A qui pense Samuel Kleda en ce jour de Noël ? D’abord à tous ceux qui ne peuvent pas célébrer cette fête dans la paix. L’archevêque de Douala, qui est aussi le président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (Cenc), veut témoigner en faveur des millions de réfugiés et de déplacés à travers le continent africain. Il pense tout particulièrement aux quelque 437 000 Camerounais du nord-ouest et du sud-ouest anglophones qui, selon l’ONU, ont dû fuir leur maison depuis trois ans. Mgr Samuel Kleda répond aux questions de Christophe Boisbouvier, joint par téléphone à Douala.
Quel est votre message de Noël ?
Mgr Samuel Kleda : Le message de Noël, c’est d’abord le sens même de la fête de Noël, Dieu qui a choisi de venir vers les hommes par son fils, le fils qui s’est fait l’un de nous. Il le fait parce qu’il nous aime. Donc pour moi, la fête de Noël, c’est la fête de l’amour pour tous les hommes, en particulier les familles qui vont se retrouver et célébrer Noël dans la joie. En ce moment, en Afrique en particulier, nous avons un peu partout malheureusement des foyers de tension. Les gens se battent. En ce moment, combien de familles en Afrique sont en déplacement ? Ou ce sont des réfugiés qui sont déplacés dans leur propre pays. Et l’occasion de Noël, c’est pour nous le temps de rechercher la paix, d’accueillir cette paix que le fils de Dieu est venu nous manifester. Alors c’est la fête à tous, que chacun d’abord se réjouisse de la rencontre avec Jésus Christ, que chacun de nous s’engage en ce moment à partager avec, ou du moins à penser à toutes ces personnes qui sont déplacées à cause de la guerre, qui sont des réfugiées, penser à eux. Penser également à tous les pauvres que nous rencontrons qui n’ont rien parce que Noël, c’est Dieu qui rencontre tout homme. Donc chaque homme doit en ce moment accueillir le message de Noël qui est la paix, qui est tout pour nous.
En ce jour de Noël, à qui pensez-vous en particulier ?
Ici, je commence par le Cameroun parce que, vous connaissez les crises, tout ce que nous vivons en ce moment dans nos deux régions [du nord-ouest et du sud-ouest anglophones ], et même dans l’extrême-nord, là où est Boko Haram. A l’est de notre pays où des Centrafricains se sont retrouvés là au Cameroun, même des Nigérians au niveau de la zone de Maroua sont là. Nous devons penser en particulier à tous ceux-là en ce moment, non seulement au Cameroun, mais en Afrique où il y a des conflits. Je pense à toutes ces personnes qui souffrent en ce moment, et qui ne célébreront pas la fête dans la paix. Voilà, c’est l’occasion pour moi de prier pour que la paix revienne, que les hommes se donnent la main pour vivre ensemble parce que le Christ est né pour nous tous.
Alors plus de 700 morts, plus de 4 000 personnes obligées de fuir leur domicile. Cette année 2018 a en effet été marquée par une aggravation de la crise dans l’ouest anglophone. D’où vient cette crise ?
Cette crise, ce sont des revendications que les gens de cette zone [anglophone] essaient de faire entendre à ce sujet. Mais nous, ce que nous demandons et peut-être aussi beaucoup de Camerounais, vous voulons qu’il y ait un dialogue réel pour résoudre ce problème de crise. C’est la troisième année qui commence et qui fait effectivement beaucoup de pauvreté, qui crée beaucoup de misère, et je ne dirais pas seulement pour les gens de cette zone, mais aussi pour tous les Camerounais parce que cette crise concerne tous les Camerounais.
Vous avez proposé une conférence générale anglophone avec les leaders chrétiens et musulmans pour résoudre cette crise. Elle était prévue en août. Elle a été reportée en novembre. Et le mois dernier, en novembre, elle a été à nouveau reportée. Pourquoi ces reports successifs ? Est-ce à cause de l’hostilité du pouvoir ?
Tout simplement, ce sont des moyens logistiques que nous sommes en train de préparer. Mais en principe, nous voulons le faire de manière discrète. Là, nous ne voulons pas en parler.
Et pour vous, quelle est la solution ?
La solution, pour nous, je crois que c’est de toucher réellement les causes de cette crise, que les Camerounais acceptent de s’asseoir pour parler de ce qui fait problème, de ce qui les divise en ce moment, pour mettre le doigt sur le vrai problème, et nous engager, nous Camerounais, à le résoudre.
Dans le cadre de l’unité nationale ?
Oui. Evidemment, nous formons un seul pays. Je crois que la plupart des Camerounais ne sont pas prêts à se diviser. Partout, les Camerounais seront d’accord là-dessus.
Cette année 2018 a été marquée aussi par la réélection du président Paul Biya, une réélection sur laquelle vous avez émis de nombreux doutes…
Oui. C’est ce que j’ai dit. Maintenant, comme il a été installé, nous aimons notre pays. Le tout, c’est de nous mettre au travail surtout dans le but de construire notre pays.
Mais tout de même, vous vous êtes interrogé sur les résultats officiels annoncés après les élections du 7 octobre ?
Oui, oui. Je me suis interrogé, oui, sur certains résultats. Ceux qui m’ont écouté, nos autorités, c’est à eux de l’apprécier à leur manière.
Il y a un an, vous aviez invité le président à ne pas se représenter en 2018. Il ne vous a pas écouté. Que lui dites-vous aujourd’hui ?
Quand on n’a pas été écouté, je n’ai plus rien à dire. Ce sont les Camerounais eux-mêmes qui apprécient.
Et qu’espérez-vous pour la prochaine année 2019 sur le plan politique ?
Moi, je voudrais surtout qu’on travaille afin que la paix revienne dans notre pays. Tant qu’il n’y a pas de paix dans un pays, on ne peut rien construire.
Merci et bon Noël.
Bon Noël à vous.