«Monsieur le président de la République, […] il est juste que le sport doit rester au-dessus de la politique, mais cela n’autorise pas pour autant à fermer les yeux sur les violations des droits de l’Homme à échelle industrielle. Nous vous invitons à faire savoir publiquement que vous déclinerez toute invitation à assister aux Jeux olympiques d’hiver de Pékin 2022 ou à ses événements connexes. […] Ce n’est qu’en étant solidaires des victimes de persécutions et en défendant la cause de la dignité humaine que nous resterons fidèles aux valeurs fondatrices de l’olympisme.» Le courrier, que Libération s’est procuré, est signé par les sénateurs André Gattolin (LREM), André Vallini (PS) et Olivier Cadic (UDRL) et par la députée Constance Le Grip (LR). Il a été envoyé ce mercredi au président français Emmanuel Macron, au Premier ministre Jean Castex, à la ministre des Sports Roxana Maracineanu, à la secrétaire d’Etat à la Jeunesse Sarah El Haïry et au ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
A moins de deux mois de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, qui se dérouleront du 4 au 20 février dans la capitale chinoise, un mouvement de «boycott diplomatique» a été lancé dans les démocraties occidentales. Les Etats-Unis, l’Australie, dont les relations avec la Chine sont extrêmement tendues, la Lituanie, engagée dans un bras de fer diplomatique et commercial avec Pékin, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne et le Canada ont déjà fait part à la Chine de leur décision. Leurs athlètes pourront concourir, et seront accueillis par le personnel diplomatique installé sur place, mais les gouvernements n’enverront pas de représentants officiels. «Alors que les atrocités se poursuivent dans la région ouïghoure, au Tibet et à Hongkong, il est impensable que les dirigeants français cautionnent ces Jeux», affirme André Gattolin.
«Tout le monde se fiche de savoir s’ils viennent ou non»
Pékin comptait sur ces Jeux pour vanter durant deux semaines devant les caméras du monde entier la supériorité du modèle politique autoritaire chinois sur le système démocratique occidental. Depuis que les Etats-Unis, lundi, ont annoncé que Joe Biden ne ferait pas le déplacement, la diplomatie et les médias d’Etat chinois multiplient les réactions acerbes sur le thème : «De toute façon, vous n’étiez pas invités, et on est très contents de ne pas vous voir». Une défense aussi puérile que peu plausible. Interrogé sur la décision de Canberra annoncée ce mercredi, qui précédait de peu celle de Londres, le porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin, a même répliqué : «Tout le monde se fiche de savoir s’ils viennent ou non. Leur politique politicienne et leurs petits jeux ne changeront rien à la réussite des Jeux olympiques.»
Si les menaces et boycotts sont aussi vieux que les Jeux olympiques «modernes», le fait de refuser en bloc d’envoyer des représentants diplomatiques est un procédé nouveau qui permet d’attirer l’attention sur des désaccords profonds entre les nations invitées et la puissance invitante, et ce sans nuire aux athlètes. Et les sources de désaccord avec la Chine ne manquent pas ces derniers temps. Refus d’enquêter de manière approfondie et indépendantes sur les origines du Covid, répression de type génocidaire au Xinjiang orchestré au plus haut niveau, écrasement du mouvement prodémocratique à Hongkong et violation des engagements signés par Pékin, persécution des Tibétains, des journalistes et des militants et avocats défenseurs des droits humains…
De lourds dossiers auxquels s’est ajoutée le mois dernier l’affaire Peng Shuai. Cette ancienne numéro 1 mondiale de tennis en double, qui a participé trois fois à des JO, a disparu après avoir dénoncé en ligne son viol par un ex-vice Premier ministre chinois. La réaction des autorités à ce #Metoo spectaculaire, puis la pitoyable campagne de communication orchestrée pour étouffer les critiques internationales, ont poussé de nombreux sportifs à exprimer leur gêne à l’idée de participer à une compétition sportive en Chine tant que le sort de leur collègue reste inconnu. Une épine de plus dans le pied du Comité international olympique, qui s’obstine à présenter les JO comme un événement apolitique et se fait l’apôtre d’une «diplomatie discrète».
A l’initiative de l’Alliance interparlementaire sur la Chine (Ipac), qui regroupe 200 parlementaires de tous bords de vingt pays, des lettres du même type ont également été envoyées aux gouvernements allemand, canadien, tchèque, suisse, suédois, danois, irlandais et néerlandais. Parmi les signataires figurent les eurodéputés Miriam Lexmann et Reinhard Büti, placés tous deux sur liste noire par le gouvernement chinois pour leur plaidoyer en faveur des Ouïghours. Tous assurent que la présence de leurs dirigeants dans les tribunes officielles de ces Jeux organisés dans un huis clos sécuritaire et sanitaire «ne fera que conférer une légitimité supplémentaire aux tentatives du gouvernement chinois pour blanchir les exactions qui ont lieu en région ouïghoure et ailleurs».