Il faut faire deux précisions importantes pour ne pas laisser des peccadilles prendre en otage une discussion intellectuelle. MÉON déclenche de nombreuses passions au Cameroun du fait de son omniprésence dans les médias et de certaines positions iconoclastes, de son bagout et même de sa filiation. Le professeur Aboya aussi omniprésent dans les médias a des affiliations qui pourraient être contestées. Ce débat n’est pas cependant une attaque ad hominem. L’auteur de ces quelques lignes respecte tout être humain et est convaincu comme Gaston Bachelard que la vérité est fille de la discussion et non de la sympathie. En plus cette participation à la discussion ne vise pas à réduire le débat politique qui a cours dans les régions d’expression anglophone ne saurait se réduire à la prise de position de ces deux professeurs. Il se trouve simplement que leur intervention sous réserve du fait qu’ils soient de bonne foi met en lumière des manquements énormes dans l’épistémologie des sciences politiques telles qu’étudiées au Cameroun.
Comprendre la politique pour avoir un avis éclairé
Le professeur de sciences politiques de l’Université de Montréal (de renommée internationale) Mamadou Gazibo expliquait il y a plus d’une décennie dans … la revue camerounaise de sciences politiques que certains régimes africains avaient tellement peur que leurs citoyens comprennent ce que la science politique qu’ils en avaient restreint l’étude dans les universités. Au Cameroun jusqu’à présent cette science est subordonnée au droit et enseignée souvent par les juristes. Lorsque l’on parle de sciences politiques, il y a des éléments que nos spécialistes peinent à expliquer et qui permettent de comprendre les égarements de certains dans l’analyse des faits politiques dans notre pays. Est-ce un compromis entre les enseignants et le régime? Un de ces premiers éléments et des plus simples de cette science est la définition du concept de politique lui-même et vise à faire comprendre aux apprenants ce que c’est que la politique. Au-delà les multiples sens que l’on pourrait lui attribuer, la politique est l’organisation des affaires de la cité. Il s’agit essentiellement d’une lutte d’intérêts où des groupes et des personnes s’organisent pour utiliser les moyens qui sont les leurs dans le cadres des dispositions formelles ou informelles pour faire avancer leurs idées et leurs intérêts. La politique qui est la gestion des affaires de la cité se fait par l’attribution des ressources or il n’y a jamais assez de ressources pour tous les besoins. Il revient alors aux groupes ou personnes qui ont à cœur certaines causes de les mettre à l’agenda des décisions politiques. C’est exactement ce qui se passe dans le cadre de la crise dans la partie anglophone du pays.
La nature et l’action des mouvements sociaux
Quand on parle de moyens, certains ont longtemps utilisé le discours comme les lettres ouvertes au chef de l’État, ou les interpellations répétées à la télévision. On sait tous que cela n’a donné aucun résultat probant. Le consortium a décidé d’utiliser d’autres moyens pour faire avancer sa cause. Peut-on vraiment le lui reprocher quand on sait que les premiers moyens n’ont rien donné?
Dans le cadre de nos politologues, il y a pire. Que les jeunes journalistes camerounais ou quelques quidams ne comprennent pas qu’un mouvement social comme les revendications dans la partie anglophone devienne politique n’est pas grave en soit, mais que les spécialistes de sciences politiques font haut et fort ce reproche est à la limite disgracieuse pour eux. En fait tout mouvement social a pour objectif ultime de devenir politique pour des raisons simples. Ceux qui ont les capacités légitimes d’attribuer des ressources et d’accorder la priorité à tout problème ce sont les décideurs politiques. Or ces derniers (partout dans le monde) sont extrêmement réticents au moindre changement pour des raisons simples que tout le monde peut comprendre :
- Ils sont les bénéficiaires du statu quo, ne rien faire les arrange. Ils ne sont donc pas pressés d’agir surtout que prendre des décisions dans un sens ou dans l’autre peut et va faire des mécontents (on parle ici de n’importe quelle décision).
- Le changement entraine ce qu’on appelle en science politique le facteur PIR. C’est-à-dire des peurs, des incertitudes et les réticences. Or la gouvernance de l’incertitude est un art que ne semblent pas maitriser nos dirigeants.
