Camerounaises, Camerounais, chers compatriotes anglophones et francophones,
Ces derniers mois, le profond malaise des Camerounais anglophones a tourné à la colère. Cette colère se mue malheureusement en violence: dans ces mêmes rues, de jeunes partisans de l’indépendance des provinces anglophones affrontent désormais les forces de l’ordre. Le sang coule, des hommes meurent. Comment en sommes-nous arrivés là? Pourquoi, aujourd’hui, des Camerounais affrontent-ils d’autres Camerounais? Pourquoi cette effusion de violence fratricide?
Lorsque, par le référendum du 20 mai 1972, le peuple camerounais a choisi de mettre fin au fédéralisme pour donner naissance à une «République unie du Cameroun», l’ambition de tous, anglophones et francophones réunis, était, me semble-t-il, de préparer l’avènement d’un Camerounais nouveau, biculturel, héritier à part égale des «leçons» retenues des deux régences et susceptible de tirer le meilleur de ces deux héritages.
Les événements actuels prouvent suffisamment que ce projet a échoué.
Deux identités camerounaises distinctes coexistent aujourd’hui, et les anglophones éprouvent à raison le sentiment d’être marginalisés, d’être des citoyens d’un rang inférieur à celui des francophones. Le bilinguisme inscrit dans notre Constitution étant appliqué de façon profondément inégalitaire dans l’administration, la justice, et l’enseignement; ils ne jouissent pas de l’égalité des chances qui devrait être accordée à tous les citoyens d’un État moderne et démocratique.
Cette inégalité frappe également leurs conditions de vie: ils souffrent, plus encore que leurs compatriotes francophones, du chômage et du déficit en infrastructures. Et les anglophones n’ont aucun recours, aucun relais pour dénoncer ces discriminations, puisque, enfin, leur communauté est largement tenue à l’écart des postes clés de l’État et de l’administration, y compris au sein de leurs propres régions.
Les Camerounais anglophones, qui ont aujourd’hui le sentiment que leur destin leur échappe, dénoncent à raison la trahison de l’esprit du pacte d’unification établi en 1972 entre les représentants des deux communautés.
Du non-respect de ce pacte, la responsabilité incombe d’abord aux francophones, et ces derniers doivent reconnaître leurs torts. En plus, de «République unie», notre pays est devenu simple «République» par le changement de la loi par une majorité simple, un glissement sémantique annonçant l’oubli progressif de l’identité biculturelle du Cameroun par un pouvoir monoculturel et centralisateur. Les dirigeants francophones n’ont pas rempli les engagements qu’ils avaient pris en 1972 vis-à-vis de leurs compatriotes anglophones. Mais les leaders anglophones qui avaient pris part à ce pacte d’unification ont eux aussi manqué à leurs devoirs: cette dérive du pouvoir francophone, ils n’ont pas su – ou pas voulu, trop satisfaits de leurs privilèges personnels – la dénoncer.
La nouvelle génération de Camerounais anglophones, qui souffrent des effets conjugués de cette trahison et de ce renoncement, doivent-ils pour autant tourner le dos à leur identité camerounaise, à notre histoire commune? Sans même parler du caractère illusoire et suicidaire d’une indépendance du Cameroun anglophone, le retour au fédéralisme, que réclament aujourd’hui bon nombre d’anglophones, n’est pas une solution à leurs difficultés. Revenir aujourd’hui à deux États fédérés, l’un anglophone et l’autre francophone, consacrerait définitivement l’échec du pacte de 1972, et ne ferait qu’accentuer le caractère marginal, sur le plan économique comme géographique, des régions anglophones.
Il faut au contraire donner enfin vie au pacte de 1972, bâtir enfin une République unie du Cameroun.
Pour y parvenir, il ne faut donc pas ressusciter le fantôme du fédéralisme, mais bien plutôt faire le choix de la modernité et du progrès, celui de la diversité dans l’unité, en engageant enfin la décentralisation du pays. Les représentants des deux communautés doivent s’asseoir autour d’une table et rédiger un nouveau code du vivre ensemble sur la base de l’expérience passée et des lois de décentralisation de 2004, qui sont malheureusement restées pour l’essentiel lettre morte à ce jour.
Cette concertation renforcée sera propice au développement des infrastructures du Cameroun anglophone, et pourrait, par exemple, aboutir à la construction d’un nouvel aéroport international, ou à la construction d’une université jumelée avec une institution prestigieuse internationale offrant des formations spécifiques et de pointe (pilote, high-tech, .. ) et inexistantes dans la zone francophone.
Je propose aujourd’hui qu’un Conseil National de l’Unification soit créé au plus haut niveau de l’État: il se réunira tous les 6 mois pour évaluer la mise en œuvre de ce code dont la finalité sera l’avènement du Camerounais nouveau, riche de sa culture double. Pour marquer symboliquement mais puissamment la rupture avec la politique centralisatrice que mène le gouvernement depuis plus de 30 ans, je propose également que notre pays retrouve son appellation de «République Unie du Cameroun» ainsi que le drapeau arborant deux étoiles jaunes sur la bande verte, au lieu d’une étoile jaune sur la bande rouge comme c’est actuellement le cas.
Le retour à l’esprit de 1972 est la meilleure garantie d’un avenir harmonieux et prospère pour tous les Camerounais.
Marafa Hamidou Yaya a été ministre d’État de l’Administration territoriale et de la décentralisation du Cameroun de 2002 à 2011, ancien Secrétaire Général à la Présidence de la République et demeure un Prétendant sérieux à la succession de Paul Biya (84 ans, 35 ans de règne interrompu). Condamné arbitrairement mardi 17 mai 2016 à vingt (20) ans de prison pour une supposée «complicité intellectuelle de détournement de fonds publics», il est reconnu prisonnier politique par l’immense communauté internationale (le Département d’État américain, l’International Socialiste, les différentes ONG). L’ONU considère sa détention comme arbitraire depuis un avis rendu par le Groupe de travail sur la détention arbitraire lors de sa 75e Session tenue au siège des Nations Unies à New York du 18 au 27 avril 2016.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques au Cameroun (CL2P)