Téléphone en main, Toussaint Abo fait défiler des dizaines de photos d’hommes couverts de sang, criblés de balles de fusil de chasse ou entaillés à la machette. « Ce monsieur, on l’a évacué, mais il est mort à l’hôpital », commente le jeune homme, propriétaire de plusieurs commerces à Daoukro, ville de l’est de la Côte d’Ivoire secouée par des affrontements ces dernières semaines. Des violences qui inquiètent, à deux mois de l’élection présidentielle, prévues pour le 31 octobre.
Les accrochages ont commencé le 11 août par des jets de pierre entre militants du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), de l’ancien président Henri Konan Bédié, et partisans du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie (RHDP), favorables à un troisième mandat du chef de l’Etat sortant, Alassane Ouattara, qui a annoncé sa candidature le 6 août. Rapidement, ces heurts ont dégénéré en violences de part et d’autre de la voie qui sépare les quartiers de Dioulakro, majoritairement dioula et plutôt pro-Ouattara, et Baoulékro, où vivent des Baoulé proches du camp Bédié, natif et résident de la ville.
Quatre personnes sont mortes et une centaine ont été blessées. Les bureaux des deux partis politiques ont été vandalisés. Dans le quartier Commerce, des carcasses de véhicules gisent encore devant les maisons et les boutiques calcinées. « Tout est brûlé chez moi, les chambres, les papiers, tout est parti en fumée, montre Clovis Kouakou, côté Baoulékro, sur les cendres froides. On paye les pots cassés de la politique alors que d’habitude, il n’y a pas de problème ici, nous sommes tous frères. A présent, on ne sait plus qui est qui. »
L’argument ethnique, souvent avancé, a beau ne pas être un marqueur politique infaillible, il est facilement dégainé en période de campagne. « Moi par exemple, je suis de la communauté dioula, mais je ne suis pas au RHDP. Ici, on t’attribue un parti en fonction de ton appartenance communautaire et c’est comme ça que la manipulation commence », se désole Adamou Abdou Touré, représentant des jeunes de Dioulakro. Le 14 août, un couvre-feu d’une semaine et une zone tampon entre les deux quartiers ont été imposés. Depuis, un camion de police surveille jour et nuit les possibles résurgences.
« Tout le monde est sur le qui-vive »
« Si aucun travail de fond n’est réalisé, alors ça reprendra », estime Toussaint Abo. Des équipes de médiation sillonnent les quartiers afin d’apaiser les tensions. Comme cet après-midi, dans une mosquée de la ville, auprès de la communauté dioula. « On sait que certains ont tout perdu, nous sommes avec eux, nous serons toujours avec eux, jamais nous ne céderons à la tentation de diviser notre peuple car personne n’y a intérêt », insiste Adam Traoré-Kolia, président PDCI de la région de l’Iffou, dont Daoukro est le chef-lieu.
Pour éviter que l’histoire ne se répète (la crise post-électorale de 2010-2011 avait fait plus de 3 000 morts en Côte d’Ivoire), les manifestations sur la voie publique ont été interdites dans tout le pays jusqu’au 15 septembre. Une décision qui a provoqué l’ire de l’opposition. « Mais tant qu’on ne sécurisera pas suffisamment les manifestations, ça dérapera, juge Germain Kouakou, délégué départemental RHDP à Daoukro. Tout le monde est sur le qui-vive depuis l’annonce du président Ouattara. Ce décret est le bienvenu pour apaiser les tensions et dialoguer. »
Mis à part des accrochages en décembre 2019, la ville est pourtant réputée pour l’harmonie et la cohésion sociale qui règnent entre « autochtones » baoulé et « allogènes dioula ». Ces derniers sont arrivés du nord ivoirien et des pays voisins du Sahel durant les années 1960 et 1970, attirés par les gains générés par la culture du cacao. Un certain métissage a eu lieu, mais à l’approche de la présidentielle, beaucoup craignent une instrumentalisation de la jeunesse. « Tout laisse à croire qu’il y a quelque chose en dessous, peut-être de la manipulation. On ne peut pas comprendre que des jeunes qui ont grandi ensemble puissent subitement nourrir une telle colère les uns contre les autres », estime Adam Traoré-Kolia, du PDCI.
Est-ce un coup du parti au pouvoir pour déstabiliser l’ancien président ivoirien dans son propre fief ? Ou la conséquence des propos jugés xénophobes d’Henri Konan Bédié ? L’ancien président, à l’origine du concept d’« ivoirité » et d’une politique de préférence nationale lorsqu’il était au pouvoir (1993-1999), a plusieurs fois été épinglé par l’opposition pour ses sorties sur les « étrangers ». Une accusation balayée par le président de région : « Henri Konan Bédié ne dissocie pas, il ne discrimine pas, il ne saurait utiliser les gens, encore moins à Daoukro. Il faudrait être fou pour mettre le feu dans sa propre maison. »
« Ici c’est chez nous, eux, ce sont les étrangers »
Seulement, le feu a aussi pris dans d’autres villes ivoiriennes. Les 21 et 22 août à Bonoua, près d’Abidjan, des violences ont opposé les « autochtones » abouré aux « allogènes » dioula. Et à Divo, dans le centre du pays, des membres des communautés dida et dioula se sont affrontés en marge de l’investiture d’Alassane Ouattara, le 22 août.
« Ce sont des lieux où la cohabitation communautaire est mal gérée. Des villes, souvent les mêmes, où il existe des frustrations et un sentiment d’inégalité car l’économie profite à une communauté et pas à une autre, analyse Séverin Kouamé, sociologue à l’université de Bouaké. Les populations qui n’ont pas les terres ou le monopole dans un secteur porteur ont le sentiment que l’Etat les a abandonnées. La violence portée par la jeunesse est perçue par certains acteurs politiques ou économiques comme le moyen de reprendre possession de certaines activités. »
Depuis deux semaines, les violences sont d’ailleurs apparues dans des bastions des opposants historiques. « Moins les cadres locaux sont au pouvoir, plus l’absence de l’Etat se fait sentir. Au-delà d’un vote ethnique, il s’agit d’un vote d’identification car les attentes économiques et sociales sont fortes », poursuit le sociologue.
A Daoukro, Aimé Konan Kouamé, 22 ans, montre l’entaille sur sa main gauche, tracée par un coup de machette lors des affrontements. « J’étais au village lorsque mes frères m’ont appelé, raconte-t-il. Les Dioula voulaient brûler ma cour. Moi je suis 100 % Baoulé, ici c’est chez nous, eux, ce sont les étrangers, ils peuvent vivre ici mais pas faire de palabres. En cas de problème, je suis prêt à me battre. S’ils veulent la paix, il y aura la paix. S’ils veulent la bagarre, on se battra. »
Youenn Gourlay(Daoukro, envoyé spécial)
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Si et seulement si ses principaux partenaires dont la France ne rappellent pas “amicalement” et au plus vite leur protégé Alassane Ouattara au strict respect de la limitation des mandats, appliqué d’abord à lui-même au moment où il entame un séjour dit de vacances sur le territoire français après avoir méthodiquement mis ses principaux concurrents (contraints à l’exil) hors de la course présidentielle.
En espérant encore une fois que personne à Paris ne dira n’avoir rien vu ni entendu, mettant tout cela sous le compte d’une supposée immaturité démocratique africaine!!!