départ de monsieur Biya. Certains sont fatigués de ce régime et monsieur Nganang, par exaspération a dit cela. Maintenant, est-ce qu’il est une menace réelle de manière physique pour Paul Biya? Ce que monsieur Nganang a écrit peut paraître en ce moment comme un fantasme. Est-ce qu’un gouvernement sérieux doit arrêter quelqu’un pour ça?».
Les différents chefs d’accusation retenus contre Patrice Nganang:
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«L’apologie du crime, c’est le fait de soutenir ou de vanter un crime qui a été commis. Mais on ne nous dit pas quel crime a été commis et dont il fait l’apologie»
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«La menace de mort par balle», mais on ne dit pas la personne qu’il aurait menacée de mort. La menace doit être bien ciblée sur une personne précise
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«L’Outrage à corps constitué», il aurait outragé l’armée en écrivant que «les militaires demandent de l’argent aux gens»
Les accusations implicites
1) La Double nationalité?
Dans un pays où le président passe autant de temps en Suisse comme le fait Paul Biya depuis 1982, il pourrait lui aussi parfaitement être un citoyen suisse sans que cela ne gêne ou ne choque personne. D’ailleurs nombreux sont les membres de son gouvernement et de son entourage qui ont des antécédents de double nationalité. Il s’agit aujourd’hui d’un secret de polichinelle au Cameroun, mais une seule personne déterminée s’en trouve curieusement accusée et acculée, et comme par hasard c’est Patrice Nganang. Une bien curieuse coïncidence?
Toute cette «enquête» sur la double nationalité de Nganang semble ainsi vindicative et mesquine de la part d’un gouvernement connu pour être vindicatif et mesquin.
Le régime Biya poursuit et cherche clairement dans un trou de lapin ici. Car combien sont-ils les millions de voyageurs d’origine camerounaise, qui vont et viennent du Cameroun, dont le président Biya et sa suite, en s’abstenant d’exhiber leur double nationalité? Il est en fait improbable et impossible de prouver qu’un Camerounais possède la double nationalité tant qu’il ne se dévoile pas. De plus, en privant les Camerounais ordinaires de la double nationalité, le régime politise de facto la question. Ainsi, la double nationalité au Cameroun est fondamentalement une question politique, et non criminelle. Dans ce contexte tenir ou détenir deux passeports comme l’assume Patrice Nganang doit être vu et considéré comme un signe de protestation contre une loi injuste.
2) La violence?
Ensuite, la question des menaces de mort. Qui croit réellement qu’un homme d’âge mûr aussi éduqué, sans antécédents de violence, peut soudainement devenir un tueur et s’improviser assassin de chef de l’État? La vraie question consiste davantage à savoir qui incite réellement à la violence au Cameroun? Qui assassine les Camerounais ordinaires dans les régions anglophones? Qui s’est levé au Sénat et a déclaré en pleine séance plénière qu’il a demandé à son propre fils de commettre un génocide dans les régions anglophones? Est-ce Patrice Nganang?
En tant qu’écrivain, les pratiques artistiques sont connues pour être autonomes et souveraines; cela trouve toute sa résonance dans l’argument du Général De Gaulle, selon lequel Voltaire ne peut pas être emprisonné. Car en tant qu’écrivain, Patrice Nganang est protégé par sa liberté d’expression et sa création artistique ou littéraire.
En cela la fonction sociale de Patrice Nganang est précisément ce qu’il fait et qu’il aurait fait y compris sur sa page facebook, c’est-à-dire raconter des histoires et créer ou susciter la polémique. Il est clair que la plupart de ce qu’il fait est de l’ordre de la fiction mais les attaques contre lui ne le sont pas; en particulier, pour un régime qui ne sait pas respecter le travail artistique et la liberté d’expression.
3) L’obsession du régime de Yaoundé contre des ennemis réels ou supposés
Le régime de Yaoundé est obsédé par ses propres ennemis, réels ou imaginaires. C’est un régime qui fonctionne sur la méfiance armée où chaque Camerounais est susceptible d’être emprisonné sans procédure régulière. N’oublions jamais qu’il s’agit ici d’un régime qui a l’équivalent de tout un gouvernement en prison. De plus, ces arrestations qui prennent une tournure politique, n’ont souvent rien à l’origine à voir avec la politique (au sens de la confrontation des idées et des idéologies). Nous avons constaté qu’au départ toutes ces arrestations procèdent toujours de querelles personnelles et ont néanmoins des motivations politiques.
