Une « audience controversée » ainsi serait-on tenté de qualifier la rencontre de Paul Biya, le chef de l’État Camerounais et Christophe Guilhou, Ambassadeur de France au Cameroun le 16 avril dernier au Palais de l’Unité. Audience qui met sur la sellette deux camps, les supporters du locataire d’Etoudi et ceux qui ont cru à la mort du « vieux lion » et continuent de le soutenir mordicus.
Malgré cette audience largement diffusée dans le réseau des médias d’État, des thèses qualifiant la diffusion au 20h30 du 16 avril 2020 de la télévision nationale, soutiennent qu’il s’agit d’un « vidéo montage ». C’est le cas du Pr Franklin Nyamsi, enseignant, écrivain et activiste franco-camerounais vivant en France. Dans une publication dans le blog de Mediapart datant du 18 avril 2020, il tente de démontrer que « sur ce deuxième point (une des trois scènes décrites dans sa publication Ndlr), nos investigations nous ont rapidement permis de constater de façon indiscutable, que la scène n°3 de notre description relève clairement d’un montage audiovisuel, car l’analyse minutieuse des images montre que par plusieurs fois, l’image du corps de monsieur Biya s’escamote en partie et passe même derrière des objets normalement supposés être placés derrière lui ».
Audience du 16 Avril 2020
Dans une pétition lancée sur le net, il appelle à la révocation de l’Ambassadeur de France au Cameroun. Pour lui et les signataires de cette pétition, qu’il engage par cet acte « Christophe Guilhou s’est carrément substitué à la communication officielle du Cameroun pour devenir l’agent de propagande médiatique d’une prétendue apparition de M. Biya qui viendrait mettre fin aux rumeurs sur sa défaillance et la vacance de la fonction présidentielle au Cameroun ».
Il n’est pas le seul dans cette initiative tentant de démontrer que l’audience du 16 avril dernier était fictive. Dans une vidéo postée sur Youtube, Richard Bona confirme que « la vidéo de l’ambassadeur de France et Biya est un Fake ». Le célèbre guitariste camerounais dit avoir contacté plusieurs spécialistes de la vidéo qui confirment que celle-ci est « un fake » après « études des images par un ami spécialiste en image ».
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Rencontre préparée et renvoyée
Après vérifications à plusieurs sources impliquées dans cette audience, quelques faisceaux d’information permettent de comprendre que c’était une audience préparée quelques jours après le déclenchement de la Covid-19, soit en mi-mars. « Effectivement, je puis vous assurer que cet entretien était prévu, au départ d’ailleurs en début de semaine avant d’être repoussé par la présidence (du Cameroun, Ndlr) à jeudi » confie le Quai d’Orsay. « Nous avons préparé l’entretien la semaine dernière (2ème semaine du mois d’avril, Ndlr), estimant avec nos collègues camerounais les pistes de coopération dans le cadre du plan national de réponse au Covid-19 » poursuit le Quai d’Orsay.
On se souvient qu’il y a quelques semaines, Emmanuel Macron, le président français, annonçait en pleine crise sanitaire mondiale, l’aide de la France pour soutenir les efforts de certains pays africains. C’est dans ce sillage que la rencontre de Yaoundé a eu lieu avec une offre de la France, portant entre autres sur le déféré de la dette de l’Etat Cameroun vis-à-vis de l’hexagone.
Par ailleurs, les médias d’Etat dont Cameroon Tribune et la Crtv ayant couvert cette audience, ont reçu un coup de fil du cabinet civil la veille de l’audience, le 15 avril 2020 pour « demander de couvrir » comme c’est de tradition. « Le cabinet civil ne fait pas de demande de couverture pour les audiences au palais » commente-t-on à la rédaction de l’un de ces médias. « C’est toujours un responsable qui passe un coup de fil soit au DG (directeur général Ndlr) ou au directeur des rédactions. Parfois au Rec (rédacteur en chef Ndlr), c’est ainsi depuis » poursuit- notre contact. « Nous avons reçu l’information sur l’audience mercredi le 16 avril en après-midi pour une couverture en mi-journée du jeudi 16 avril 2020 » indique-t-on à la rédaction.
