C’était un dialogue laborieux, pénible et interminable, mais inclusif. En décembre 2016, à Kinshasa, sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), l’Alliance pour la majorité présidentielle (AMP) et l’opposition ont dialogué – mais sans vraiment s’écouter. Il n’empêche, un accord a été signé. Le président congolais, Joseph Kabila, a laissé la petite élite politique négocier, se manipuler, se trahir pour un hypothétique ministère ou la certitude de gagner quelques milliers de dollars.
Le chef de l’Etat, dont le second et dernier mandat s’est achevé le 19 décembre 2016, a ainsi évité que la rue ne s’embrase. Et a fait acter son maintien au pouvoir jusqu’à la tenue d’élections, en principe en décembre 2017. L’accord signé à l’arraché, dans la soirée du 31 décembre, contient son lot de pièges distillés par les redoutables conseillers de M. Kabila. Le calendrier et les modalités de mise en œuvre pratique de l’accord, le fameux « arrangement particulier », n’ont pas été clairement définis. Les âpres négociations se sont poursuivies sans aboutir.
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Près de quatre mois plus tard, M. Kabila a repris la main, et l’opposition s’est un peu plus fissurée, malmenée par le pouvoir et dépourvue de leader depuis la mort, à Bruxelles, d’Etienne Tshisekedi, le 1er février. La médiation de l’Eglise catholique congolaise a pris fin sous les critiques de la majorité présidentielle. Les évêques de la Cenco ont osé vilipender la nomination, comme premier ministre, de Bruno Tshibala, reprochant au président de violer l’accord du 31 décembre. M. Tshibala est certes issu des rangs de l’UDPS, le parti d’Etienne Tshisekedi, mais il en a été exclu, considéré comme un félon par les caciques du Rassemblement, principale coalition de l’opposition, qui voyait déjà son président, Félix Tshisekedi, le fils du vieux leader décédé, chef du gouvernement.
« Odyssée pleine de péripéties »
M. Kabila n’en a cure et accélère la cadence. De manière unilatérale, la question de l’« arrangement particulier » a été tranchée, jeudi 27 avril, dans des conditions très particulières, sous l’autorité du président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, qui est aussi secrétaire général de la majorité présidentielle, et du président du Sénat. Le Rassemblement ne s’est pas joint à la cérémonie.
« Kabila vide l’accord de sa substance et instrumentalise de manière honteuse le Parlement, qui n’est pas dans son rôle et sort discrédité, rétorque le député et membre du Rassemblement Christophe Lutundula. Cette signature est aussi ridicule que la nomination irrégulière du premier ministre. » Une fois encore, l’opposition est prise de court, comme piégée. « C’est un coup de massue, dit le député de l’opposition Martin Fayulu. On a contacté les ambassadeurs du Conseil de sécurité pour leur dire que la seule chose à faire, c’est une mission de bons offices des Nations unies. »
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Que faire d’autre lorsque même la mobilisation de la rue échappe à cette opposition jugée lâche et achetable ? Nul n’a oublié le 10 avril, jour de manifestation convoquée par le Rassemblement. De Marrakech, l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi avait appelé à « résister ». Mais Félix Tshisekedi s’était envolé pour Addis-Abeba, en catimini. Les rues de Kinshasa sont restées vides : personne n’a voulu risquer de mourir sous les balles des forces de l’ordre pour « le fils » Tshisekedi ou son allié de circonstance, M. Katumbi, considéré comme un opposant de palace en Europe, où il réside en exil.
« Le “dialogue” a été une odyssée pleine de péripéties. La voie institutionnelle a été privilégiée pour la signature de l’arrangement particulier qui consacre la fin d’une démarche, dit André-Alain Atundu, le porte-parole de l’AMP, qui savoure ce qu’il pense être une victoire. Désormais, le cap est mis sur l’élection. » Pas de « violation » de l’accord du 31 décembre, donc, mais au contraire sa « réalisation complète », selon les stratèges de M. Kabila qui se sont attaché, pour 5,6 millions de dollars selon le département américain de la justice, les services d’une société israélienne de sécurité et de communication pour plaider sa cause auprès de l’administration Trump. Mais nul n’est dupe. Les manœuvres politiques du régime semblent contredire les déclarations sur la tenue des élections en décembre 2017. Au risque que le pays ne s’embrase.
« Fuite en avant périlleuse »
Le 15 mai, la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (RDC) doit remettre son rapport sur la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre. « On est face à un dilemme, et Kabila mène une stratégie de fuite en avant périlleuse, dit un responsable onusien sous couvert d’anonymat. Soit on exige la désignation d’un nouveau premier ministre, ce que Kabila n’acceptera pas. Soit on se focalise sur les élections. La communauté internationale devra se prononcer. »
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Cette présidentielle devrait permettre la première alternance pacifique de l’histoire de la RDC. Mais le calendrier reste flou, et les inscriptions sur les listes électorales sont suspendues dans les provinces du Kasaï, favorables à l’opposition. Quant au budget estimé, entre 1,3 et 1,8 milliard de dollars, il sera assuré par le gouvernement, a déclaré maladroitement le premier ministre. Or les caisses de l’Etat sont vides. « Le financement des élections, c’est le nerf de la guerre, affirme Sylvain Lumu, secrétaire exécutif de la Ligue des électeurs, une ONG qui œuvre en faveur de la démocratie. Il est urgent que la commission électorale produise un calendrier ainsi que des budgets pour que la communauté internationale puisse contribuer au financement des élections en toute transparence. » Et de conclure : « On ne sait même plus si on doit encore y croire. »