L’opposition nigérienne a décidé de ne pas participer au second tour de l’élection présidentielle dimanche 20 mars pour protester contre les fraudes du 1er tour et le maintien en prison de l’opposant Hama Amadou qui, lui, fait campagne derrière les barreaux. Cette situation baroque n’est pas le premier scrutin non consensuel en Afrique mais les bizarreries ont tendance à se répéter et sapent la légitimité de cette étape fondamentale de la démocratie.
Il est désespérant de constater que les mêmes erreurs se répètent à chaque fois, faisant de certains scrutins une mascarade électorale comme ce fut le cas au Togo en avril 2015 avec le coup de force de la CENI, la commission électorale, qui annonce la victoire de Faure Gnassinbgé après compilation des résultats de 14 commissions électorales locales sur un total de 42…
La nouvelle mode du « coup K.O. » (victoire dès le premier tour) n’a pas amélioré la crédibilité des scrutins. Le Congolais Denis Sassou-Nguesso, qui cumule plus de trente ans au pouvoir, compte dessus le 20 mars. Mais cette majorité magique s’explique difficilement quand on examine un peu la sociologie électorale de ces pays. Heureusement il y a des exceptions. Le Sénégal en 2012 a connu sa deuxième alternance politique avec la défaite du président sortant (la première fois c’était en 2000 avec la défaite d’Abdou Diouf face à Abdoulaye Wade).
Repenser l’observation électorale
Il y a plusieurs raisons à cela mais la principale, qui devrait servir de référence pour tous les autres pays, c’est la possibilité pour les médias de diffuser en direct les résultats bureau de vote par bureau de vote, rendant ainsi compliquée une des fraudes les plus répandues (et pourtant grossière) qui consiste à fabriquer de faux PV de bureau de vote pour la compilation finale (soit des PV qui ne correspondent pas aux résultats réels des bureaux de vote, soit des PV de bureaux de vote fictifs que l’on dissimule en gonflant le taux de participation).
Autre exception heureuse, le Nigeria en 2015 qui a vu pour la première fois de son histoire un président sortant battu. La société civile a joué un rôle majeur en assumant pleinement sa mission d’observation électorale, réduisant ainsi les possibilités de fraudes dans un pays où la fraude électorale était pourtant devenue une industrie lourde. C’est aussi la société civile en Côte d’Ivoire qui a permis, lors de l’élection présidentielle de 2015, d’éviter l’officialisation d’un taux de participation fantaisiste même si le résultat final de l’élection laisse certains encore perplexes.
La question de l’observation électorale est, en effet, majeure. Il y a un déficit de formation de la société civile et des partis politiques. La communauté internationale pourrait se rendre utile en dédiant le temps qui sépare deux élections à former des observateurs au sein des partis politiques et de la société civile. Les fédérations mondiales de partis politiques (internationale socialiste, internationale libérale…) pourraient aussi remplir ce rôle mais elles en sont totalement absentes, réduisant la solidarité mondiale au soutien aux dirigeants et non aux peuples.
Des listes électorales revues au dernier moment
Que dire aussi de la préparation des élections ? A chaque fois, c’est la même pagaille. On connaît pourtant la date de la prochaine élection dès le lendemain de celle qui se termine, mais rien n’y fait. La liste électorale est révisée en toute hâte six mois avant l’échéance, on permet l’inscription pendant un mois, parfois moins (vu la démographie et le nombre de nouveaux majeurs chaque année on devine qu’un tel délai n’est pas sérieux), et on affiche les listes électorales pendant une ou deux semaines, ce qui ne permet pas un réel contrôle social ni à tous les électeurs d’identifier le bureau de vote duquel ils dépendent.
L’idéal serait de coupler un système d’état civil fiable et une liste électorale (ce que certains pays commencent à faire), mais surtout de faire une révision des listes électorales chaque année avec inscription possible toute l’année et un affichage des listes sur des périodes plus longues. Je me suis toujours étonné qu’aucun des bailleurs de fonds qui financent des élections parfois très coûteuses n’ait jamais lié son financement à une préparation qui débute dès le lendemain de l’élection précédente. Tout le monde se réveille au dernier moment. A chaque fois.
Il faut aussi préciser que la biométrie et l’informatique ne protègent pas de la fraude. Le contrôle social et celui des partis politiques sont bien plus efficaces, d’où la nécessité d’afficher les listes électorales suffisamment longtemps. En revanche, la biométrie est un bon business pour certaines entreprises et autorités qui collectent leur dîme au passage… C’est ce même contrôle social et celui des partis politiques qui doivent être favorisés lors du scrutin et surtout pendant la période de compilation des résultats.
Aujourd’hui, les délais prévus par les différentes Constitutions et lois électorales pour déposer les recours et les examiner ne rendent pas crédible le processus. Il est urgent d’allonger ces délais en donnant le temps aux partis politiques de consolider leurs résultats et de formuler des recours et ensuite aux instances compétentes de les examiner. Ce devrait être une exigence des différentes missions d’observation électorales, afin qu’elles puissent observer le processus des recours comme elles le font pour les opérations de vote. Les missions d’observation électorales devraient également prévoir systématiquement un examen a posteriori des PV des bureaux de vote. C’était prévu sur 4 000 bureaux de vote au Togo pour l’élection présidentielle de 2010, mais l’accès informatique à la base n’a pas été autorisé par le pouvoir en place, qui avait changé les codes…
Bref, la crédibilité des élections du continent ne se renforce pas ces dernières années. Chacun a sa part de responsabilité, y compris la communauté internationale dont la docilité, même en présence de résultats soviétiques, ne contribue guère à promouvoir l’idéal démocratique. Quant à ceux qui tripatouillent les scrutins, ils ménagent toujours la communauté internationale pour s’assurer qu’elle endosse le résultat. Ces apprentis sorciers feraient mieux de tourner leur regard dans une autre direction, celle de leur peuple car c’est de là que viendra la lame de fond.
Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.