Vingt ans après la mort du dictateur, des Congolais sont nostalgiques de la «grandeur» perdue du Zaïre, quitte à passer sous silence les crimes du régime. Peu nombreux à vouloir s’exprimer sur le sujet, les anciens fidèles du chef d’Etat restent pourtant actifs sur la scène politique
En 1996, Anita avait 26 ans. Elle rejoignait tous les jours un endroit aussi secret que prestigieux, le domaine présidentiel de la N’Sele, après l’aéroport de Kinshasa, au milieu de la brousse. Le bus était gratuit. Même si elle n’était presque plus payée, Anita mangeait à sa faim. Le maître des lieux, un homme barbichu, à toque de léopard et lunettes d’écailles, avait appelé le pays, son fleuve et sa monnaie Zaïre. De même, il s’était rebaptisé Mobutu Sese Seko en place de Joseph Désiré Mobutu. Le «Maréchal» ou «Léopard» accueillait les dirigeants du Mouvement populaire de la révolution (MPR), le parti unique, pour des réunions ou des chasses en hélicoptère. Anita menait les visiteurs à la piscine, à la salle de conférence, au parc rempli de zèbres et de singes, à la vaste pagode chinoise entourée d’une fosse aux crocodiles. Pendant ce temps, une armée de kadogo, ces enfants-soldats venus de l’est, dirigés par Laurent-Désiré Kabila, soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, marchait sur Kinshasa, s’apprêtant à mettre fin à trente-deux ans de règne sans partage. Le 17 mai 1997, les rebelles prenaient la capitale et créaient la république démocratique du Congo (RDC). Mobutu s’exilait au Maroc, où il mourut d’un cancer moins de quatre mois plus tard.
Terreur policière
Vingt ans après, Anita, un foulard bleu sur ses cheveux teints en blond pâle, vend du poisson frit dans une baraque de tôle surchauffée. Des bidonvilles sont apparus sur la route de l’aéroport. Elle vit dans les anciens locaux du personnel depuis que les loyers de Kinshasa ont flambé. Officiellement «agent de l’Etat», elle n’a plus rien à faire visiter. Les zèbres et les singes ont été tués, le parc a été vendu à une entreprise chinoise. La pagode, pillée, est dévorée par l’herbe, les oiseaux et l’humidité. Deux anciens kadogo à moitié ivres, la kalachnikov en bandoulière, montent la garde en sandales parmi les ruines. Des paysans les ravitaillent en feuilles de manioc. «Le seul problème avec Mobutu, c’est qu’il n’a pas laissé sa chaise», résume Jovial, policier sans le sou qui déjeune dans la gargote d’Anita. Il a «tout vu» : Mobutu lâcher sa chaise au «père Kabila» ; ce dernier, assassiné en 2001, la laisser à son fils Joseph Kabila, et celui-ci y rester assis malgré la fin officielle de son deuxième et dernier mandat. Depuis, Jovial voit la situation politique s’enliser à tel point de ne plus espérer les élections promises en 2016 par la Constitution, puis en 2017 par un accord conclu entre le régime et l’opposition menée par l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Le 1er février, le pays a reçu un énième coup au moral : le très populaire Etienne Tshisekedi, leader historique de l’UDPS, est mort à Bruxelles après cinquante ans de vie politique. Sa dépouille n’est toujours pas revenue à Kinshasa, faute d’accord entre sa famille, son parti et les autorités. Il ne fallait plus que cela pour déprimer un peu plus un pays déjà accablé par la crise économique, où la débrouille est devenue une habitude et la survie un savoir-faire. «Avant, c’était la belle vie. Maintenant, on dort de faim», dit Anita. Autant de raisons de réécrire l’histoire en la faisant plus heureuse du temps de Mobutu. Le souvenir de la terreur policière, de la corruption généralisée et de la monopolisation des ressources a cédé le pas à une étrange nostalgie de grandeur. «Parmi le désordre et les difficultés, Mobutu est un repère, analyse l’historien Isidore Ndaywel è Nziem, professeur honoraire de l’université de Kinshasa. Son héritage est d’abord l’obsession de “l’authenticité congolaise” face aux influences étrangères, et celle de l’unité du pays devant les guerres.»
