Non, ne tronquons pas de nouveau l’histoire de notre cher et beau pays le Cameroun.
Non, cher compatriotes, n’aidons pas Paul Biya et son clan à construire leur règne perpétuel sur la falsification de l’histoire de notre pays.
Car il faut bien qu’après nous, nos enfants sachent ce qui s’est passé à propos des émeutes de fin février 2008 au Cameroun, ainsi que les responsables de cette répression sanglante des libertés.
Certains compatriotes-sans doute par crainte d’en désigner les vrais coupables- pointent du doigt le ministre de l’Administration territoriale de l’époque, Marafa Hamidou Yaya (visiblement devenu la proie facile) comme le commanditaire de la répression des émeutes de février 2008 au Cameroun. Dire les choses ainsi c’est faire preuve d’une méconnaissance du fonctionnement des institutions au Cameroun et d’une négation des faits qui ont marqués cette période douloureuse de l’histoire de notre pays.
D’abord, il convient de rappeler qu’ailleurs, la police et la gendarmerie sont placées sous l’autorité du ministère de l’Intérieur (pendant du ministère de l’Administration territoriale au Cameroun).
Or au Cameroun, la police et la gendarmerie agissent sous les autorités directes respectives de la Délégation générale à la sûreté nationale et du Secrétariat d’État à la défense chargé de la gendarmerie (qui dépendent du ministère de la Défense) et sont directement rattachés à la présidence de la République.
Même les gouverneurs, les préfets et les sous-préfets sont nommés par le Président de la République au Cameroun, et ne peuvent recevoir des ordres que de lui. On comprend donc mal comment le ministre de l’Administration territoriale peut donner des ordres aux forces de police et de gendarmerie alors que ces dernières ne lui doivent ni leur intégration, ni leur avancement en grade.
S’agissant des émeutes de février 2008, les Camerounais doivent se rappeler que les forces de police et de gendarmerie étant débordées, c’est le BIR qui a été déployé sur les lieux des émeutes pour y mettre un terme. Ces forces spéciales, on le sait, dépendent de la Présidence de la République.
Dans sa 1ère lettre au chef de l’État quelques semaines après sa mise en détention à la prison centrale de Kondengui, Marafa Hamidou Yaya lui-même en dit ceci :
«Après les émeutes de février 2008, les rapports négatifs à mon encontre se sont intensifiés. Pour mes détracteurs, mon refus constant d’interdire ou de saisir les journaux et mon approche des problèmes consistant à éviter une réponse exagérément et inutilement violente ainsi qu’une répression systématique, prouvaient à suffisance mon manque de loyauté à votre égard… ».
Sachons faire preuve de discernement en identifiant nos bourreaux et en évitant de plonger dans ce postulat à deux sous qui voudrait que « tout ce qui a servi Biya est pourri, voleur ».
Voici dans son intégralité la première lettre du Ministre Marafa Hamidou Yaya au Président Paul Biya le 02 mai 2012:
Monsieur le président de la République,
Le lundi 16 avril 2012, j’ai été convoqué par le juge d’instruction du Tribunal de grande instance du Mfoundi et écroué à la prison centrale de Kondengui, sans autre forme de procès.
Vous avez certainement dû apprendre que j’ai demandé la récusation de ce juge d’instruction qui était venu me voir de son propre chef et qui, avec instance, m’a sollicité pour que nous nous « arrangions » afin qu’il instruise le dossier dans un sens qui me serait favorable ! J’ai tout naturellement refusé sa proposition. Je vous en avais rendu compte en son temps, pensant que le président du Conseil supérieur de la magistrature s’en serait ému. Est-il besoin de vous le rappeler, monsieur le président de la République, que c’est moi qui vous ai sollicité, par correspondance en date du 7 mai 2008 à vous adressée, pour être entendu par les instances judiciaires compétentes, afin d’apporter mon témoignage et contribuer à la manifestation de la vérité dans cette scabreuse affaire que vous connaissez mieux que quiconque parce que régulièrement informé de ce processus d’acquisition de votre avion, que vous suiviez au jour le jour. Vous savez bien que mon incarcération n’a rien à voir avec cette affaire pour laquelle je ne suis coupable d’aucun délit et surtout pas de celui que vous avez instruit que l’on m’impute. J’espère que les débats à venir permettront à nos compatriotes de savoir quel est le rôle joué par tous les intervenants, et cela à tous les niveaux. Vous savez également ce que je pense de certaines de ces arrestations spectaculaires. Wikileaks s’en est d’ailleurs fait largement l’écho.
