Emmanuel Macron, annonçant la fin de l’opération Barkhane, dit que la France n’a pas à se substituer à perpétuité aux États Africains. « Nous ne pouvons sécuriser des zones qui retombent dans l’anomie, parce que des États décident de ne pas prendre leurs responsabilités » a-t-il déclaré. Pourquoi donc certains esprits se tournent-ils vers le Mali, où le colonel Assimi Goïta, investi, lundi dernier, comme chef de l’État, a nommé un Premier ministre civil, et rassuré le médiateur de la CEDEAO ? S’il n’y avait la suspension de la coopération militaire par la France, n’aurait-on pas pu dire, en effet, que la situation se normalise au Mali ?
Un deuxième coup d’État en neuf mois, cela peut, en effet, agacer ceux qui envoient leurs soldats mourir dans le désert, pour le Mali. Ce deuxième coup d’État a, de fait, libéré la parole. Et le ton sur lequel Emmanuel Macron s’est adressé à ces États a été pris, dans certaines capitales, comme plus spécialement destiné au Mali. Mais c’est ici le lieu de se souvenir que les peuples africains sont ambassadeurs, les uns pour les autres. Et les comportements des uns rejaillissent fatalement sur les autres. « Des États qui décideraient de ne pas prendre leurs responsabilités », c’est tout sauf un compliment. Et l’idée d’une irresponsabilité délibérée suppose quelque part de la désinvolture, et c’est ce qui est ennuyeux.
Pour le reste, dans le tourbillon actuel, le peuple malien ne sait plus ce qu’il doit considérer comme une situation normale. Oublions le semblant d’onction donné par la Cédéao, qui croit ainsi sauver sa face, alors qu’elle s’accommode d’une situation qu’elle jugeait totalement inacceptable, dans ce même pays, il n’y a pas un an.
Il faut, à présent, expliquer aux Maliens sur quels principes sacrés repose ce calendrier, avec ce délai de dix-huit mois, dont la moitié, consommée par l’équipe renversée, devra être déduite. Avec quelle planète ce peuple peut-il donc avoir rendez-vous en février 2022, pour que les élections, à cette échéance, soient si capitales, alors que c’est le destin même de la nation qui est en cause ? Et pourquoi ces échéances, fixées, avant que ne soit posée la question, fondamentale, de l’incapacité des opposants et militaires maliens à patienter jusqu’à la fin du deuxième mandat présidentiel, pour laisser le chef de l’État s’en aller ?
Peut-être est-ce la condition pour que les coups d’État soient tolérés en Afrique.
Oui, peut-être. Mais les putschs sont, par définition, répréhensibles, et même, dans certaines Constitutions, imprescriptibles. Alors, il faudrait peut-être, à un moment donné, songer à laisser les putschistes exercer pleinement le pouvoir, pour assumer, le moment venu, leur bilan. Lorsqu’ils sont allés s’expliquer à Accra, en septembre 2020, auprès de Nana Akufo-Addo, les putschistes de Bamako avaient rendu une petite visite au capitaine Jerry John Rawlings, alors encore vivant. S’il est leur modèle, alors on peut espérer qu’ils préparent le Mali à devenir, à l’instar de ce que Rawlings a fait du Ghana, un pays où les institutions démocratiques sont suffisamment fortes, pour permettre depuis bientôt trente ans des alternances régulières, avec une armée qui se tient à l’écart de la vie politique.
Il avait pris le pouvoir pour enrayer la descente aux enfers de son peuple, humilié par ses propres dirigeants. Son régime, entre 1981 et 1992, était tout, sauf démocratique. Mais l’Histoire aujourd’hui lui donne raison et, avec le recul, son peuple, pour l’essentiel, lui a pardonné l’extrême rudesse de son régime.
Quelles leçons pour le Mali ?
Dans l’immédiat, les Maliens feraient mieux de donner un contenu pensé à leur transition, en corrigeant les imperfections qui ont conduit ce peuple à abréger, par deux fois, un ultime mandat présidentiel qui tirait à sa fin. Puis, au regard des tâches à accomplir, ils préciseront les échéances. Mais bâcler le travail serait, pour eux, l’assurance de s’inviter dans un autre putsch, dans huit ans, ou même avant.
Par : Jean-Baptiste Placca