Dans le quartier populaire de Matonge, le jardin de Riva Kalimasi est le rendez-vous des champions d’échecs et de bavardage. Ce comédien et producteur à dreadlocks a bien connu la grande époque du combat Mohamed Ali-George Foreman et des chansons de Papa Wemba, disparu en avril 2016 : «Mobutu est un refoulé du Congo. On ne le voit pas, mais il est là. Regardez : des émeutes, des négociations interminables et un président qui se croit immortel. C’est un fantôme qui revient toujours.» Les librairies improvisées sur les trottoirs vendent à prix d’or de vieilles hagiographies ou le Who’s Who 1987 du Zaïre, mais aucune plaque ni statue ne salue la mémoire du fils de cuisinier né en 1930, devenu journaliste, sergent de l’armée coloniale, chef des forces armées et enfin président après un coup d’Etat en 1965.
Trônes en toc
Pourtant, les traces de celui qui fut à la fois contemporain de Mao Zedong et de Bill Clinton ne sont pas faciles à éliminer. Elles couvrent le palais de Marbre, construit pour lui sur les hauteurs aérées de la capitale, la tour de la radio-télévision nationale aux vitres tapissées de poussière, ou celle du fleuron industriel du Zaïre, la Société générale des carrières et des mines (Gécamines), qui donne à Kinshasa des airs de Gotham City. Elles sont aussi dans la Cité verte et la Cité Mama Mobutu, dans le gigantesque Palais du peuple, dans le monument incomplet appelé «l’Echangeur», ou encore dans le stade Kamanyola, rebaptisé stade des Martyrs en souvenir des quatre pendus pour haute trahison en 1966. Le fantôme de Mobutu n’est jamais aussi présent que dans le Musée national du Congo, ouvert en 1970. On longe des cages d’animaux abandonnées, des statues coloniales déboulonnées, des bureaux où végète une armada d’employés, et enfin le Théâtre de verdure, où Mobutu accueillit James Brown et Mohamed Ali. On arrive à une salle d’exposition. Au milieu des masques et des statuettes venus de toutes les provinces, deux reliques sauvées des pillages de la guerre se font face : un fauteuil en velours vert, à pattes de lion et plaqué or ; un autre en bois recouvert d’une peau de léopard. Du «Roi du Zaïre», il reste ces deux trônes en toc, bardés de fil en nylon pour qu’on n’y pose pas les fesses.
Le temple de Mobutu a ses gardiens, qui disent «erreurs» plutôt que «crimes». «Il n’y a pas eu de réconciliation nationale, estime le député d’opposition Ramazani Baya, ancien ambassadeur du Zaïre en France. Il faudrait établir les responsabilités des uns et des autres, mais personne ne le veut vraiment.» Jean-Claude Vuemba, ancien représentant du MPR, lui aussi reconverti en député, se définit comme un «mobutiste progressiste». «Je suis le seul à parler de Mobutu en public», sourit-il entre deux tractations politiques dans les hôtels chics de Kinshasa. Ce n’est pas totalement faux. Par temps d’incertitude, rares sont les caciques de l’ancien régime à bien vouloir s’exprimer. Les deux fils Mobutu, Nzanga et Giala, à la tête de l’Union des démocrates mobutistes, ne veulent pas parler.
Vite convertis au régime Kabila, les anciens fidèles de Mobutu sont pourtant nombreux sur la scène politique et administrative. Le deuxième personnage de l’Etat, le président du Sénat Léon Kengo, a été deux fois Premier ministre du Zaïre. L’actuel ministre de la Communication, Lambert Mende, et le fondateur du microparti Kabila Désir, Tryphon Kin-Kiey Mulumba, figuraient dans son dernier gouvernement. Même Etienne Tshisekedi, à l’époque ministre de l’Intérieur, a signé le «Manifeste de la N’Sele», acte fondateur du parti unique.