De plus, cette obsession aux conflits de personnes fournit également un moyen approprié de divertissements à un gouvernement qui n’a précisément aucun succès à son actif. Ainsi mettre des gens en prison donne l’impression que le gouvernement fait quelque chose, travaillerait enfin pour le bien être du Cameroun.
Sinon, pourquoi Paul Biya se soucierait-t-il encore autant de ce que les gens disent de lui sur Facebook et les réseaux sociaux? Pourquoi accorderait-il à ses adversaires virtuels une telle attention démesurée et inutilement nécessaire, si il n’y voit précisément pas une force incontrôlable et inadmissible d’insoumission à sa personne, voulue cultivée et porteuse d’une «démocrate apaisée» au Cameroun? Pourquoi le président doit-il donc continuer à enfermer les politiques et les gens perçus comme des opposants politiques? Comment un homme avec plus de 50 ans de service public peut-il encore être aussi sensible et susceptible par rapport à son bilan, et ne toujours pas parvenir à transcender les critiques de ses «opposants politiques»? Quand va-t-il enfin déclarer la victoire? Après d’autres 35 années de plus au pouvoir???
UN COLLECTIF DE LIBÉRATION OUVERT À TOUTES LES PERSONNES DE BONNE VOLONTÉ, POUR UN COMBAT POUR LA JUSTICE, LA LIBERTÉ, ET UN CAMEROUN NOUVEAU
LES DÉMARCHES ENTREPRISES:
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Demande d’audience restée sans suite à S. E. P. BIYA, Président de la république du Cameroun, déposée jeudi 14 décembre 2017 à 17h15 à l’hôtel Meurice de Paris, puis vendredi 15 décembre à 11h15 à l’Ambassade du Cameroun à Paris.
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Convocation d’une conférence de presse Mercredi 20 décembre pour sensibiliser l’opinion internationale et informer sur un plan d’actions
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Prochaine audience judiciaire au Cameroun: Le procès de l’écrivain, négation de toute liberté d’expression, aura lieu le vendredi 19 janvier prochain, avec le risque d’un nouveau renvoi
LA QUESTION DE FOND: Une dictature ordurière, brutale, et sauvage mérite-t-elle une opposition courtoise et civilisée?
C’est la question que nous renvoie l’enlèvement puis la séquestration au Cameroun du professeur, écrivain, et activiste de nationalité américaine, Patrice Nganang.
En effet dans ce pays où nous voyons d’éminents universitaires se réjouir ouvertement des déboires répressifs de leur confrère, au motif qu’ils auraient eu des différends personnels avec lui; où des camerounais ordinaires ployant sous une misère glauque y trouvent quand même un motif de contentement…À l’évidence la seule référence au droit international ne suffira pas pour ramener à la raison les bourreaux et geôliers de Patrice Nganang tapis dans les allées du pouvoir de Yaoundé.
Les institutions et organisations internationales, notamment de l’immense société civile, mais aussi son pays d’adoption les États unis d’Amérique devront adopter un langage de fermeté, voire de brutalité (notamment des sanctions et l’interruption de la coopération), pour le sortir du mouroir carcéral de kodengui à Yaoundé. En ce sens le langage et les méthodes moins accommodantes de l’administration Trump seraient pour une fois adaptés à la situation.
Car fondamentalement une dictature brutale et sauvage comme celle de Paul Biya – en dépit des apparences – ne comprend en réalité que le langage du rapport de force, et de la confrontation directe.
Patrice Nganang, dont certains d’entre-nous ont toujours rejeté le mode injurier d’opposition à ce régime, semble l’avoir mieux compris que nombre d’entre nous, bien souvent dans une retenue très respectueuse.
Pour le Collectif pour la libération de Patrice NGANANG au Cameroun
Joël Didier ENGO
Président du Comité de Libération des Prisonniers Politiques
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