Monsieur le président de la République,
Le 06 novembre 1982, j’ai couru derrière votre cortège du carrefour Warda jusqu’au rond-point de l’école de Bastos. J’étais alors un jeune haut cadre de la Snh ; et à ce moment-là, j’étais fier de mon pays. Par la suite j’ai été séduit par votre discours et je me suis engagé corps et âme derrière vous, convaincu de participer à l’édification d’une société de paix et de justice. J’ai essayé de toutes mes forces de travailler dans ce sens. Et vous le savez. Nos compatriotes également l’apprendront. Vous m’avez donné l’opportunité de servir notre pays à un très haut niveau. Je l’ai fait avec enthousiasme, engagement et je l’espère modestement, avec une certaine compétence. Comme je vous l’ai dit dans le message de vœux de nouvel an que je vous ai adressé le 30 décembre dernier, je continuerai à servir à l’endroit où vous m’assignerez pour contribuer à faire de notre pays un pays de paix et de Justice. Et de là où je suis, je puis vous affirmer que mon enthousiasme et mon engagement pour ces nobles causes restent intacts. J’ai été votre proche collaborateur pendant dix-sept (17) années sans discontinuer. D’abord comme conseiller spécial, ensuite comme secrétaire général de la présidence de la République et enfin comme ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation pendant près d’une décennie.
Je vous ai servi avec loyauté, sincérité et sans préjugé. Comme vous le savez bien, pendant toutes ces années, j’ai toujours refusé d’être un courtisan. (A titre d’exemple, j’ai constamment refusé de m’associer aux folklore des différentes éditions de « l’Appel du peuple »). J’ai toujours préféré garder une liberté qui me permettait de vous donner, en toute indépendance d’esprit, des avis vous permettant de gérer les affaires de l’État dans le plus grand intérêt de notre pays. Ce n’était pas une position facile à assumer pour moi, dans un environnement et un contexte qui sont les nôtres, car je n’étais pas un de vos proches de longue date, ni originaire de votre aire culturelle. J’ai cependant eu l’impression que cette position, même si elle vous agaçait quelquefois, était malgré tout appréciée de vous, ce qui justifierait l’exceptionnelle durée et je dirais même l’intensité de notre collaboration. Cette indépendance d’esprit m’avait permis de vous dire, après l’élection présidentielle de 2004, que ce septennat devrait être le dernier pour vous et que nous devrions tous nous mobiliser pour le succès des « grandes ambitions » afin que votre sortie de la scène politique se fasse avec fanfare, que vous jouissiez d’un repos bien mérité, à l’intérieur de notre pays.
Était-ce un crime de lèse-majesté ?
C’est possible ! Mais j’exprimais sincèrement ce que je pensais à l’époque être dans votre intérêt et dans celui de notre pays. Ma conviction à l’époque était qu’un mandat supplémentaire serait le mandat de trop. Comme nous allons le voir, le harcèlement et la vindicte à mon égard datent de ce temps-là ; aujourd’hui, je paye peut-être pour cette lucide franchise. Cette liberté m’a également permis de vous exprimer une opinion sincère, comme l’illustrent les trois exemples suivants, concernant le gouvernement de la République :
a) Après la formation du gouvernement consécutif à l’élection présidentielle de 2004, vous m’avez accordé une audience au cours de laquelle vous m’avez demandé ce que les gens pensent du gouvernement. Je vous ai répondu qu’ils pensent qu’avec un effectif d’environ soixante-cinq (65) ministres et assimilés, le gouvernement est pléthorique et manquerait d’efficacité. Entre agacement et irritation, vous m’avez tenu ces propos :«…Monsieur le ministre d’Etat, vous êtes combien de ministres dans ce gouvernement ? Peut-être dix (10) ou quinze (15) tout au plus. Le reste, ce sont des fonctionnaires à qui j’ai donné le titre ». Je vous ai répondu : « … C’est peut-être vrai, monsieur le président de la République. Mais le problème, c’est que ces fonctionnaires eux, se prennent pour des ministres ».
Le dialogue à ce sujet s’est arrêté là.
b) De même, à la veille d’un remaniement, vous m’avez fait l’honneur, au cours d’une audience, de m’interroger sur un compatriote. Je vous ai répondu que ce monsieur ne méritait pas de siéger au gouvernement de la République. Vous avez développé des arguments qui m’ont convaincu que votre décision était déjà prise. Je vous ai alors dit : « …Monsieur le président de la République, au cas où vous le nommeriez au gouvernement, ne lui confiez surtout pas un département ministériel ». Nous connaissons la suite.
c) Enfin, après la formation du gouvernement au sein duquel monsieur Issa Tchiroma est devenu ministre (afin de contrecarrer mes ambitions, aux dires de certains), vous m’avez accordé une audience au cours de laquelle vous m’avez demandé ce que les gens pensent du nouveau gouvernement. Je vous ai répondu sans détour que monsieur Issa Tchiroma ne mérite pas de siéger au gouvernement de la République. Vous et moi et d’autres (y compris lui-même) savons à quoi je fais référence. Je vous ai dit en outre que je ne collaborerai jamais avec lui. Jusqu’à présent, les gens pensent que notre « inimitié » est d’ordre politique car nous sommes adversaires dans la même circonscription. Cela n’a rien à voir et l’avenir le prouvera.