Réseaux d’influence
Ces effets de continuité sont à prendre avec des pincettes. De la puissante Agence nationale de renseignement à l’efficace garde présidentielle, l’appareil sécuritaire n’a pas eu à troquer le «mobutisme» pour le «kabilisme» : il est réservé aux hommes de confiance du président. De multiples réseaux d’influence agissent dans l’armée régulière depuis qu’elle mêle les membres des anciennes Forces armées zaïroises (FAZ) et des différentes rébellions des années 2000. «L’armée n’est plus aussi formée qu’à l’époque du Zaïre,déplore un des anciens généraux de Mobutu, qui requiert l’anonymat. Pour avoir un grade aujourd’hui, les amitiés ou les cousinages comptent plus que les compétences. Beaucoup profitent de leur pouvoir. Finalement, le Congo ne s’est jamais remis de la chute du Zaïre.»
Comme de nombreux nostalgiques, ce général a rejoint le Mouvement de libération du Congo (MLC), issu du groupe armé de Jean-Pierre Bemba, beau-fils du Mobutu qui se rêvait son héritier. «Jean-Pierre» conserve une popularité certaine, mais pour le moment, condamné pour «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité» par la Cour pénale internationale, il guette son procès en appel. Son rival, vainqueur de la présidentielle de 2006, Joseph Kabila, fait mine d’attendre un successeur. En 2013, le chef de l’Etat a promis comme geste de réconciliation le retour du corps du «Léopard», resté en son cimetière de Rabat. Anita et Jovial patientent toujours.
[spacer style="1"]
Jean-Pierre Langellier: «si Mobutu avait voulu sauver Lumumba, il aurait pu»
RFI : Quand on passe plusieurs mois avec un personnage, on finit par le trouver souvent sympathique, est-ce que Mobutu est un personnage sympathique ?
Jean-Pierre Langellier : Il n’est pas totalement antipathique. Il est intrigant, par certains côtés attachant, je dirais, surtout dans sa jeunesse. Parce que, à partir du moment où ses défauts prennent le pas sur ses qualités, ça devient un peu moins facile de l’apprécier.
Après vous, dénoncez à la fois sa traitrise et sa cruauté. Dans les quatre années qui précèdent l’indépendance, le jeune journaliste est un ami très proche de Patrice Lumumba, mais déjà, joue double jeu au profit de la Sureté coloniale belge et de la CIA.
Ça permettait surtout d’attirer l’attention sur le fait que Mobutu très jeune était très, très bien informé, très malin. Il n’était pas seul à travailler, comme je le dis dans le livre, Lumumba l’a su et lui a pardonné ça facilement, en disant « mais maintenant, de toute façon, il est devenu proche de moi et il me trahira pas ».
Ce en quoi Lumumba s’est bien entendu trompé.
Il s’est trompé, le moins qu’on puisse dire est que si Mobutu avait voulu sauver Lumumba, il aurait pu le faire. Il n’a rien fait pour. J’ai retrouvé récemment une photo assez terrible, qui n’est pas très répandue, où on voit Lumumba avec ses deux compagnons, par terre, ligotés, avec Mobutu en short qui les regarde, qui les regarde avec mépris.
C’est donc en 1960 et c’est en septembre de cette année que le colonel Mobutu prend le pouvoir une première fois. Vous dites que tout part d’une dépêche envoyée de Washington par le directeur de la CIA, Allen Dulles, lui-même, au chef de poste de la CIA au Congo, Larry Devlin ?
Larry Devlin a repéré, à Bruxelles, Mobutu. Il s’est rendu compte que c’était l’un des plus intelligents de la bande. Parmi la vingtaine de participants aux conférences qui ont précédé l’indépendance, Mobutu est le seul à avoir été militaire. Lumumba en fait son secrétaire particulier et lui dit, lors d’une réunion de cabinet : « Ecoute, va te chercher un uniforme, tu reviens et je te nomme colonel » et voilà comment il devient le chef de l’armée.
Ça, c’est au tout début du gouvernement Lumumba, au mois de juillet, dans les premiers jours, mais un mois et demi plus tard tout va se gâter et à ce moment-là la CIA pousse Mobutu à chasser Lumumba du pouvoir ?
Absolument et pas seulement la CIA. En quelques semaines, Lumumba se met tout le monde à dos. Et d’abord les Belges qui, ne l’oubliez pas, auront un rôle crucial dans son assassinat. Dans les archives belges, il y a des choses très, très nettes, il faut le supprimer.
Le 17 janvier 1961, c’est donc l’assassinat de Patrice Lumumba, et vous dites que Mobutu a joué les Ponce Pilate.
