La crise anglophone et le problème de la dissidence politique au Cameroun, Par Olivier Tchouaffe, PhD, contributeur au CL2P
Le destin, c’est le caractère. Ainsi, grâce à l’engagement de son président, le CL2P est probablement l’une des premières organisations indépendantes des droits de l’Homme émanant d’une nouvelle génération de Camerounais à prendre la pleine mesure, après avoir vécu dans sa chair, de l’usage du despotisme juridique par le régime de Paul Biya comme un outil de gouvernance. Au Cameroun le despotisme juridique est devenu un puissant levier politique pour criminaliser toutes les formes d’activités et de profils non approuvés par le Parti-État. Le problème avec le despotisme légal est qu’il ne fait que mettre un cataplasme sur une jambe de bois brisée, et donc ne résout absolument rien. Par contre, cette politique contre-productive absout le président de la république et le parlement de toute responsabilité dans l’exercice des mandats publics pour lesquels ils ont été élus et ont prêté serment. Le président dans cette légendaire stratégie cynique peut ainsi toujours reprocher ou faire reprocher à son “entourage” de l’avoir trahi.
Sous cet angle le despotisme légal ne produit que la putridité. La décomposition lente du régime de Paul Biya l’illustre et le rend d’autant inapte à toute imagination, se retrouvant dans l’incapacité réelle de résoudre aujourd’hui les multiples crises auxquels fait face le Cameroun. Il paraît presque contraint de recourir et s’appuyer sur une idéologie tribalo-fascisante – celle portée par exemple en filigrane par le discours d’un Mathias Owona Nguini – lui permettant notamment d’agiter en permanence le spectre d’une violence anglophone voulue forcément improductive et normalisée. Alors que dans la pratique, ceci n’est autre qu’une forme de légitimation d’un terrorisme domestique d’État, fondé sur une politique de division des Camerounais et d’instrumentalisation permanente d’une fausse opposition sur des questions pourtant légitimes et ordinaires. C’est la manière jusqu’ci redoutablement efficace que ce pouvoir trentenaire a trouvé de toujours mettre les préoccupations premières des camerounais sous le tapis. Mais sa propre dépendance à la violence d’État prouve aussi combien sa vision d’une bureaucratie rationnelle et compétente n’est en réalité plus (en phase avec) un modèle démocratique. Ce constat nous confirme la nécessité de voir émerger une nouvelle catégorie d’acteurs sociaux et de citoyens au Cameroun.
En effet là réside le vrai problème: celui de savoir comment on négocie l’héritage de 57 ans de parti-État UNC / RDPC? Comment repart-on sur de nouvelles bases?
Il est sur ce plan important de noter que ce nouveau départ pourrait s”adosser sur la notion de natalité de Hannah Arendt, le droit d’avoir des droits et la question de l’individualité dans les régimes autocratiques. Cette notion du droit à des droits repose sur l’idée que nous avons des droits inaliénables simplement pour le fait d’être né. Par conséquent nos droits ne proviennent pas de nos parents comme dans le canon juridique romain, “Patria Potestas”, qui stipule que tous les hommes descendants de la ligne du père doivent leurs droits au Pater Familia qui a ainsi le pouvoir légal et absolu sur la vie de ses descendants, y compris le droit légal d’infliger la mort. Ce qu’Owona Nguini soutient en faisant publiquement allégeance à la famille présidentielle, quand il décerne un doctorat honoris causa à la première dame et en est récompensé par une promotion académique.
Le droit d’avoir des droits, en plus, signifie également que nos droits fondamentaux ne proviennent pas de l’État, ni du vieux nègre, mais du fait que nous sommes nés souverains. Par conséquent, il n’existe pas un sujet unifié derrière le Pater ou le vieux nègre mais des formes divisibles et partagées de souveraineté.
Hannah Arendt croit également qu’il n’y a pas de droits sans créativité et imagination. Par conséquent, les droits de l’homme proviennent de la capacité de mobiliser la créativité et de construire de nouvelles structures symboliques pour améliorer les formes de réalité performative où un sujet démocratique est voué à l’existence. La réalité performative, par conséquent, est un moyen puissant d’anticiper ce qui est pensable et impensable à travers la production de nouvelles formes de rationalité et d’émotion qui s’opèrent dans une dialectique entre réalité et aspiration. Cette anticipation repose sur la production d’un discours rationnel et d’investigation contre la propagande; puis l’éclosion et l’émergence d’une nouvelle catégorie d’acteurs sociaux et de citoyens que le CL2P milite à encourager.