Monsieur le président de la République,
Lorsque la vindicte à mon égard a commencé, j’ai traité avec indifférence les ragots faisant état de ma déloyauté à votre égard et je me suis abstenu de vous en importuner. Mais lorsque votre entourage le plus proche est rentré dans la danse, j’ai cru devoir à chaque fois, m’en ouvrir à vous. Ainsi, lorsqu’en novembre 2007, il a été demandé au préfet du département du Mfoundi de « prolonger la garde-à-vue administrative de quinze (15) jours renouvelables » concernant vingt (20) personnes dont dix-huit (18) sont des militaires de divers grades, j’ai instruit le gouverneur de la province du Centre et le préfet du département du Mfoundi de ne pas s’éxécuter et de se conformer strictement aux dispositions de la loi. Je vous en ai rendu compte par note en date du 21 novembre 2007.
Ces personnes auraient été libérées quelques mois plus tard sur vos instructions. Quelques jours après le refus de l’administration territoriale de cautionner cette mascarade, j’apprendrai qu’il vous a été rapporté que les personnes concernées seraient mes complices dans une tentative de déstabilisation des institutions de la République. Devant cette accusation extrêmement grave et devant la réccurrence des rapports systématiquement négatifs qui vous parvenaient à mon sujet de la part de certaines officines et sur lesquels vous ne me disiez rien, j’ai dû prêter une oreille attentive à l’une des nombreuses offres d’emploi qui m’étaient faites régulièrement au niveau international. J’espérais que mon départ permettrait de préserver la qualité des relations que j’ai eu l’honneur d’entretenir avec vous. Je vous en ai fait part ainsi que de mon désir de quitter le gouvernement au cours d’une audience en date du 30 novembre 2007. Vous m’avez expliqué que vous aviez encore besoin de moi et qu’en ce qui vous concernait, vous me faisiez encore entièrement confiance.
Je me dois cependant de rappeler à votre attention, quelques faits suivants, entre autres :
a) Après les émeutes de février 2008, les rapports négatifs à mon encontre se sont intensifiés. Pour mes détracteurs, mon refus constant d’interdire ou de saisir les journaux et mon approche des problèmes consistant à éviter une réponse exagérément et inutilement violente ainsi qu’une répression systématique, prouvaient à suffisance mon manque de loyauté à votre égard. A nouveau, je vous ai saisi par note en date du 5 mars 2008 pour vous rappeler que le département ministériel à la tête duquel j’étais, est trop délicat pour avoir à sa tête quelqu’un qui ne jouirait pas de votre confiance. J’ai également saisi l’occasion de cette note pour porter à votre attention les relations incestueuses qui tendaient à se développer entre l’État et le parti RDPC, au vu d’une correspondance me concernant adressée par le ministre de la Justice au secrétaire général de ce parti.
b) Dans un rapport cousu de fil blanc, en date du 24 juillet 2008, le député Mvondo Assam, vice-président de la Commission de défense et de sécurité à l’Assemblée nationale et par ailleurs votre neveu, faisant référence à « différentes notes antérieures», vous souligne « l’ambition d’un grand destin national »qui m’anime ainsi que ma « stratégie de conquête du pouvoir ». Je vous ai saisi par note en date du 17 septembre 2008 afin de « solliciter respectueusement l’ouverture d’une enquête sur ces graves accusations ». Au cours d’une audience ultérieure, j’ai évoqué la nécessité de diligenter cette enquête, vous m’avez dit que votre neveu ne sait pas ce qu’il fait ; vous m’avez chaleureusement renouvelé votre confiance et vous m’avez demandé de ne pas tenir compte de cet incident. Je vous ai remercié tout en vous disant que si le député Mvondo Assam ne sait pas ce qu’il fait, il ne devrait pas occuper un poste aussi sensible à l’Assemblée nationale.
c) En février 2010, j’ai fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire national. Cette mesure illégale a été grossièrement rendue publique alors que je présidais à Bertoua la commission mixte de sécurité entre le Cameroun et la République centrafricaine, à la tête d’une délégation camerounaise de cinq (5) membres du gouvernement face à sept (7) membres du gouvernement centrafricain. J’ai stoïquement fait face à mes responsabilités. A mon retour à Yaoundé, j’ai sollicité une audience au cours de laquelle je vous vous ai à nouveau présenté ma démission. A cette occasion, je vous ai renouvelé l’impérieuse nécessité de nommer à la tête du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation une personne qui non seulement jouirait de votre confiance, mais aussi que l’on laisserait travailler en toute sérénité. A nouveau vous avez refusé ma démission et vous m’avez renouvelé votre confiance.
