En dépit d’une loi « exemplaire » votée en 2011, peu de choses ont changé pour les peuples autochtones du Congo-Brazzaville, soumis à une « discrimination profonde, systémique et extrêmement enracinée ». Le constat livré jeudi 24 octobre, à l’issue d’une mission de dix jours, par la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, Victoria Tauli-Corpuz, met une nouvelle fois en lumière la marginalisation et souvent la répression des populations semi-nomades, couramment appelées « Pygmées » bien que l’utilisation de cette appellation péjorative soit officiellement interdite au Congo.
Cette experte indépendante, mandatée en 2014 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, se rendait pour la première fois dans le pays, neuf ans après son prédécesseur, dont le travail avait déjà sévèrement pointé les injustices en matière de santé, d’éducation et de reconnaissance des droits à disposer des terres et des ressources naturelles indispensables à leur survie.
Depuis – et c’est une avancée que Mme Tauli-Corpuz salue –, un cadre juridique solide a été adopté pour permettre à ces populations de faire valoir leurs droits. Après la loi de 2011 – la première en Afrique consacrée aux peuples autochtones –, un article a été introduit dans la Constitution, en 2015, pour acter cette reconnaissance. Mais il a fallu attendre juillet 2019 pour que six décrets d’application sur neuf soient adoptés. Autant dire que cette protection promise est jusqu’à présent restée sur le papier.
« Je suis profondément préoccupée par l’absence générale de mise en œuvre de cette loi. […] Les peuples autochtones ne doivent pas être considérés comme des fardeaux ou des obstacles au développement et comme des peuples arriérés et primitifs. Ils devraient être considérés comme des êtres humains qui ont la dignité et les mêmes droits que toutes les autres personnes », rappelle cette Philippine qui a activement participé à la rédaction de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, en 2007.
Conflits avec les ONG environnementales
A Brazzaville ou à 800 km de la capitale, dans la forêt dense du département de la Sangha, où vivent nombre de Baka, le groupe le plus important, les témoignages recueillis par la rapporteuse spéciale confirment les problèmes d’éviction à grande échelle.
« Les terres que les peuples autochtones utilisent et occupent sont livrées sous forme de concessions à des sociétés forestières ou déclarées réserves forestières, parcs nationaux ou zones de conservation. L’expansion des communautés bantoues sur leurs territoires traditionnels les a forcées à abandonner leurs terres et à se sédentariser en marge des villages bantous ou à s’enfoncer plus profondément dans la forêt, dont une grande partie a été attribuée aux sociétés forestières sous forme de concessions » peut-on lire dans le rapport de douze pages.
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Les conflits entre les Baka et des ONG internationales comme le Fonds mondial pour la nature (WWF) ou la Wildlife Conservation Society (WCS), chargées d’administrer de nombreuses aires protégées dans le bassin du Congo, ont été documentés par plusieurs enquêtes menées par l’organisation de défense des droits humains Survival International.
Le rapport pointe également le poids disproportionné d’infections (paludisme, lèpre, tuberculose ou pian) supporté par ces communautés stigmatisées et déplore l’absence d’efforts pour offrir aux enfants un enseignement « culturellement adapté ». Les écoles ORA (« Observer, Réfléchir, Agir »), réservées aux enfants autochtones et financées par les bailleurs de fonds internationaux, sont en pratique la seule forme d’enseignement gratuit existant dans le pays, observe Mme Tauli-Corpuz, pour aussitôt s’interroger sur la pertinence d’un « matériel pédagogique exclusivement en français ».
Aucun Pygmée à l’Assemblée nationale
Aucune donnée récente ne permet de dire combien de Pygmées vivent au Congo. Le dernier recensement national, réalisé en 2007, évaluait leur part à 1,2 % de la population, soit 43 378 personnes. Une étude des Nations unies datant de 2013 évoquait le chiffre de 2 %, pour approximativement 100 000 individus. Le gouvernement livre quant à lui une fourchette beaucoup plus large, allant de 1,4 à 10 % de la population.
La majorité de ces chasseurs-cueilleurs résident dans les départements septentrionaux de la Likouala et de la Sangha. « Même dans le département de la Likouala, qui a la plus forte concentration de population autochtone, aucun d’entre eux n’a jamais été élu à l’Assemblée nationale », s’étonne la rapporteuse de l’ONU, davantage familière des contextes asiatique ou latino-américain, où ces minorités ont pu se regrouper et s’organiser pour faire entendre leur parole.
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« Je suis découragée par le manque d’initiatives pour les sensibiliser à leurs droits en vertu de la législation internationale, de la Constitution ou de la loi nationale », déplore-t-elle. Pour cette militante qui a mené aux Philippines le combat pour la reconnaissance du peuple kantanaey-igorot, dont elle est issue, il y a là une des plus grandes urgences : leur faire prendre conscience qu’ils ne sont pas des citoyens de seconde zone.
Par Laurence Caramel