Alors que les luttes fratricides s’exacerbent au sommet du régime algérien, un nouveau gouvernement a été désigné, dimanche 31 mars, par le président Abdelaziz Bouteflika, reclus dans sa résidence médicalisée à Zeralda, à l’ouest d’Alger, et dont le départ est réclamé par le chef de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah.
Le gouvernement dirigé par Noureddine Bedoui comprend vingt-sept membres, dont huit sont issus de l’équipe de l’ex-premier ministre Ahmed Ouyahia, démissionnaire le 11 mars. Le général Ahmed Gaïd Salah, qui a recommandé le 26 mars l’activation de l’article 102 de la Constitution prévoyant l’« empêchement » du président pour raison de santé, a été reconduit au poste de vice-ministre de la défense. M. Bouteflika lui-même conserve le poste de ministre de la défense. Ramtane Lamamra, désigné le 11 mars vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères, ne figure pas dans le nouveau gouvernement. Il est remplacé par Sabri Boukadoum, ambassadeur d’Algérie à l’ONU.
La formation du gouvernement, fruit d’efforts laborieux, donne une apparence de mouvement alors que le régime, contesté depuis six semaines par une protestation populaire d’une ampleur inédite dans l’histoire du pays, est paralysé par le bras de fer opposant le chef de l’armée au clan présidentiel. Gaïd Salah, dont la proposition d’« empêcher » le président a été rendue jusqu’à présent inapplicable par le silence du Conseil constitutionnel – seule instance habilitée à déclencher la procédure – est remonté au créneau samedi avec plus de fermeté.
Le « parrainage des services français »
Entouré par les commandants des différentes armes et du commandant de la 1re région militaire – dont relève Alger – le chef de l’armée a assuré que la « solution de la crise ne peut être envisagée qu’à travers l’activation des articles 7, 8 et 102 ». La référence aux articles 7 et 8 disposant que « la souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple » et que « le pouvoir constituant appartient au peuple » est destinée à donner des gages au mouvement de contestation, dont la méfiance à l’égard de l’ensemble du régime s’est à nouveau exprimée vendredi sous la forme de rassemblements massifs à travers le pays.
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Lors de cette réunion, Gaïd Salah a accusé « certaines parties malintentionnées » de « préparer un plan visant à porter atteinte à la crédibilité de l’ANP [Armée nationale populaire] et à contourner les revendications légitimes du peuple ». La chaîne privée Echourouk TV, passée sans transition de l’adulation de Bouteflika à celle de Gaïd Salah, s’est chargée de donner une tonalité dramatique à la crise, en affirmant que les forces spéciales de la gendarmerie se déployaient en force à Alger.
L’information, rapidement démentie sur les réseaux sociaux, a suscité une vive inquiétude. La chaîne n’en est pas restée là. Elle a cité, comme comploteurs présumés, Saïd Bouteflika, frère du chef de l’Etat, l’ancien chef des services, le général Mohamed Mediene dit « Toufik », et son successeur Bachir Tartag avec le « parrainage des services français ». Leur plan était, selon Echourouk TV, de susciter des « tensions régionalistes en Kabylie et dans le sud ».
« La rue a demandé le départ de tout le monde »
Le général Gaïd Salah, qui a déjà obtenu le ralliement des partis et organisations liés au pouvoir, bénéficie désormais de l’appui de certaines figures de l’opposition. Pour l’ancien chef de gouvernement, Ali Benflis, la démarche de l’armée « répond à une demande populaire pressante » et vise à défendre « l’Etat national » et « les buts de la révolution démocratique et pacifique ».
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Le chef du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste), Abderrazak Makri, s’est déclaré favorable à la fin de « l’ère Bouteflika » et à « l’accompagnement de l’institution militaire » afin de « parvenir à une solution et réaliser le consensus national et la transition démocratique souple ». La méfiance reste cependant de mise chez d’autres acteurs. Karim Tabbou, coordinateur de l’Union démocratique et sociale (UDS), a critiqué l’insistance de Gaïd Salah à appliquer l’article 102. « La rue a demandé le départ de tout le monde, a-t-il déclaré. Gaïd Salah croit encore à la possibilité de gérer la transition par les institutions actuelles. »
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Bouteflika tiendra-t-il jusqu’au 28 avril, date de l’expiration de son actuel mandat ? L’arrestation de Ali Haddad, patron des patrons, à la frontière tunisienne, montre que même les plus proches sont dans le doute. En tout cas, la pression médiatique sur le clan présidentiel reste intense. Ennahar TV, pendant longtemps quasi porte-parole officieux du clan présidentiel, a affirmé dimanche que Bouteflika pourrait « démissionner d’ici à mardi ».