Il savait très bien ce qui arriverait à Lumumba. Ils le mettent dans un avion et puis après, ils s’en débarrassent.
Peut-on dire que ce 17 janvier 1961 est la grande trahison de Mobutu ?
On peut le dire oui. Normalement, on ne trahit que son ami, mais les deux hommes ne sont plus vraiment amis ni complices politiquement depuis déjà six mois. Et donc c’était quelque chose de prévisible, il s’est passé beaucoup de choses entretemps. Il y a les Soviétiques qui, très clairement, veulent prendre le contrôle des richesses du pays. Il y a des maladresses de Lumumba, qui met des journalistes en prison, et Mobutu a d’ailleurs déjà une ou deux fois sauvé la vie de Lumumba, qui était menacé par ses propres soldats. Ça, ce sont des faits. Mais il l’a maintenu en résidence surveillée et Lumumba n’est pas un homme à se laisser faire, donc il continue à, en quelque sorte, creuser sa propre tombe en tombant dans le piège que lui tendent les Occidentaux, via Mobutu.
En novembre 1965, le général Mobutu prend le pouvoir une deuxième fois, mais vous dites que sa vraie confiscation du pouvoir, c’est six mois plus tard, à la Pentecôte 1966, quand il fait condamner à mort et pendre quatre malheureux hommes politiques qu’il a fait tomber dans un piège. Vous comparez Mobutu au premier consul Napoléon Bonaparte. Pourquoi ?
Je le compare à l’assassinat du duc d’Enghien. Ce jour-là, il montre qu’il est prêt à tout pour instaurer la terreur. Et ça va marcher, parce qu’après, pendant trente ans, tout le monde va être calme. Il faut attendre les années 1980 pour que les premiers opposants se réveillent, notamment Etienne Tshisekedi, et aient le courage de plaider pour le multipartisme.
Vous dites qu’avant la pendaison de ces quatre malheureux, Mobutu reçoit du monde entier des demandes de grâce, y compris du Vatican, mais il les rejette en s’inspirant de Machiavel.
Le livre est là, Larry Devlin l’a remarqué et William Close, le médecin personnel de Mobutu, médecin américain – entre parenthèses, le père de l’actrice Glenn Close – en discute avec Mobutu.
« Un prince doit être plus qu’aimé », écrivait Machiavel.
TotalementMobutu a assimilé cette leçon, avec un petit bémol, c’est qu’il aime bien être aimé aussi et il le dit plusieurs fois. Notamment dans un film de Thierry Michel, « mais vous vous rendez compte comme le peuple m’aime ? » Bon, le problème est de savoir s’il y croit ou pas.
En octobre 1968, vous racontez le terrible supplice que subit Pierre Mulele, dans un camp militaire de Kinshasa. On se demande à ce moment-là comment un homme comme Mobutu, qui a un certain humour, qui a une certaine culture, peut montrer une telle cruauté.
En fait, je crois que depuis le début Mobutu a décidé de l’attirer dans un piège, Mulele a été très imprudent.
Mais pourquoi une telle cruauté ?
Je crois que c’était en partie une revanche du fait que pendant des années Mulele, qui lui non plus n’était pas un tendre, avait dirigé une rébellion de massacreurs. Chaque fois que Mobutu a fait des promesses de ce style, il ne les a jamais tenues.
Le tyran savait être séducteur ?
La preuve, il a quand même réussi à séduire tous les chefs d’Etat de la planète, depuis Kennedy lorsqu’il dirigeait l’armée jusqu’à de Gaulle quand il est devenu président du Congo. [En passant par] Mao qui l’a reçu deux fois en lui tressant des louanges et en lui disant : « Mais dans les années 1960 il y avait une rébellion que nous soutenions, mais c’est vous qui aviez raison ».
La rébellion de Pierre Mulele justement ?
Pierre Mulele et d’autres, celle de Gizenga et même celle de Kabila. Et donc, tous ces hommes ont dû trouver chez Mobutu des raisons d’être séduits par lui. Mais ce qui comptait, évidemment, c’était autre chose, c’est l’importance stratégique de son pays.
Vous avez retrouvé l’origine du mot Zaïre, le nom qu’a porté le Congo pendant de nombreuses années.
