A la tête de la Biélorussie depuis vingt-six ans, Alexandre Loukachenko n’a jamais été aussi affaibli. Depuis sa réélection frauduleuse, le 9 août, des manifestations inédites soulèvent le pays, réclamant son départ pour une Biélorussie enfin démocratique, trente ans après son indépendance.
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L’élection truquée de trop, le 9 août
Alexandre Loukachenko est président de la Biélorussie depuis 1994, réélu à chaque fois lors d’élections présidentielles qui ne respectent pas les standards internationaux. Mais cette année, c’était la fraude de trop. Alors qu’il avait réprimé ou emprisonné la plupart de ses opposants sérieux – dont le blogueur Sergueï Tikhanovski, remplacé à la tête de l’opposition par son épouse, Svetlana Tsikhanovskaïa –, le président s’est heurté à une vague de contestations sans précédent.
C’est la nouvelle meneuse de l’opposition, Svetlana Tsikhanovskaïa, qui aurait remporté l’adhésion de la majorité de la population lors du scrutin, selon des décomptes officieux. Mais à en croire les résultats des autorités, M. Loukachenko a été très largement réélu (80,23 % des voix), le 9 août, pour un sixième mandat – contre 9,9 % à Svetlana Tsikhanovskaïa. L’élection présidentielle n’a pas été reconnue par l’Union européenne et décriée par de nombreux autres pays.
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Le soulèvement d’un peuple, avant l’annonce des résultats
Fédérée pendant la campagne présidentielle par la mère de famille de 37 ans, candidate de l’opposition « par amour » pour remplacer son mari emprisonné, la foule s’est soulevée contre la réélection de M. Loukachenko. Avant même l’annonce des résultats officiels – qui devaient être donnés lundi 10 août –, les citoyens sont sortis en masse pour protester, dès la publication des premiers sondages donnant M. Loukachenko vainqueur.
Depuis, à Minsk comme dans plusieurs villes de province, des dizaines de milliers de manifestants crient leur désaccord avec la politique de l’autocrate. Ces manifestations, dont l’intensité ne faiblit pas depuis cinq semaines, sont réprimées dans la violence. L’armée a même été déployée dans la capitale, n’hésitant pas à tirer sur la foule avec des balles en caoutchouc. Plusieurs milliers de manifestants ont été arrêtés ou passés à tabac. L’opposition dénonçait même la mort d’une personne, écrasée par une voiture de police. Une information niée par le pouvoir.
Alors que M. Loukachenko les qualifie de « moutons » et de « marionnettes à la solde des étrangers », les manifestants font preuve d’imagination pour déjouer les pratiques répressives du pouvoir en formant, par exemple, des grappes de contestataires, éparpillés dans les villes. Le pays est également entré dans une grève massive, paralysant un pays déjà affaibli par la crise liée au coronavirus.
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Une opposition politique réprimée mais persévérante
Au lendemain de l’élection, Svetlana Tsikhanovskaïa a rapidement quitté la Biélorussie et s’est réfugiée en Lituanie pour échapper à une probable arrestation. Plusieurs membres de son équipe sont, aujourd’hui, emprisonnés ou forcés à l’exil. Depuis l’étranger, elle continue de mener le combat contre M. Loukachenko et a annoncé, le 14 août, la création d’un conseil de coordination.
Pour éviter toute répression du gouvernement, le conseil ne s’occupe pas de l’organisation technique des manifestations ou des grèves. Il ne se veut pas non plus un gouvernement transitoire vers une politique plus démocratique mais tente d’être l’instance du dialogue – que M. Loukachenko a refusé en bloc – entre le pouvoir et le peuple.
Autant de précautions bien vaines : les autorités ont annoncé, le 20 août, poursuivre en justice le conseil de coordination formé par l’opposition pour « atteinte à la sécurité nationale ». Le chef de l’Etat dénonce une tentative de « s’emparer du pouvoir ». Plusieurs membres de ce conseil – dont Svetlana Tsikhanovskaïa ne fait pas partie, car à l’étranger – ont également été arrêtés ou convoqués par les services de police. Le président fait de son côté appel à la Russie de Vladimir Poutine, qui y a répondu favorablement sans toutefois être intervenu directement.
Maria Kolesnikova, l’une des trois opposantes à M. Loukachenko, a aussi été enlevée en pleine rue, le 7 septembre. Elle est réapparue le lendemain matin, à la frontière ukrainienne avec deux de ses collaborateurs au sein du conseil de coordination, Anton Rodnenkov et Ivan Kravtsov. Alors que les deux hommes ont été expulsés du pays, Maria Kolesnikova a refusé l’exfiltration en déchirant son passeport, selon des sources ukrainiennes. Elle a, de ce fait, été arrêtée.
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