d) Avant la convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle du 9 octobre dernier, vous m’avez fait recevoir par le Directeur du cabinet civil. Une première ! Celui-ci m’a dit qu’il me recevait en votre nom et que vous vouliez savoir si j’allais me présenter contre vous à cette élection. J’ai été choqué car ce faisant, vous donniez du crédit à la rumeur qui vous avait été maintes fois rapportée selon laquelle j’aurais créé un parti politique clandestin. J’ai dit au directeur du cabinet civil de vous dire que j’étais blessé aussi bien par le contenu du message que par la manière dont il a été délivré. Je lui ai dit par ailleurs de vous rassurer, par souci de responsabilité et pour éviter toute crise inopportune, que je ferai tout mon devoir pendant la période délicate avant, pendant et après les élections, afin que la paix soit préservée dans notre pays.
Mais qu’après cette élection, compte tenu de l’effritement continu de la confiance depuis bientôt (07) ans et finalement de la perte manifeste de celle-ci, je n’entendais plus continuer ma collaboration avec vous au niveau du gouvernement. J’ai fait part à mes proches de cette blessure ainsi que de la décision de ne pas figurer au gouvernement après l’élection présidentielle. Après la clôture du dépôt de candidatures et ayant constaté que la mienne n’y figurait pas, le directeur du cabinet civil m’a à nouveau reçu pour me dire de ne pas surinterpréter votre message qui est allé au-delà de votre pensée et que vous me recevriez bientôt pour lever toute équivoque. Je lui ai répondu que je n’étais pas demandeur d’une audience et que ma décision de ne plus faire partie du gouvernement après l’élection présidentielle était non négociable. J’avais alors mesuré toute la portée de ces paroles de Fénelon à Louis XIV : «Vous êtes né, Sir, avec un cœur droit et équitable, mais ceux qui vous ont élevé ne vous ont donné pour science de gouverner, que la méfiance».
e) Après mon départ du gouvernement, une certaine presse en furie et aux ordres, s’est mise à préparer l’opinion (comme il est désormais de coutume) pour mon incarcération à venir, faisant fi au passage des intérêts de notre pays. C’est ainsi que le monde entier apprendra que je suis à la tête d’une armée de 6.000 rebelles ! A ce jour, je n’ai pas été interrogé sur cette volonté affichée de déstabilisation qui aurait été éventrée. A ma connaissance, ceux qui ont publié cette grossièreté ne l’ont pas été non plus. On se serait limité à dire que la grossièreté se le dispute à la bêtise si ce n’est que c’est notre pays qui souffre de cette image pré-insurrectionnelle. De même, cette obsession à me lier à la France alors que c’est du Cameroun qu’il s’agit ! Des notes de renseignements vous parviennent selon lesquelles l’ambassadeur de France à Yaoundé viendrait souvent à mon domicile en cachette, dans une voiture banalisée, afin que nous élaborions des plans de déstabilisation de notre pays. Aussi, des informations sont distillées dans le public sur mes prétendues relations avec un grand industriel français qui viendrait souvent clandestinement à Garoua me rencontrer pour le même objet. Notre pays serait-il devenu une passoire pour que l’on y pénètre sans visa ou y faire atterrir des aéronefs sans une autorisation préalable de survol du territoire ?
Monsieur le président de la République,
Vous me connaissez très bien. Je ne cache ni mes opinions ni mes agissements.Vous comprenez donc qu’ayant recouvré ma liberté de parole car n’étant plus tenu par une quelconque obligation de solidarité ou de réserve, je puisse exposer, échanger et partager avec tous nos compatriotes mes idées et mes réflexions que je vous réservais en toute exclusivité ou que je ne développais qu’au cours des réunions à huis clos. Ces idées et ces réflexions portent particulièrement sur la paix et la justice. Et avant de terminer, permettez-moi de vous assurer, que du fond de mon cachot, je n’ai ni haine, ni regrets, et que je ne nourris ni mélancolie, ni amertume. Surtout, je n’ai aucune pulsion suicidaire. S’il m’arrivait quelque chose par inadvertance, ce ne serait ni de mon fait, ni du fait des repas que je me fais livrer par ma famille. Bien que n’ayant pas particulièrement peur de la mort, j’aimerais que si cette fâcheuse éventualité survenait, les responsabilités soient bien établies.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)