Comment expliquer un tel rejet de la candidature de Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat au Burundi ? Thierry Vircoulon, directeur pour l’Afrique centrale de l’International Crisis Group et auteur d’un rapport sur la situation au Burundi publié il y a quelques semaines, analyse la situation, au lendemain d’une tentative de coup d’Etat toujours en cours au Burundi.
RFI : le général Niyombaré avait prévenu Pierre Nkurunziza qu’il était opposé à une nouvelle candidature. C’est d’ailleurs pour ça qu’il avait été limogé. Est-ce qu’il fallait s’attendre à ce à quoi on a assisté ce mercredi ?
Thierry Vircoulon : Oui, je crois que le scénario d’une tentative de coup d’Etat était dans les esprits. A l’International Crisis Group on travaillait sur plusieurs hypothèses et le putsch faisait partie de ces hypothèses. Parce que lorsqu’on a fait nos recherches au mois de mars, pour le rapport qu’on a publié [récemment], on s’est rendu compte qu’il y avait des tensions et de fractures assez fortes à l’intérieur des forces de sécurité et qu’au niveau des officiers il y avait une certaine réticence -pour employer un euphémisme- concernant la poursuite d’un régime dirigé par Nkurunziza.
Donc toutes ces tensions affleuraient de manière assez visible. Elles ont éclaté après, au sein du parti au pouvoir le CNDD-FDD, lorsqu’il y a eu les frondeurs du parti, ceux qui ont pris publiquement position contre la candidature du président Nkurunziza et qui ont été après exclus du parti. Il y avait ainsi, déjà, des signes précurseurs très clairs du risque de putsch.
Est-ce que cette ligne de fracture s’est faite autour de la personne de Pierre Nkurunziza et de la façon dont il a dirigé le pays jusqu’à présent ou est-ce qu’il y a vraiment au sein d’une partie de l’appareil sécuritaire un réel attachement à ce texte, cet accord d’Arusha signé en 2000 ? Et si oui, pourquoi ?
Les deux sont vrais, en fait. Il y a un véritable attachement à l’égard de l’accord d’Arusha dans les forces de sécurité, mais aussi chez beaucoup de Burundais qui considèrent que c’est la fondation des éléments qui a permis de sortir de la guerre civile et de créer un régime de paix entre Tutsis et Hutus au Burundi et de pouvoir partager. Donc, même si ce n’est pas un régime idéal, c’est en tout cas la meilleure solution qui a été trouvée pour ramener la paix au Burundi. C’est une opinion que partagent beaucoup de Burundais.
L’autre élément, c’est qu’il y a eu une présidentialisation excessive du processus électoral burundais. C’est-à-dire que tout le processus s’est focalisé sur la candidature ou non du président Nkurunziza depuis le début de l’année. La question qui était dans tous les esprits était : est-ce qu’il y aura ou non une candidature du président Nkurunziza ? C’est l’un des problèmes qu’on retrouve au Burundi, mais pas seulement : il y a une sorte d’hyper présidentialisation des élections. C’est-à-dire que c’est l’élection présidentielle qui [prime]. Les autres ne semblent pas compter. Et par conséquent, en voulant imposer sa candidature, le président Nkurunziza a aussi focalisé toute l’énergie de l’opposition contre lui.
Le général Niyombaré s’était imposé depuis quelques semaines comme une figure visible de la contestation. On a même assisté à des scènes de liesse dans certains quartiers populaires de Bujumbura au moment de son discours. Est-ce que le scénario qui se dessine peut répondre aux aspirations d’un peuple qui réclamait de la démocratie avant tout ?
C’est en effet le paradoxe de la situation. Je crois que c’est une bonne option à partir du moment où, comme c’est le cas actuellement, on ne bascule pas dans la violence. Le Burundi est un pays où il y a eu à plusieurs reprises des coups d’Etat non violents. Et si on reste dans ce scénario ce sera un scénario du moindre mal.
Le Sommet prévu le 13 mai à Dar es Salaam a été écourté. Quels sont les enjeux de cette crise burundaise pour les pays de la région ?
La région réagit en retenant son souffle, en quelque sorte, et en attendant le développement des événements à Bujumbura. Là, les enjeux sont très clairs. Le premier c’est que cette crise peut générer une nouvelle crise de réfugiés dans la région. On est à plus de 50 000 réfugiés et le chiffre a augmenté extrêmement vite au cours des derniers mois, tellement vite que les agences humanitaires ont été un peu prises de court, même si maintenant elles sont en train de mettre en place des plans d’urgence parce que les Burundais partent au Rwanda, en RDC, en Tanzanie. Ils ont eu l’habitude de quitter leur pays pendant la guerre également. Donc il y a des sortes de réflexe qui sont acquis.
Et, évidemment, avec une crise de réfugiés majeure s’en suivrait une crise de sécurité aussi pour la région, avec des combats possibles au Burundi, mais aussi aux frontières du Burundi et l’apparition de groupes armés qui joueront sur le fait que les frontières sont largement poreuses.
Par Florence Morice, RFI – Tentative de coup d’Etat au Burundi