Ce jeudi 16 avril, l’on a remarqué des mouvements de cameramen, photographes et reporters vers le palais en fin de matinée. « Comme d’habitude, les reporters y vont une heure avant l’audience » rassure-t-on à la rue de l’aéroport.
Les images de la controverse
Quoi qu’il en soit, peu après 13h ce 16 avril 2020, des images d’une rencontre entre Paul Biya et Christophe Guilhou ont inondé la toile à une vitesse vertigineuse. Seulement, ces premières images où l’ambassadeur est sans masque serrant la main du président, se trouvent ne pas être les vraies. En tentant de comprendre d’où elles sortent et en interrogeant l’outil de recherche en ligne Yandex, il se trouve que ce sont les photos d’une audience ayant eu lieu le 05 mars 2020 entre les deux personnalités. Au cours de cette rencontre, le plénipotentiaire français et le Chef de l’Etat camerounais revisitaient la coopération entre leurs deux Etats. Lesdites images sont d’ailleurs encore sur le site de la présidence de la République du Cameroun.
Audience du 05 mars 2020
Pourtant, en suivant de bout en bout l’audience du 16 avril, on peut constater que l’ambassadeur arrive à bord d’un 4 fois 4 de couleur grise, le masque déjà sur le visage. Jusqu’à la salle de l’audience, il ne l’enlèvera pas et on peut également constater que le président lui présente presque avec insistance, la place qu’il doit occuper selon la distanciation sociale en vigueur dans le cadre de la lutte contre la Covid-19. Tout en évitant soigneusement de le saluer. Christophe Guilhou n’enlèvera son cache-nez qu’après l’audience, au moment où il voulait s’adresser à la presse, notamment la Crtv dont le micro estampillé est visible sur la vidéo.
Par ailleurs, en tenant d’analyser la vidéo incriminée diffusée au 20h30 du 16 avril 2020 sur les antennes de la Crtv, la télévision nationale, les outils que nous avons utilisés et alternés pour réduire les risques de se tromper, indiquent une présence insuffisante de cette image dans les différentes bases de données en ligne. Autrement dit, cette vidéo n’a pas existé avant le 16 avril 2020.
Contexte politique aidant
Cette rencontre intervient alors que le président de la République du Cameroun est absent de la place publique depuis plus d’un mois. Elle intervient notamment au moment où le président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), a annoncé le 15 avril 2020 sur ses comptes twitter et Facebook, avoir saisi le parlement camerounais à l’effet de lui demander de « constater la vacance du pouvoir ».
Comme lui, de nombreux acteurs politiques, de la société civile et de la diaspora et même des observateurs internationaux appelaient Paul Biya à présenter publiquement le plan de riposte contre la Civid-19. Comme d’habitude, les « réponses » de Paul Biya sont venues de ses soutiens qui dans les colonnes des journaux, à la Tv ou sur les réseaux sociaux tentaient d’indiquer que « c’est le premier ministre qui porte le plan de riposte du Cameroun » et que le président n’avait plus besoin de sortir. D’autres sont allés jusqu’à comparer les données de cette pandémique au Cameroun avec d’autres pays comme le Sénégal et l’Afrique du Sud où des présidents ont plusieurs fois pris la parole.
Depuis l’élection présidentielle d’octobre 2018 en effet, le Cameroun vit une cristallisation des fausses nouvelles sous fond politique et même tribal alimentées par les différents soutiens des leaders politiques. Ces fausses nouvelles, savamment concoctées à la lumière de l’analyse du contenu, vise à discréditer les différents camps et même la politique gouvernementale sans oublier le travail des ONGs. C’est fort de cette situation que le Ministre de l’Administration territoriale et son collègue de la Communication emploient régulièrement l’expression des « ennemis de la République » qui « veulent déstabiliser le Cameroun ». Tandis qu’en face, on parle d’un gouvernement qui brille par l’ « incompétence ».
Paul- Joel Kamtchang