En fait tout mouvement social que ce soit les questions d’avortement des femmes, les droits des gais et des lesbiennes, l’environnement, etc. passe par une dynamique en trois phases que sont : la mobilisation, la médiatisation et la politisation. Il existe une littérature abondante qui est connue de nos politologues et qui explique chacun de ces mécanismes. Dans le cadre de la crise anglophone, la mobilisation s’est d’abord faite à travers le discours en deux phases : le syndrome du trauma choisi quand les responsables du consortium ont rappelé ad noseam la chaine des frustrations des Camerounais d’origine anglophones. La seconde étape était celle dite de la gloire choisie lorsque l’on évoque l’adhésion quasi naturelle des populations d’expression anglophone à certaines valeurs démocratiques. Nous sommes dans l’essence même du discours politique qui vise à créer une ligne de démarcation sur la base dichotomique « eux-nous ». Cela permet de mobiliser la base du mouvement et de renforcer la cohésion interne. La seconde phase c’est la médiatisation. Les médias du Cameroun et d’ailleurs dans le monde se sont accaparés de l’information et se la passent en boucle. Les médias sociaux ont pris le relais malgré l’interruption du net dans ces zones, What’s up, twitter, YouTube et Facebook continuent à produire abondamment d’information au sujet de la crise. La phase qui suit c’est la politisation pour des raisons expliquées plutôt. Dans un pays où un train a tué de dizaines de personnes il y aura bientôt six mois, une commission a été créée avec une feuille de route pour noyer le poisson dans l’eau, comment ne pas comprendre que ceux qui veulent vraiment le changement vont adopter une stratégie différente? En exigeant le fédéralisme ou même la sécession, les leaders de ce mouvement ne font qu’adopter une stratégie qui en négociation s’appelle : « la porte dans la face ». Elle consiste à demander l’impossible pour obtenir le possible. L’histoire récente de notre continent avec le printemps arabe nous apprend que les revendications sociales peuvent bel et bien déboucher aux changements politiques majeurs. Selon certains parmi lesquels nos professeurs, le gouvernement s’est déjà trop rabaissé en négociant avec les leaders du mouvement, il doit frapper et agir avec force parce que dixit MÉON quand on tire la queue du lion il faut s’attendre à un coup de patte mortel. Cette assertion est ridicule surtout quand on parle d’un gouvernement qui a négocié avec des terroristes de Boko Haram (ceux-là mêmes en plus qui ont le sang des innocents camerounais sur les mains). Selon les otages français eux-mêmes, c’est bel et bien l’argent des contribuables camerounais qui a servi à leur libération. Devant les telles situations l’argument de souveraineté des politologues est rangé dans le sac. Il est bien plus conseillé de négocier avec les terroristes que de le faire avec des Camerounais. De plus si on peut pardonner à nos professeurs de ne pas forcement être historiens, comment peuvent-ils quand même oublier l’histoire récente ou des mouvements d’humeur similaires dans cette partie il y a quelque années pour l’admission à la faculté de médecine et des sciences biomédicales de Buéa ont abouti aux concessions du régime. Le même cas s’est reproduit au Grand Nord avec l’admission à l’école normale de Maroua avec des décisions politiques incroyables du régime.
Faut-il niveler par le bas en matière de politique?
L’autre argument de nos profs est que tous les Camerounais ont les mêmes problèmes, pourquoi certains veulent-ils revendiquer? La question est: pourquoi d’autres ne le font pas? C’est là que la peur viscérale de l’action politique l’emporte sur toute explication scientifique. D’après les professeurs, il faut niveler par le bas. Si certains refusent de revendiquer leurs droits, ceux qui souhaitent le faire doivent aussi s’abstenir. Si quelques-uns sont atteints du syndrome de Stockholm, il faut que tous les autres le soient aussi. Il est impératif que personne dans la société ne s’organise pour défendre ses droits. On doit tous être logés à la même enseigne celle de l’activisme paresseux et des discours creux ou des lettres ouvertes inefficaces et ridicules. N’en déplaise aux professeurs c’est bien l’activisme du Code qui a fait que M. Biya limite ses visites en Suisse et c’est bien l’activisme du consortium qui fait que nous ayons enfin ce débat important non seulement sur le vivre ensemble au Cameroun, mais aussi sur la nature même de la citoyenneté camerounaise. Ces questions essentielles transcendent de loin le discours performatif des expressions comme : « le Cameroun est un et indivisible » de ceux qui croient avoir le monopole du patriotisme.
Le droit positif en question
Pour les professeurs Aboya et MÉON, l’État exerce le droit positif qui vise à rétablir l’ordre et à permettre la reprise des activités qui auraient ainsi été perturbées par le consortium. Ils comparent d’ailleurs le petit brasse-camarade qui a eu lieu avec les violations massives des droits humains effectuées par le BIR. La vacuité de cet argument est que le droit positif est encadré dans son exercice et tire sa légitimité dans le rejet de tout excès. Les militaires qui ont attaché des jeunes étudiants sur une corde à linge avec un brique sur le dos avaient quelle légitimité pour agir ainsi? Quel droit les agents du BIR qui ont bastonné avec des lattes à dix contre un jeune esseulé exerçait quel droit? On dit qu’ils voulaient passer un message. Mais ce type de pratique qui consiste à passer un message par la violence relève de l’instrumentalisation de l’État à des fins terroristes et non du droit positif.
Par ailleurs les perturbations du quotidien sont le lot des mouvements sociaux. Les Greenpeace et femen de ce monde font tout pour attirer l’attention même si cela signifie déranger le discours des dirigeants politiques ou même s’enchainer sur la barrière de la résidence privée d’un Premier ministre pour l’empêcher de sortir. Ces gens sont souvent relâchés avec des amendes plus ou moins salées en fonction du fait qu’ils soient ou non des récidivistes. Que des professeurs d’université se réjouissent que pour des délits d’opinion on arrête, emprisonne et torture de nombreuses personnes parmi lesquels un député (représentant du pouvoir législatif), un avocat à la Cour suprême (représentant du pouvoir judiciaire) est quand même pour le moins que l’on puisse dire dérangeant.