Nous militons en faveur de l’émergence d’un citoyen rationnel et responsable de son destin; plutôt que de s’appuyer indéfiniment sur la mythologie aliénante d’un noble sauvage comme le vieux nègre Meka qui met toute sa vie à la merci du maître colonial, démontrant dans toute sa splendeur que le caractère fait la destinée de l’homme. La leçon de Léopold Ferdinand Oyono c’est qu’un homme sans caractère finit comme Meka qui a tout raté, y compris le plus beau jour de sa vie. Si le vieux nègre avait du caractère, il aurait pu imaginer une autre alternative à son triste sort. Mais le vieux nègre n’est rien d’autre que ce qu’il est, un Oncle Tom, un sujet néocolonial servile qui continue à s’appuyer sur un régime en pleine décomposition. Les gens qui pensent que le vieux nègre a du caractère et les ressources nécessaires pour transformer le système sont aussi débiles que lui.
En définitive la réalité performative poursuivie consiste en la création de nouveaux espaces pour que les nouvelles générations d’Africains aient enfin la possibilité d’expérimenter de nouvelles expériences et d’autres émotions (que celles qui sont télécommandées par le maître colonial réincarné en vieux nègre).
Olivier Tchouaffe, PhD, contributeur au CL2P
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English version
Anglophone crisis and the problem of political dissidence in Cameroon, By Olivier Tchouaffe, PhD, CL2P Contributor
Character is destiny. Hence, through the vision of its president, the CL2P is probably one of the first independent human right organizations for a new generation of ordinary Cameroonians to sound the alarm and paid the price for identifying the legal despotism of the Biya’s regime as a tool of governance. Legal despotism became a powerful to criminalize all forms of activities not approved by the state. The problem with legal despotism is that it puts a bandage on a broken wooden leg, therefore, solving nothing. In the process, absolve the president of the republic and the parliament for their dereliction of duties. The president in his legendary cynical moves can also always blamed his “entourage” for his abdication of duties.
One more, legal despotism produce nothing but putridity and the slow decomposition of the Biya’s regime, which is clearly out of imagination to solve Cameroonian multiple crisis. It is now relies on his ideologue, such as Mathias Owona Nguini, to agitate the specter of normalized and unproductive violence, in practice state-sponsored domestic terrorism, based on divisive and false opposition to sweep ordinary Cameroonians’ legitimate issues under the carpet as usual. This reliance on violence is a demonstration that the notion of a rational and competent bureaucracy is no longer a democratic model and the necessity of the emergence of a new category of social actors and citizenship in Cameroon
This is where the real problem is how we are negotiating the legacy of 57 years of CNU/CPDM governance. How can we start over?
It is important to note that these processes are predicated on Hannah Arendt’s notion of natality, the right to have rights and the issue of selfhood in autocratic regimes. This notion of the right to have rights is predicated on the idea that we have inalienable rights just for the fact of being born. Hence, our rights do not come from our parents, in the roman legal canon, “Patria Potestas” which stipulates that all the males descendants from the father’s line owe their rights from the Pater Familia who has absolute power over the life of his descendants including the legal right to inflict death. Owona Nguini supports this notion of “Patria Potestas” by publicly making allegiance to the presidential family where he awarded a doctorate honoris causa to the first lady and was rewarded with an academic promotion.
The right to have rights, moreover, also means that our basic rights do not come from the state but from the fact that we are born sovereign. Consequently, there is no such a thing as an unified subject behind the Pater Familia but divisible and shared forms of sovereignty.
Hannah Arendt also believes that there are no rights without creativity and imagination. Consequently, human rights come from the capacity to mobilize creativity and build new symbolic structures to enhance forms of performative reality where a democratic subject is willed into existence. Performative reality, therefore, is a powerful way to and anticipate the thinkable and the unthinkable through the production of new forms of rationality and emotion that plays within the dialectic and feedback loops between reality and aspiration. This anticipation is predicated on the production of rational, investigative discourses over propaganda and superstition and the emergence of a new category of social actors and citizens that the CL2P is working to encourage. The emergence of a rational and de-tribalized citizen willing to take responsibility for his life rather than relying of the mythology of the noble savage like le vieux negre Meka who places his entire life at the mercy of the colonial master proving how much character is destiny. Indeed, if Meka had character, he would have been possible to invent another life for himself but, sadly, Meka is anything other than what he is, an Uncle Tom, a servile neo-colonial subject who continues to lean on a rotten and dying system. People who think that Meka has the character and the skills to transform the system are foolish like Meka himself.
This performative reality is the creation of new spaces for new generations of Africans to have room to experience new things and new emotions.
By Olivier Tchouaffe, PhD, CL2P Contributor