L’ancien président tchadien, déjà condamné à la perpétuité pour les exactions commises par son régime, entame à Dakar la dernière phase de son procès, qui ne porte plus que sur des points de procédure.
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Dernier volet judiciaire pour Hissène Habré
Ce lundi, la salle 4 du palais de justice de Dakar, capitale du Sénégal, accueille l’ultime étape d’un procès historique en Afrique : l’audience en appel de l’ancien dirigeant tchadien, Hissène Habré. Reconnu coupable de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et torture, notamment pour violences sexuelles et viols, l’ancien homme fort de N’Djaména a été condamné à la prison à perpétuité le 30 mai dernier. Un jugement rendu par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), un tribunal spécialement créé pour les crimes commis au Tchad entre 1982, quand Hissène Habré prend le pouvoir par la force, et 1990, date à laquelle il est chassé par le coup d’état de l’actuel président Idriss Déby.
Cette semaine, à Dakar, devant les Chambres africaines extraordinaires, le procès tiendra plus de la cassation que de l’appel : l’affaire ne sera pas rejugée. Il sera question de droit et de procédure. Les avocats commis d’office de Hissène Habré contestent la condamnation de l’ancien dirigeant : selon eux, un des juges ne remplit pas les conditions requises pour prendre part aux CAE – il n’a pas dix années d’exercice de sa fonction. Maître Mbaye Sene affirme ne viser rien de moins que «l’acquittement de monsieur Hissène Habré». Issue peu crédible selon Reed Brody, membre de la Commission internationale de juristes, qui a mené toutes les enquêtes pour Human Rights Watch, soutien des parties civiles : «La condamnation s’est faite sur la base de preuves très solides : les archives de la police politique, des documents annotés de la main de Hissène Habré… Même s’il y a une erreur par-ci par-là, cela ne change pas la nature de la décision.»
40 000 morts et disparus
Survivants ou descendants de victimes, ils sont 4 000 à s’être constitués parties civiles dans ce procès exceptionnel. Au cours des audiences en première instance, 93 témoins sont venus à Dakar raconter la violence d’un régime paranoïaque qui avait érigé la torture en mode de gouvernance, avec au cœur du système, la redoutable Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique. Arrestations arbitraires, déportations, exécutions, disparitions. Une commission d’enquête tchadienne estime à 40 000 le nombre de personnes décédées ou disparues pendant le régime Habré qui prit également pour cible des groupes ethniques, comme les Hadjeraïs et les Zaghawas. Depuis sa chute, Hissène Habré n’est jamais revenu au Tchad. Il a mené un exil tranquille au Sénégal pendant plus de vingt ans, avant d’être rattrapé par l’histoire, grâce à la ténacité des survivants.
Les avocats des parties civiles présenteront cette semaine des observations sur les réparations allouées aux victimes ou à leurs descendants. Ils demanderont la création d’un fonds spécial au profit des victimes et des précisions pour concrétiser le versement des réparations. La cour a jusqu’à fin avril pour rendre sa décision finale. Si la condamnation de Hissène Habré est confirmée, il faudra déterminer son lieu de détention : le camp du Cap-Manuel à Dakar, où se trouve actuellement l’ancien chef d’Etat tchadien, ou un autre pays de l’Union africaine.
Mutisme théâtral
Hissène Habré, 74 ans, n’a pas dit un mot durant son premier procès, ni eu un regard pour les victimes. Refusant de coopérer avec les Chambres africaines extraordinaires, il a interdit à ses avocats de plaider. Trois avocats ont été commis d’office pour sa défense. L’ancien président tchadien ne s’est pas contenté de rester immobile et mutique. Théâtral, il est apparu systématiquement vêtu de blanc, le visage ceint d’un turban, les yeux cachés derrière des lunettes de soleil, se tournant vers ses partisans à chaque levée d’audience pour répondre à leurs vivats et leurs applaudissements en joignant les mains au-dessus de sa tête, se donnant des airs de vainqueur. Une attitude qualifiée de «mépris insultant» par le juge.
Mais pour Souleymane Guengueng, qui sera présent ce lundi au Palais de Justice de Dakar, le comportement de Hissène Habré durant son procès ne change rien à l’immense victoire déjà remportée par les victimes ou leurs descendants. Souleymane Guengueng, le témoin «0001», est le premier à avoir raconté son histoire auprès de la commission d’enquête tchadienne. Ce fonctionnaire accusé d’être un opposant a passé deux ans en détention, torturé et privé de soins. Le jour du verdict, les yeux plein de larmes, il ne trouvait plus ses mots : «Cela servira beaucoup, ça donnera le courage à d’autres victimes de ne plus garder le silence.»
Ce procès historique, même s’il n’est pas terminé, marque d’ores et déjà un tournant pour la justice internationale. Pour la première fois, l’utilisation de la compétence universelle aboutit à un procès sur le continent africain. Ce principe de droit international permet à la justice d’un pays de poursuivre l’auteur de crimes commis à l’étranger, quelle que soit sa nationalité ou celle des victimes. Un espoir pour tous ceux qui vivent sous des régimes oppresseurs où règne l’impunité et qui désespèrent d’obtenir un jour justice dans leur pays.