En finir avec le chantage à la sécurité
Comme il fallait s’y attendre, le régime et ses thuriféraires ont déclenché leur sempiternel argument de chantage à la sécurité en claironnant sur les ambitions cachées des contestataires de détruire le Cameroun. Une telle prise de position est risible à plusieurs titres. D’abord parce que ceux qui le tiennent agissent souvent comme des gens qui souffrent d’Alzheimer. Ils oublient qu’il n’y a pas déjà si peu ils criaient au loup avec des discours sur l’éternel complot. Quelques-uns ont même fabriqué des « preuves » des transferts d’argent de la diaspora aux « rebelles » des régions anglophones du Cameroun. On a ressorti la bonne vieille carte de la déstabilisation. Pour commencer le mouvement sécessionniste camerounais (pour ce qui existe) est de loin l’un des moins belliqueux au monde rien de moins. Que ce soit en Afrique ou ailleurs les mouvements qui réclamaient la partition du pays l’ont souvent fait en utilisant quand ils le pouvaient la violence. Par ailleurs contrairement à ce que certains professeurs font croire aux Camerounais, la promotion de la sécession n’est aucunement un crime. Il s’agit d’un point de vue politique comme il y en d’autres. Si nos profs faisaient plus le terrain que les plateaux de télévision, ils auraient compris et expliqué que dans les régions où la contestation prend du volume aujourd’hui il y a au moins 4 grands courants :
– Les ardents défenseurs du statu quo
– Les autonomistes qui réclament un plus grande décentralisation de l’État dit unitaire
– Les fédéralistes (le fédéralisme est enchâssé dans le programme politique du SDF depuis plus de deux décennies maintenant.
– Les sécessionnistes. Ces derniers sont loin d’être majoritaires.
Les tenants de l’État jacobin de Yaoundé sont radicalement contre la moindre pensée critique et remise en cause de leurs pratiques gouvernementales d’où la criminalisation du discours sécessionniste. Le SCNC devrait devenir un parti politique pour mieux expliquer aux Camerounais leurs points de vue parce que cette position est juste une vision de l’avenir et rien d’autre.
Le crime des politologues est ailleurs en fait ces gens savent très bien ce que cela signifie de déstabiliser un pays. En passant ils sont bien outillés pour faire une double distinction entre vouloir déstabiliser un régime et déstabiliser un pays (ce qui est différent de vouloir déstabiliser un pays tant il est vrai que ce régime passera et le Cameroun restera). Vouloir déstabiliser le régime de M. Biya n’est en rien vouloir déstabiliser le Cameroun. N’en déplaise à ses laudateurs, l’homme n’est pas le Cameroun. Il partira et le pays restera et comme il n’a rien fait pour porter le pays aux cimes de la gloire que ses atouts lui valent de mériter, ses 35 ans de règne ne seront qu’une parenthèse vite oubliée. L’autre distinction que les politologues connaissent est l’énorme différence qu’il y a entre vouloir et pouvoir. Lorsque nos spécialistes des sciences politiques écument les plateaux de télévision pour faire l’apologie des arrestations arbitraires au nom des crimes d’opinion, ils savent pertinemment que le Cameroun n’a JAMAIS été à risque réel d’une déstabilisation quelconque. Pas que l’envie manque à certains, mais dans la plupart des cas, il y a un gros décalage entre les envies des uns et les moyens qu’ils ont de déstabilisé le régime. Nos politologues le savent puisqu’il existe une littérature abondante et savamment documentée des gens qui eux ont fait plusieurs terrains sur les indicateurs qui permettent de déterminer les risques de déstabilisation politique. Quand on parle de violence politique, il faut en effet distinguer trois choses : le discours, les attitudes et les capacités. Les matrices qui en sciences politiques et en études de conflits évaluent les risques d’embrasement dans un espace territorial font aussi état des types d’associations qui s’y trouvent (religieuses, syndicats, professionnelles, communautaires, etc..), du niveau d’engagement civique des populations mesurable entre autres par les discussions politiques, la consommation des médias, l’intérêt pour les affaires publiques, et la compréhension des faits politiques. L’autre élément est le niveau de confiance dans les institutions gouvernementales et en ceux qui les dirigent. Il y a enfin des éléments comme la cohésion sociale, l’égalité et les attributs socio-démographiques. Tous ces aspects permettent de déterminer dans un pays la volonté de régler les questions politiques par la violence plutôt que de manière pacifiste. Nos chercheurs en sciences politiques n’ont fourni aucun de ces indicateurs. Ils ne peuvent pas en fournir, ils n’ont pas des données, il n’ont très souvent que leur peur du changement qu’ils essaient d’inoculer au maximum de personnes en se servant des tribunes qui sont les leurs et d’une indignation sélective pour justifier des points de vue au caractère éthique douteux.
Par Serge Banyongen | Correspondance