Crise anglophone, Protais AYANGMA: Pourquoi passer aussi rapidement les leaders séquestrés, les étudiantes violées, les manifestants assassinés en pertes (inévitables) d’une supposée “victoire”?
Non Monsieur!
Ce combat noble et légitime livré par nos frères anglophones contre l’obscurantisme politique et la mauvaise gouvernance chronique du régime Biya doit continuer jusqu’à la réelle victoire, c’est-à-dire la libération ultime du Cameroun.
Parce que leur révolte contre toutes les formes d’injustices est aussi la nôtre, à nous les francophones. Même si évidemment l’écrasante majorité d’entre-nous se garde bien – pour des raisons hélas bassement mesquines – de leur témoigner une solidarité humaine.
Le Comité de Libération des prisonniers politiques (CL2P)
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Lettre de PROTAIS AYANGMA – « A MES FRERES ANGLOPHONES »
«Chers frères anglophones, vous avez gagné votre combat car RIEN ne sera plus jamais comme avant. Pour autant, il faut savoir arrêter une grève -surtout lorsqu’elle nuit fortement aux générations à venir, nos enfants- avant qu’elle ne soit récupérée par les extrémistes de tous bords.»
David Abouem à Choyi dans son excellente tribune parue à Mutations a su mieux que quiconque cerner et résumer des décennies cumulées du malaise profond de nos frères anglophones.
Loin de la caricature projetée, et des clichés répandus par une classe politique soucieuse de décrédibiliser un mouvement légitime, le problème anglophone résulte de mauvais choix politiques successifs, d’un refus de laisser aux peuples la libre administration de leurs régions par des responsables élus redevables envers leurs électeurs; mais surtout du déni de l’héritage multiculturel de notre pays. Nous francophones, inconsciemment, ou non, avons donné la terrible impression d’avoir phagocyté l’autre héritage culturel qui faisait pourtant notre singularité.
La pertinence et la légitimité des mouvements actuels en zone anglophone ne souffrent d’aucune contestation de la part de toute personne de bonne foi.
Pour parler de façon triviale, vous avez eu raison.
Pour autant, il faut savoir arrêter une grève -surtout lorsqu’elle nuit fortement aux générations à venir, nos enfants- avant qu’elle ne soit récupérée par les extrémistes de tous bords.
Chers frères anglophones, vous avez gagné votre combat ! Au delà même de toutes les espérances!
Oui, vous avez gagné votre combat, vos revendications ont été entendues, comprises, même si le pouvoir ne veut ou ne peut le reconnaître. Et, vous devez le comprendre, un gouvernement sous les tropiques ne peut reconnaître être dans l’erreur.
Oui, grâce à vous, la centralisation excessive du pouvoir dont souffre cruellement notre pays n’a jamais été autant dénoncé.
Oui, vous avez gagné, parce que, comme jamais, vous avez mis à nu la crise de représentation de nos élites gouvernantes.
Par votre témérité, et la noblesse de votre combat, vous avez mis à nu l’arrogance de certains notables, parfois des imposteurs, coupés de leur base, rejetés par les populations au nom desquelles ils parlent et se revendiquent.
Vous avez gagné, car RIEN ne sera plus jamais comme avant.
Grâce à vous, la décentralisation prévue depuis 1996 sera enfin entamée, le bilinguisme, impérieuse nécessité, et constitutionnellement prévue sera effective.
Vous avez gagné parce que plus jamais, après votre combat héroïque, les anglophones ne seront plus des supplétifs du pouvoir ou un alibi pour colorer un gouvernement peu créatif, peu inspirant, passif et incapable d’anticiper ou même de réagir.
Vous avez gagné, car, le pouvoir a compris la nécessité au delà de tout, de rééquilibrer les centres de décision et l’exercice même du pouvoir dans notre pays. Cet équilibrage pourrait d’ailleurs, et c’est mon souhait, aller, jusqu’à la constitutionnalisation des tickets pour l’élection présidentielle (comme dans différents pays) : Président francophone, vice président anglophone et vice versa ; de façon rotative.
Vous avez gagné parce que, hommage du vice à la vertu, la violence est l’arme des faibles!
Ma conviction profonde est que les arrestations, les violences et humiliations diverses faites aux étudiants et manifestants grévistes, la suppression d’internet sont contre productives et ne peuvent conduire qu’à la radicalisation.
Chers frères anglophones,
Vous nous avez donné à nous francophones, une formidable et véritable leçon, de courage, d’engagement et d’abnégation.
Maintenant, ne vous laissez surtout pas voler votre victoire.
Soyez Grands Seigneurs dans la gestion de cette indéniable victoire ; en levant le mot d’ordre de grève. Cela ne sera pas faiblesse …
Tout en restant vigilant, faites ce geste d’apaisement pour que les enfants retrouvent le chemin de l’école, les justiciables celui des tribunaux.
Le camp victorieux dans une bataille doit toujours laisser une porte de sortie honorable pour le perdant.
Lorsqu’on a gagné, point besoin d’humilier le camp d’en face… (pour éviter le cycle infernal du ressentiment) Surtout lorsqu’il s’agit de l’Etat.
Envoyez ces gestes d’apaisement, avec l’espoir que le pouvoir saisisse cette porte de sortie et que la commission mise en place soit représentative de personnalités crédibles , légitimes comme le Cardinal Tumi, David Abouem à Choyi , André Siaka et d’autres membres de la société civile.
Surtout pas de ces hiérarques, et élites gouvernementales dont cette crise a consacré le rejet massif.»