Alors que des voix s’élèvent pour demander un recomptage, TV5MONDE, RFI, et le Financial Times en collaboration avec le Groupe d’études sur le Congo ont pu prendre connaissance de documents exceptionnels qui apportent un nouvel éclairage sur les résultats de la présidentielle congolaise. Selon des documents de la commission électorale (Ceni) et de la Conférence épiscopale (Cenco), Martin Fayulu sortirait vainqueur.
C’est un séisme contenu dans des milliers de pages. Deux documents censés rester confidentiels ont été obtenus et vérifiés par les journalistes de TV5MONDE, RFI et le Financial Times en collaboration avec le Groupe d’études sur le Congo, l’institut de recherche de l’Université de New York.
Il s’agit tout d’abord d’une compilation de résultats réalisée par la Conférence épiscopale du Congo (Cenco), présente sur tout le territoire grâce à ses 40 000 observateurs.
L’autre document que nous avons pu consulter est une base de données qui aurait été téléchargée par un lanceur d’alerte depuis le serveur de la Commission nationale électorale indépendante. Un fichier comportant ni en-tête, ni logo ou signes caractéristiques de la commission. Ce document de 2064 pages et 49161 entrées, répertorie les résultats de la présidentielle congolaise par site de vote. Leurs numéros d’identification indiqués comme ceux des centres locaux de compilation des résultats correspondent à ceux attribués par la Commission électorale. Selon Gérard Gérold, expert électoral et ancien conseiller de la mision de l’ONU en RDC, « aucun autre organe dans le pays n’est capabable de produire et de compiler de telles données, aussi précises et détaillées. »
Selon deux sources proches de la coalition d’opposition Lamuka soutenue par Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président, et Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga, « ces documents proviennent du serveur de la commission électorale ». Ils auraient, toujours selon eux, « été téléchargés dans les 24h à 48h après la fermeture officielle des bureaux de vote » par transmission « électronique » grâce aux machines à voter. Ces tablettes informatiques tactiles ont été au coeur de toutes les critiques lors de ces élections présidentielle, législatives et provinciales.
Les données ont-elles été transmises par les machines à voter ?
« Machines à tricher » pour ceux qui y voyaient un moyen de fraude, les nouveaux outils de vote devaient être de « simples imprimantes à bulletins » selon la Commission électorale. Son président Corneille Nangaa nous avait affirmé avant le scrutin que les résultats seraient transmis manuellement, renforçant le doute dans l’opposition et la société civile.
La Fondation Westminster a souligné dans son rapport que ces machines de vote électroniques disposaient de trois modes de transmission électronique et qu’elles possédaient en plus de l’imprimante, une carte SIM, une carte Wifi et des valises satellite pour les sites de vote les moins bien connectés.
> A revoir notre reportage : Présidentielle en RDC : les machines à voter peuvent-
Toutes les informations tirées de ces deux documents convergent vers le même résultat, Félix Tshisekedi ne serait pas le vainqueur comme l’a indiqué la Commission électorale lors de la publication des résultats provisoires le 10 janvier 2019. C’est son adversaire et également opposant Martin Fayulu qui arriverait en tête.
Les résultats provisoires de la Ceni
Le 10 janvier, la Ceni crédite officiellement Félix Tshisekedi de 38,57 % des suffrages. Juste derrière lui, Martin Fayulu compte 34,83% des voix. Enfin arrive troisième, le dauphin du président Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary du Front commun pour le Congo (FCC) avec 23.84%.
Contestation des résultats officiels provisoires
Rapidement, ces résultats officiels provisoires sont contestés par l’opposition, la société civile, certains observateurs internationaux et la Conférence épiscopale du Congo forte de ses 40 000 observateurs déployés sur tout le territoire qui ont fait un comptage parallèle. La Cenco dit connaître le vainqueur sans en révéler le nom.
Les données de la Cenco auxquelles nous avons eu accès avec nos confrères de RFI, et du Financial Times sont claires. Les données collectées ne correspondent pas aux résultats officiels proclamés.
Martin Fayulu président ?
Les résultats de la Cenco portent sur 42,92% des suffrages et 28 733 bureaux de vote. Cela représente 8 millions suffrages exprimés le 30 décembre 2018 sur un total de 18 millions. « La Cenco a utilisé deux types de méthodologies : celle de l’échantillonnage utilisée par ailleurs par les instituts de sondage et une méthodologie plus massive qui visait à rassembler le plus de procès verbaux possibles à travers ses observateurs, nous explique Gérard Gérold, expert électoral et ancien conseiller de la mision de l’ONU en RDC. L’échantillonnage qu’a retenu la Cenco de manière très scientifique, comportait 7 800 bureaux de vote, c’est-à-dire à peu près 10%. En croisant les résultats de ces deux méthodologies, je pense que la Cenco avait une juste approche des résultats de l’élection.»
Il en ressort que Martin Fayulu arrive en tête avec 62,8% des voix, devant le dauphin de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shardary crédité de 17,99% et enfin Félix Tshisekedi avec 15%.
« Les Évêques ont demandé à leurs observateurs de récupérer ou de photographier les données de tous les procès-verbaux de bureaux de vote qu’ils pouvaient, explique l’expert Gérard Gerold. Cela leur a donné une vision globale des résultats. »
Lorsqu’on compare ces résultats de la Ceni avec les compilations de la Cenco, la corrélation est quasi-parfaite. Par exemple dans la capitale Kinshasa, la Ceni livre les résultats suivants : Martin Fayulu en tête avec 73, 61% devant Félix Tshisekedi avec près de 17% et Emmanuel Ramazani Shadary avec 7,90%.
Les chiffres de la Cenco portant sur un échantillon plus restreint livrent un résultat similaire : 73,65% pour Martin Fayulu, 17,52% pour Félix Tshisekedi et 7,40% pour Emmanuel Ramazani Shadary.
Même scénario pour la province d’Ituri. Les données de la Ceni donnent Martin Fayulu toujours vainqueur avec 85% quand la Cenco le crédite de 82% des voix.
Les mauvais résultats publiés ?
« La Ceni n’a pas publié ces résultats ( issus des documents qui ont fuité, ndlr) directement, commente l’expert Gérard Gerold, mais ils ont publié des résultats qui étaient autres… Ils ont bougé près de 3 millions de voix pour publier des résultats qui n’étaient pas ceux qui venaient de leur machines.»
Y a-t-il eu fraude? « Apparemment oui », conclut-il.
Selon le document attribué à la Ceni, Martin Fayulu recueillerait près de 59 % des voix sur tout le territoire. Il serait largement en tête dans toutes les provinces, sauf au Maniema, Haut Lomami, Sankuru et Kasaï, où c’est l’ancien vice-Premier ministre, et dauphin de Kabila Emmanuel Ramazani Shadary qui l’emporte.
Excepté également dans les Kasai central et oriental, bastion de Félix Tshisekedy.
Mais malgré cela, on est bien loin des chiffres annoncés le 10 janvier par Corneille Nangaa le président de Commission électorale nationale indépendante.
Pour l’instant, il est impossible de comparer toutes ces données avec tous les procès verbaux issus du vote car la Ceni n’a jamais publié de résultats bruts ou compilés aux candidats par site de vote, centres locaux de compilation ou circonscription.
Martin Fayulu a, lui, déposé un recours devant la cour constitutionnelle. D’autres demandent un recomptage. La Ceni n’a pas souhaité commenter les révélations de cette enquête.