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Afrique du Sud : comment Jacob Zuma a perdu sa croisade contre la justice
Au terme d’un interminable feuilleton judiciaire et après un ultime baroud d’honneur, l’ancien président s’est finalement constitué prisonnier.
Il y avait quelque chose de puissamment révélateur à voir, mercredi 7 juillet au soir, Edward, le fils de Jacob Zuma, presque seul devant l’entrée principale du domaine de son père, dans la province du KwaZulu-Natal, articuler d’une voix pâteuse, devant quelques caméras, d’ultimes menaces contre qui s’aviserait de venir arrêter l’ex-président, comme l’exigeait la justice, dans le froid d’une nuit qui devait s’avérer cruciale non seulement pour son propre père, mais pour l’avenir de l’Afrique du Sud : après un ultime baroud d’honneur, Jacob Zuma s’est constitué prisonnier.
Le week-end précédent, ses partisans avaient joué la démonstration de force, convoyant des militants en masse, exhibant des combattants traditionnels, se filmant en train de tirer à l’arme automatique et laissant finalement s’organiser une étrange kermesse devant la résidence de Nkandla où Jacob Zuma, les siens et ses avocats tenaient conseil et construisaient un climat de tension extrême, parlant de « bain de sang ».
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Parce qu’il avait quitté sa propre audition devant la commission Zondo, qui travaille à établir les détails de la vaste opération de mainmise sur les fonds publics lorsqu’il était président (2009-2018), Jacob Zuma avait été condamné par la Cour constitutionnelle à quinze mois de prison, le 29 juin. Alors qu’il avait cinq jours pour se constituer prisonnier, il avait électrisé l’atmosphère autour de Nkandla, organisant ses partisans en boucliers humains. Un délai de trois jours avait ensuite été fixé à la police pour l’interpeller. En agitant l’idée d’un dérapage et de violences, Jacob Zuma avait de toute évidence espéré échapper une fois encore à la justice, comme il le fait depuis près de deux décennies dans le cadre de plusieurs dossiers.
A la différence que cette fois, il n’y avait plus d’échappatoire. Mieux, il avait créé lui-même les conditions de son arrestation. En attaquant frontalement, c’est-à-dire à la fois verbalement et par l’intermédiaire de procédures judiciaires, la commission Zondo et son président, Zuma s’attaquait aussi à la justice, refusant de se conformer à ses ordres. Ce faisant, il s’exposait à cet outrage à la cour qui l’a conduit, finalement, en détention.
Entre clownerie et drame
Avant l’expiration du délai de minuit, dans un dernier acte de théâtralité et alors qu’un gros dispositif de police s’était massé dans les collines à proximité de chez lui, avec véhicules blindés, troupes d’élite et camions à eau, tandis que s’éclipsaient prudemment ses partisans, Jacob Zuma a finalement cédé, préférant être transporté par son propre véhicule que dans un fourgon de police. C’est dans son 4×4 aux vitres fumées qu’il a gagné le centre de détention d’Estcourt, petite ville célèbre en Afrique du Sud pour son énorme usine de bacon industriel et les élevages d’animaux qui l’alimentent.
Même si le motif d’incarcération de Jacob Zuma semble marginal par rapport aux autres faits qui lui sont reprochés, touchant à des dossiers de corruption qui remontent, pour les plus anciens, aux années 1990, l’épisode de Nkandla, hésitant entre clownerie et drame, a eu un mérite : révéler les rapports de forces qui se sont instaurés à l’intérieur du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC). Les soutiens de l’ex-président, chef d’une ligne baptisée « Transformation économique radicale » (RET) qui a dérivé de son sens initial pour symboliser la poursuite du pillage des ressources déguisé sous la rhétorique de la redistribution des richesses, ont montré leur force de frappe. Et elle est faible.
Depuis qu’il a été contraint d’abandonner le pouvoir en 2018, Jacob Zuma cherche à faire tomber son successeur, Cyril Ramaphosa, et cette hypothèse était loin d’être une vue de l’esprit. Deux factions alignées sur les deux hommes, schématiquement, se sont ainsi affrontées au sein de l’ANC depuis trois ans. Or la séquence de Nkandla a été cruelle pour Jacob Zuma et les RET. Seuls se sont réellement mis en avant quelques militants facilement mobilisables, aux côtés de responsables politiques en train de chuter ou déjà sur le point de s’effondrer.
La faction comptait beaucoup sur la MKMVA, l’association des vétérans d’Umkhonto we Sizwe – l’aile militaire de l’ANC fondée par Nelson Mandela et ses proches dans les années 1960. Son porte-parole, Carl Niehaus, célèbre pour ses frasques et ses ennuis d’argent (il avait par exemple annoncé plusieurs fois la mort de sa mère pour collecter des fonds), était l’un des derniers fidèles devant Nkandla. Il avait toutefois baissé d’un ton depuis le week-end, sentant l’odeur du désastre – et effrayé par la perspective de finir en prison lui aussi.
Menaces de chaos
Quelques jours plus tôt, la secrétaire générale de l’ANC, Jessie Duarte, qui défendait il y a encore peu de temps Jacob Zuma bec et ongles mais avait changé de camp au profit de la faction adverse des pro-Cyril Ramaphosa, avait annoncé la dissolution de la MKMVA et l’exclusion du parti de Carl Niehaus – un Blanc incapable de prononcer correctement « Nkandla », ce qui n’aidait pas à le rendre crédible.
Moins folklorique, Ace Magashule, tout-puissant pilier de la ligne Zuma, était venu pendant le week-end mais s’était replié au loin au moment de vérité, mercredi soir. Accusé de détournements de fonds, lui-même avait déjà été contraint de se démettre de ses fonctions de secrétaire général du parti, en mai, après avoir affirmé qu’il ne se plierait jamais à l’injonction de l’ANC et tenté une bataille juridique, sorte de version maladroite de la tactique Zuma. A Nkandla, le week-end, il avait intimé l’ordre aux branches de l’ANC, à travers le pays, de se soulever contre leurs dirigeants de la tendance Ramaphosa.
Le projet des pro-Zuma était de renverser le pouvoir actuel, celui sur lequel Cyril Ramaphosa affermit son contrôle, en partant de la base, donc des branches sur lesquelles Ace Magashule pensait avoir établi son contrôle. Ces desseins semblent désormais aussi dévalués que les menaces de chaos agitées au cours du week-end à Nkandla. Et c’est la manière Ramaphosa qui apparaît une fois encore : laisser ses ennemis agir et montrer leur vrai visage, recette du succès lent, mais sûr. Les partisans de Zuma, par leurs outrances, par leur violence, ne demandaient au fond qu’à s’enferrer tout seuls.
Ces derniers jours, des observateurs s’étaient émus du silence du président sud-africain, l’interprétant à tort comme une preuve de faiblesse. En réalité, il n’était pas besoin qu’il s’expose. Ceux qui projetaient de le faire tomber ont précipité leur chute parce qu’ils avaient, entre autres, sous-estimé quelque chose : la solidité des institutions démocratiques de l’Afrique du Sud. Cela inclut, en tout premier lieu, l’indépendance de la justice.
Par Jean-Philippe Rémy(Johannesburg, correspondant régional)