La libération en Egypte, ces dernières semaines, de trois défenseurs des droits humains, dont le militant politique palestino-égyptien Ramy Shaath, ne doit pas faire illusion. Ces mesures ne démontrent pas tant que le régime en place au Caire est disposé à revoir à la baisse ses pratiques répressives, mais que les pressions diplomatiques exercées sur ce dernier fonctionnent et qu’il faut les accroître.
Voilà le message qu’ont envoyé 175 parlementaires européens dans une lettre transmise jeudi 3 février à leurs ministres des affaires étrangères respectifs ainsi qu’aux ambassadeurs européens auprès du Conseil des droits de l’homme. Dans ce courrier, les signataires appellent cet organe onusien à mettre sur pied, lors de sa prochaine réunion, au mois de mars, un mécanisme d’enquête indépendant sur l’Egypte.
Les élus, qui siègent au Parlement européen de Strasbourg ou bien à l’Assemblée d’un pays membre de l’UE, s’indignent de « l’échec persistant de la communauté internationale à prendre des mesures significatives face à la crise des droits humains en Egypte ».
Environ 60 000 prisonniers d’opinion
Depuis l’accession au pouvoir du président Abdel Fattah Al-Sissi en 2013, amorce du virage ultrarépressif pris par les autorités cairotes, la situation en Egypte n’a fait l’objet que de deux déclarations au Conseil des droits de l’homme, font remarquer les parlementaires. Parmi ceux-ci figurent une vingtaine d’élus français, dont Yannick Jadot, candidat d’Europe Ecologie-Les Verts à la présidentielle, et son homologue du Parti communiste, Fabien Roussel.
Les ONG de défense des droits humains estiment qu’environ 60 000 prisonniers d’opinion croupissent dans les centres de détention égyptiens, dans des conditions souvent sordides, exposés à de mauvais traitements et parfois à la torture. Les personnes incarcérées, arbitrairement accusées de subversion ou de complot terroriste, sont aussi bien des sympathisants islamistes que des opposants de gauche, des militants des droits humains ou de simples anonymes ayant eu le malheur d’émettre, dans la rue ou sur Internet, une simple critique du régime.
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Les signataires déplorent que les partenaires internationaux de l’Egypte aient tendance à détourner les yeux de l’état des droits humains, au nom de la préservation de la stabilité régionale et du contrôle des flux migratoires, deux dossiers sur lesquels le rôle du Caire est jugé incontournable.
Nécessité de déposer une résolution
D’où l’idée de pousser à la création d’un mécanisme d’enquête. Une telle structure, composée d’experts indépendants, est chargée de rédiger un rapport sur les violations des droits humains dans un pays donné et de le soumettre au Conseil des droits de l’homme. Il en existe, par exemple, pour la Syrie, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo ou encore la Libye. L’objectif, derrière ce genre d’initiative, est que l’institution de l’ONU valide les accusations formulées jusque-là par des ONG et leur confère ainsi un poids et une crédibilité plus grands.
« Quand un pays se retrouve sous enquête de l’ONU, cela devient plus difficile pour lui de balayer les critiques qui lui sont faites, affirme Claudio Francavilla de Human Rights Watch (HRW). Cela devient aussi plus compliqué pour ses alliés d’ignorer ces accusations, de continuer à lui vendre des armes ou de décerner la Légion d’honneur à ses responsables. » Une allusion au tropisme pro-Sissi des autorités françaises qui, ces dernières années, ont vendu au dictateur égyptien des frégates et des Rafale et lui ont remis, en 2020, la grand-croix de la Légion d’honneur.
L’établissement d’un mécanisme d’enquête nécessite qu’une résolution en ce sens soit déposée devant le Conseil des droits de l’homme et qu’elle soit adoptée par la majorité de ses membres. Pour l’instant, aucun des 47 Etats représentés dans l’instance onusienne ne s’est dit prêt à porter une telle initiative.
La probabilité qu’un pays européen se dévoue paraît mince. Fin janvier, HRW a révélé que les Vingt-Sept envisageaient de présenter avec l’Egypte une candidature conjointe à la direction du Global Counterterrorism Forum, une plate-forme multilatérale, très influente dans les débats sur les politiques antiterroristes. « Nous n’avons pas trouvé notre champion, reconnaît Claudio Francavilla, mais cela ne nous empêche pas de pousser. »