Ça a été raconté par un homme qui s’appelle Jacques de Groote, qui était conseiller économique principal de Mobutu, un Belge. Un jour, au cours d’un diner en juin 1967 avec le gouverneur de la Banque centrale, Albert Ndele et un ethnologue, Jan Vansina, la suggestion a été faite par ce dernier. On créé une monnaie, comment pourrait-on l’appeler ? Et à ce moment-là, il a suggéré que ce serait le mot Zaïre, qui est une déformation d’un mot Kikongo que les Portugais avaient mal interprété lorsqu’ils avaient découvert l’embouchure du fleuve Congo. Et donc, c’est ce jour-là que ça a été décidé. Le lendemain matin, Ndele a téléphoné à Mobutu pour lui dire. Ce dernier était absolument emballé, il a dit : « Mais c’est formidable ».
Alors on connait la façon dont Mobutu a raté sa sortie, il y a tout juste 20 ans. Et vous dites que s’il avait quitté le pouvoir sept ans plus tôt, peut-être aurait-il laissé un moins mauvais souvenir dans l’histoire ?
J’en suis sûr. Après tout, il avait lancé lui-même l’idée du multipartisme, juste après la mort de Ceausescu, il a senti le vent d’Est tourner. Il a été traumatisé par la mort de Ceausescu, son ministre de l’Information de l’époque l’a raconté, il se repassait les images en boucle. Comme il était très lié à Ceausescu, il s’est dit que c’était le genre de chose qui pouvait lui arriver. Il s’est également rendu compte très vite que l’occident allait le lâcher. Mais il s’accroche parce que c’est un homme qui a toujours dit qu’il ne renoncerait jamais, qu’il mourrait président et qu’il mourrait dans son pays. Or, ce sont deux paris qu’il n’a pas gagnés. Donc, il ne peut plus – c’est quand même ça le point central politiquement – exploiter sa rente géostratégique à partir de la fin de la guerre froide. En plus, un nouveau président arrive aux Etats-Unis. Bill Clinton qui avait dit : « Mais Mobutu lorsque j’étais étudiant il était déjà président, lorsque j’étais gouverneur il était président, lorsque je suis président il est encore président, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? » Les Américains l’ont trahi. Mais il a quand même été soutenu par la France, jusqu’au bout, par François Mitterrand même, pourquoi ? Parce qu’il y a eu les évènements du Rwanda et que la France a besoin de lui pour utiliser l’est du Zaïre comme base arrière pour l’opération Turquoise.
Ça, c’est en 1994, mais après le départ de Mitterrand, il est encore soutenu deux ans par Jacques Chirac ?
Bien sûr et il souffle à ce moment-là, il se dit que c’est formidable, qu’il va pouvoir tenir encore. Il est malade en plus, bien qu’il ne le reconnaisse pas. Il est le chef, il n’a aucun doute que ça n’est pas à lui de partir. Et ce jusqu’au bout ! Le dernier jour, quand il quitte Kinshasa et même lorsqu’il quitte Gbadolite, c’est-à-dire les dernières 24h, il ne veut pas partir ! On le met quasiment de force dans la voiture.
Vous dites que c’est son fils Nzanga qui le raisonne ?
Oui, ainsi que son chef de la Sécurité.
Vous dites que les soldats de sa propre escorte, quand ils se rendent compte que Mobutu va décoller, tirent sur son avion.
Les gens de la DSP, la division présidentielle, qui sont théoriquement les plus proches de lui, tirent sur l’avion-cargo.
Vous avez ce mot terrible contre Mobutu, vous écrivez, « il n’eut jamais l’humilité de demander pardon ».
C’est exact et s’il l’avait fait, je pense que son image aurait été aujourd’hui bien différente. Parce que c’est un pays, le Congo, qui est très chrétien, qui cultive la culture du pardon justement. Et je suis sûr que les Congolais se souviendraient quasiment uniquement des bons côtés, de l’éclat, de l’importance que leur pays avait sur la scène internationale à l’époque et de la gloire qui était attachée au chef. Mais, ils ont beaucoup oublié les mauvais moments, parce que depuis, hélas, le Congo ne s’est pas sorti d’affaire et que ses deux successeurs, Kabila père et fils, n’ont pas été plus démocratiques que lui et en plus n’ont pas eu son charisme.