Depuis novembre 2011, Laurent Gbagbo est incarcéré au centre de détention de la Cour pénale internationale (CPI) pour des chefs d’accusation de crimes contre l’humanité. Mais ce 1er octobre commencera une audience de demande d’acquittement, sur l’instigation des juges. En effet, après sept années de détention et plus de deux ans de procès, la défense estime que le procureur de la CPI Fatou Bensouda n’a pas été en mesure de prouver les accusations. Elle demande donc « un non-lieu total », soit un « jugement d’acquittement pour toutes les charges et pour tous les modes de responsabilité », ainsi que la « libération immédiate » de Laurent Gbagbo. Quels sont les arguments de l’ex-président ivoirien dont l’épouse Simone vient d’être amnistiée par le chef de l’État, Alassane Ouattara ? A-t-il des chances de voir aboutir sa demande ? Toutes les hypothèses restent plausibles dans cette affaire.
Du côté de la défense de son coaccusé, Charles Blé Goudé, ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes fidèles à l’ancien président, les demandes sont similaires. Charles Blé Goudé, 46 ans, aurait été à la tête d’hommes ayant tué et violé des centaines de personnes dans le but de maintenir le président Gbagbo à la tête du pays. Les deux hommes, dont les affaires ont été jointes en 2015 devant la CPI, sont accusés de quatre chefs de crimes contre l’humanité : meurtres, viols, persécutions et autres actes inhumains. Tous deux ont plaidé non coupables.
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Un rappel des faits
Les violences en Côte d’Ivoire ont fait plus de 3 000 morts en cinq mois, entre décembre 2010 et avril 2011, durant une crise née du refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir à son rival Alassane Ouattara, reconnu vainqueur de la présidentielle. C’était le 4 décembre 2010 – la commission électorale annonçait la victoire d’Alassane Ouattara. Mais le Conseil constitutionnel, acquis à Laurent Gbagbo, a rejeté cette victoire. Dans la foulée, Gbagbo se fait investir chef d’État, alors que Ouattara prête serment « en qualité de président ». Alors que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) annonce la suspension de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo forme son nouveau gouvernement. À la mi-décembre, L’Union africaine, par la voix de son patron Jean Ping, tente une médiation pour obtenir le départ de Laurent Gbagbo. Sans succès. À la fin de l’année, coup de théâtre médiatique. L’ancien ministre français des Affaires étrangères Roland Dumas et le célèbre avocat Jacques Vergès se rendent à Abidjan pour soutenir Laurent Gbagbo et dénoncer l’attitude de la communauté internationale à son égard. Mais rien n’y fait, Laurent Gbagbo est de plus en plus isolé. Les États-Unis décident de geler ses avoirs. Mais il s’accroche au pouvoir. Pendant ce temps-là, la situation sur le terrain s’aggrave.
L’Onuci dénonce des « actes d’agression contre ses patrouilles ». L’ONU vote l’envoi de 2 000 hommes supplémentaires en Côte d’Ivoire. Cette crise, émaillée d’exactions perpétrées par les deux camps, a paralysé pendant plusieurs mois le pays, premier producteur mondial de cacao et moteur économique de l’Afrique de l’Ouest. Dès le mois d’avril, les combats se sont concentrés dans Abidjan. Malgré l’entrée des pro-Ouattara, des chars pro-Gbagbo sillonnent encore les rues de la première ville de Côte d’Ivoire. L’ONU et plusieurs organisations non gouvernementales font état de centaines de morts dans l’ouest du pays. Les forces françaises décident alors d’entrer en action. Le 11 avril 2011, à la mi-journée, tout bascule. Les forces françaises de la Licorne pénètrent dans la résidence de Laurent Gbagbo et arrêtent le président sortant, avant de le remettre à la rébellion ivoirienne.
Preuves « insuffisantes »
L’ancien président ivoirien s’était accroché au pouvoir « par tous les moyens » et a fomenté une campagne de violences pour tenter de le conserver, a martelé l’accusation depuis le début du procès, en janvier 2016.
Malgré l’appel à 82 témoins, la présentation de milliers de documents et des centaines d’heures de vidéos, les éléments de l’accusation sont « insuffisants » pour prouver les charges « au-delà de tout doute raisonnable », rétorque la défense.
La CPI est une cour pénale fondée sur le droit et le statut de Rome et aucun ressortissant d’un pays non-signataire du statut de Rome ne peut être déféré devant la CPI. C’est en partie le débat qui déchire actuellement les États-Unis, non signataires du statut de Rome avec la Cour pénale. La Côte d’Ivoire non plus n’a pas signé le statut de Rome avant 2013, soit deux ans après l’arrestation de Laurent Gbagbo sous les ordres de l’ancien procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo. « Nous sommes sereins et confiants que le président Laurent Gbagbo sera acquitté, libéré et pourra regagner son pays », a déclaré Justin Koua, président de la jeunesse d’une coalition qui regroupe des partis politiques, des associations de la société civile et une partie du Front populaire ivoirien (FPI, fondé par M. Gbagbo). « Laurent Gbagbo subit une injustice », a-t-il ajouté auprès de l’AFP.
Un verdict très attendu sur le terrain
Un mouvement créé par Charles Blé Goudé organisera lundi la retransmission en direct de l’audience sur un écran géant dans un quartier populaire d’Abidjan, fief de l’ancien président et des Jeunes patriotes de Charles Blé Goudé. Plusieurs personnalités de l’opposition ivoirienne sont attendues à cet événement pour assister, espèrent-elles, à « la dernière ligne droite vers l’acquittement » des « leaders ». Le gouvernement ivoirien voit quant à lui une « tactique d’audience » dans cette demande de non-lieu « extravagante ».
« L’ancien chef de l’État ivoirien se prépare à demander un non-lieu avant même que le procès soit achevé et que les témoins de la défense aient été entendus. C’est un coup de bluff qui n’abusera personne », ont fustigé dans un communiqué les avocats qui représentent la Côte d’Ivoire.
Dans tous les cas, s’il venait à être libéré, Laurent Gbagbo marcherait dans les traces de Simone Gbagbo, l’ancienne « Dame de fer » de Côte d’Ivoire, libérée en août après sept ans de détention. Elle a bénéficié d’une amnistie du président Ouattara, alors qu’elle purgeait une peine de 20 ans de prison dans son pays pour « atteinte à la sûreté de l’État » prononcée en 2015.