, Le Monde Afrique
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Algérie : le président Bouteflika démissionnera avant la fin de son mandat
Le chef de l’État prendra par ailleurs, d’ici au 28 avril, des « mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l’État durant la période de transition ».
Son mandat ne sera pas prolongé. Le président algérien Abdelaziz Bouteflika démissionnera avant le 28 avril, date d’expiration de son quatrième mandat, a indiqué lundi 1er avril l’agence de presse officielle Algérie Presse Service qui cite un communiqué de la présidence. Son départ était la principale revendication de la rue qui réclame aussi, depuis plus d’un mois, la fin du « système ».
Avant sa démission, le chef de l’État, âgé de 82 ans, prendra des « mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l’État durant la période de transition », indique encire la présidence. Ni la date de cette démission ni les « décisions importantes » qui seront prises avant n’ont cependant été précisées.
« La nomination du nouveau gouvernement en date du 31 mars 2019 par son Excellence M. Abdelaziz Bouteflika, président de la République, sera suivie par d’importantes décisions qu’il prendra, conformément aux dispositions constitutionnelles, à l’effet de permettre d’assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l’Etat durant la période de transition qui s’ouvrira à la date à laquelle il décidera sa démission », précise la même source.
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Contestation massive et inédite
Au pouvoir depuis vingt ans, le président Bouteflika est confronté depuis le 22 février à une contestation massive et inédite. Après avoir renoncé à briguer un cinquième mandat, une perspective qui a fait descendre des millions d’Algériens dans la rue, M. Bouteflika avait reporté la présidentielle initialement prévue pour le 18 avril et proposé de remettre ses pouvoirs à un successeur élu à l’issue d’une Conférence nationale censée réformer le pays et élaborer une nouvelle Constitution.
Une option qui impliquait qu’il reste au pouvoir au-delà de l’expiration de son quatrième mandat et jusqu’à une date indéterminée, catégoriquement rejetée par les manifestants, dont la mobilisation n’a pas faibli ces dernières semaines.
M. Bouteflika s’est retrouvé très isolé ces derniers jours après que le chef d’état-major de l’armée, le puissant général Ahmed Gaïd Salah, un indéfectible allié, eut affirmé que son départ du pouvoir était la solution à la crise, position à laquelle se sont ralliés rapidement l’essentiel des piliers de son régime.
Selon la Constitution, une fois sa démission actée, c’est le président du Conseil de la nation, la Chambre haute du Parlement, Abdelkader Bensalah, 76 ans, qui assurera l’intérim durant une période maximale de quatre-vingt-dix jours au cours de laquelle une présidentielle sera organisée.
Nouveau gouvernement
L’APS avait dévoilé dimanche soir la liste d’un nouveau gouvernement, promis depuis la nomination, le 11 mars, du nouveau premier ministre Noureddine Bedoui, censée accompagner la Conférence nationale promise. M. Bedoui aura mis 20 jours de difficiles consultations pour trouver 27 ministres susceptibles d’incarner un rajeunissement et un renouveau aux yeux des manifestants.
Malgré le bras de fer qu’il avait semblé engagé avec l’entourage proche du chef de l’Etat, le général Gaïd Salah a été reconduit comme vice-ministre de la défense, un portefeuille qu’il détient depuis 2013. Mais ce gouvernement accouché au forceps semble peu à même de calmer la rue. L’essentiel de l’équipe, rajeunie à la marge, est composé d’inconnus, issus de la haute administration.
Et le quart des postes (8 sur 28) restent occupés par des ministres de la précédente équipe, dont M. Bedoui, un fidèle de M. Bouteflika, décrié dès sa nomination en raison de ses précédentes fonctions de ministre de l’Intérieur, peu à même d’inspirer confiance à la contestation.
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Sentiment de désagrégation
Le sentiment de désagrégation du régime s’est renforcé lundi avec l’annonce par le Parquet de l’ouverture d’enquêtes pour « corruption » et « transferts illicites de capitaux », assorties d’interdictions de sortie du territoire pour les suspects.
Si aucun nom n’a été cité, seraient visés, selon des médias privés algériens, une dizaine de personnes, parfois membres d’une même famille, figurant parmi les hommes d’affaires les plus puissants d’Algérie et entretenant souvent des liens étroits avec les cercles rapprochés du pouvoir.
Dimanche, l’autorité de l’aviation civile a également interdit tout mouvement d’avions privés appartenant à des ressortissants algériens sur les aéroports du pays. Une mesure prise, selon certains médias algériens, pour empêcher des personnalités susceptibles de faire l’objet d’enquêtes, de fuir l’Algérie.
Depuis le 22 février, le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies en Algérie a poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, avant l’élection présidentielle prévue le 18 avril.
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