L’opposant Jean Ping a déposé jeudi soir 8 septembre un recours devant la Cour constitutionnelle du Gabon pour contester les résultats de l’élection présidentielle du 27 août remporté par le président sortant Ali Bongo Ondimba. Le recours porte sur le recomptage des suffrages dans la province du Haut-Ogooué.
Il y a eu beaucoup d’hésitations, mais cette fois ça y est. Le camp Jean Ping a bien déposé un recours devant la Cour constitutionnelle. Il concerne sans surprise la province du Haut-Ogooué, où le candidat de l’opposition réclame un recomptage des voix, bureau par bureau, avec une confrontation des procès-verbaux de la Commission électorale (la Cenap) et des autres camps, s’ils en produisent.
L’opposition dit avoir collecté 174 procès-verbaux sur les 297 bureaux du Haut-Ogooué. Selon elle, les scores de ces procès-verbaux donneraient Jean Ping vainqueur même si Ali Bongo remportait tous les autres bureaux. Mais pour s’assurer de l’impartialité du recomptage, l’opposition demande à ce que l’opération soit faite sous l’oeil d’experts internationaux et de représentants de la majorité.
Le Haut-Ogooué est le fief d’Ali Bongo, où le président sortant a recueilli plus de 95% des voix, avec une participation qui a frôlé les 100%. Une province qui focalise non seulement l’attention de l’opposition, mais aussi celle de la communauté internationale. Une analyse portant sur le nombre de non-votants et de bulletins blancs et nuls révèle une évidente anomalie dans les résultats finaux du Haut-Ogooué, avait indiqué mardi la chef de la mission d’observation de l’Union africaine. Le lendemain, le président Ali Bongo avait d’ailleurs accusé certains observateurs d’avoir « outrepassé leur mission ».
A noter que la majorité, elle, avait déjà indiqué qu’elle déposerait également des recours sur les résultats de Jean Ping, notamment dans ses fiefs de l’Ogooué-Maritime et dans la ville de Bitam. Le porte-parole du gouvernement évoquait notamment des bourrages d’urnes.
Changement de stratégie
Jusqu’à présent, l’opposition exigeait un recomptage à la Commission électorale puisque, selon le camp de Jean Ping, c’est là que le problème était né. Mais le pouvoir affirmait que la loi ne l’autorisait pas. Le président de la Cenap disait d’ailleurs la même chose et renvoyait vers la Cour constitutionnelle.
Ce recomptage devant la Cenap était la ligne de l’opposition jusqu’hier encore. A la dernière minute, elle est finalement allée vers la Cour constitutionnelle. Une source explique qu’il s’agissait d’un choix tactique. Une autre ajoute que la communauté internationale faisait aussi pression pour que les voies de recours officiels soient respectées.
Jean Ping a annoncé qu’il s’adressera à la population gabonaise, à 11h, heure locale, demain vendredi 9 septembre.
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Recours déposé par Jean Ping au Gabon: les risques et les avantages
Par Carine Frenk Publié le 08-09-2016
L’opposant Jean Ping a déposé jeudi 8 septembre un recours devant la Cour constitutionnelle du Gabon. Huit jours après la proclamation des résultats de la présidentielle, l’opposition conteste toujours la réélection annoncée d’Ali Bongo et notamment les résultats dans la province du Haut-Ogooué, où le chef de l’Etat sortant est crédité de plus de 95 % des voix avec une participation proche de 100 %. Une décision qui a été difficile à prendre.
Depuis plusieurs jours, la décision de saisir la Cour constitutionnelle a provoqué des débats au sein de la coalition. Il faut savoir que l’institution est décriée par l’opposition. De nombreux militants la jugent « inféodée à la présidence ». Elle est même surnommée « la Tour de Pise » car, dit-on, elle pencherait toujours du même côté, celui du pouvoir.
Les neuf juges sont nommés par le président du Sénat, par celui de l’Assemblée et par le chef de l’État lui-même. La présidente de la Cour, Marie-Madeleine Mborantsuo, est la belle-mère du chef de l’État. D’où ce problème de confiance.
D’un point de vue purement politique, l’opposition sait qu’en faisant ce choix, elle prend des risques. Si la Cour la déboute et confirme la victoire d’Ali Bongo, l’opposition pourrait se retrouver comme « liée » par cette décision de la plus haute instance juridique du pays et la base risque alors de lui reprocher sa naïveté.
« On sait d’avance qu’y aller c’est se condamner, mais si on n’y va pas, on va nous reprocher d’être des va-t-en-guerre », soulignait mercredi l’un des leaders de l’opposition. « Voilà pourquoi nous continuons à demander un recompte des voix bureau de vote par bureau de vote pour la province du Haut-Ogooué en présence des observateurs internationaux et en présence des représentants des candidats afin que les procès-verbaux de résultats soient confrontés et authentifiés avant d’être comptabilisés ».
C’est d’ailleurs ce que demande Jean Ping dans sa requête. « Une requête en reformation qui permet à une autorité supérieure de faire disparaître une décision prise par une autorité inférieure tout en lui substituant sa propre décision », peut-on lire dans le communiqué qui a été publié jeudi soir.
Les raisons du recours
Déposer ces recours, cela a deux principaux avantages : d’abord un refus aurait été difficile à justifier auprès de la communauté internationale, qui demande à ce qu’on utilise les voies légales de recours. « Nous ne pouvons pas prendre le risque de ne pas être compris, surtout à l’extérieur », affirmait mercredi un proche de Jean Ping qui expliquait : « Nous savons bien qu’en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis, épuiser les voies de recours, c’est quelque chose de naturel ».
Deuxième argument qui a sans doute fait pencher la balance : la Cour dispose d’un délai de 15 jours pour vider le contentieux et proclamer les résultats définitifs. Cela donne un délai aux médiations… Une chance à la négociation et l’opposition espère « que la pression internationale pourra se faire » pour un examen équitable des recours.
Une mission de l’UA reportée
Une mission de haut niveau de l’Union africaine conduite par Idriss Déby était annoncée jeudi à Libreville. Elle a été reportée sine die selon le ministre gabonais des Affaires étrangères, qui l’a annoncé jeudi après-midi lors d’une conférence de presse. Raison invoquée : des questions d’agenda des chefs d’Etat.
Le Nigérien Issoufou, le Congolais Sassou-Nguesso, l’équato-guinéen Obiang Nguéma et peut-être le Sénégalais Macky Sall devaient accompagner Idriss Déby, tout comme les présidents du Kenya et de Namibie. Selon une source diplomatique, le mandat de la mission a également posé des problèmes : simple mission d’apaisement ou véritable médiation ? La question n’était pas tranchée. D’où peut-être aussi ce report sine die.
Restent à Libreville le diplomate algérien Smaïl Chergui, commissaire paix et sécurité de l’Union africaine (qui devait arriver jeudi), le Mauritanien Ahmedou Ould Abdallah, le représentant de l’organisation de la Francophonie (qui est lui aussi arrivé jeudi) et Abdoulaye Bathily, le représentant de Ban Ki-moon en Afrique centrale. Ces trois hommes vont-ils jouer un rôle en vue d’une solution politique ? Le peuvent-ils ? La question restait entière jeudi soir.
Radio France Internationale (RFI)