Les Nigérians rendent hommage à Anthony Unuode, un manifestant #EndSARS assassiné à Abuja, la capitale.
28 ans, 1 m 83, Anthony Unuode, rêvait de servir dans l’armée nigériane, mais il a été tué par des voyous qui tentaient d’interrompre les manifestations contre les violences policières à Abuja, la capitale nigériane, rapporte Nduka Orjinmo de la BBC après avoir assisté à son mémorial.
Alors que des centaines de bougies brûlaient dans la nuit, des amis, de la famille et des étrangers parlaient d’Anthony et de son altruisme, tandis que d’autres sombraient dans le chagrin, chargés du fardeau de sa mort.
“Avons-nous trahi les morts?” se demande un homme, qui soutient ne pas connaître personnellement Anthony mais qui, comme beaucoup d’autres, estime qu’une parenté s’est développée entre eux lors des manifestations contre les violences policières qui ont secoué le Nigéria le mois dernier.
Les manifestations se sont déroulées sous la bannière #EndSARS, un mouvement appelant à l’interdiction de la Special Anti-Robbery Squad, une unité de police nigériane controversée dont les officiers ont été à plusieurs reprises accusés d’activités criminelles allant de l’extorsion de fonds à des exécutions extrajudiciaires.
“Il est mort en combattant pour la même chose pour laquelle nous luttons”, indique un autre orateur, qui a suivi Anthony sur Twitter.
Les manifestants témoignent qu’Anthony était courageux. Lorsque des voyous soupçonnés d’être engagés par des politiciens pour écraser les manifestations les ont attaqués le 13 octobre au rond-point Berger à Abuja, il s’est avancé et a protégé ceux qu’il pouvait, s’échappant avec une légère blessure au bras.
Quatre jours plus tard, les voyous ont lancé une autre attaque avec des machettes, des poignards et des bâtons en bois pour interrompre un rassemblement le long de l’autoroute Kubwa d’Abuja.
On ne sait pas si Anthony était parmi les manifestants ou s’il se trouvait simplement là dans le quartier, mais, selon ses amis, il a été gravement blessé à la tête par des coups de machette.
”Ce sont ces choses qu’il combattait”
Le sang jaillissant de sa tête, il enleva sa chemise, l’enveloppa sur ses blessures et courut sur des kilomètres pour chercher de l’aide, pour finalement s’effondrer devant son ami Muazu Suleiman.
“Je l’ai mis dans la voiture et j’ai conduit aussi vite que j’ai pu jusqu’à l’hôpital national, mais quand nous sommes arrivés là-bas, il n’y avait pas de gants, pas de coton, pas de médicaments. J’ai dû aller acheter ces choses à l’extérieur,” dit Muazu.
“Pour l’opérer, ils se sont servis des lumières de leurs téléphones, certains des équipements dont ils avaient besoin étaient dans un cabinet vitré fermé à clé”, ajoute-t-il.
Le porte-parole de l’hôpital, Tayo Hastrup, nie cette accusation la qualifiant de “mensongère”.
Mais le frère aîné d’Anthony, Austin Unuode, s’est également plaint de l’hôpital, affirmant que les médecins “ne pouvaient pas faire certains tests parce qu’il n’y avait pas d’électricité”.
“Ce sont ces choses qu’il combattait, il pensait que cela devait changer au Nigéria”, a-t-il ajouté.
Sa mère n’a pu assister à ses funérailles
Eze Divine, qui a assisté à la veillée de commémoration tenu chez Anthony, demande justice.
“C’est dommage que ceux qui l’ont tué ne soient pas arrêtés parce que ce sont des voyous parrainés par l’État”.
“Si nous protestons pour que cessent les violences policières et qu’ils envoient des voyous, cela en dit long sur le gouvernement. Cela aurait pu être moi, cela aurait pu être n’importe qui”, a-t-il ajouté.
La police indique à la BBC qu’elle enquête sur le meurtre d’Anthony et qu’aucune arrestation n’a encore été effectuée.
Diplômé en éducation à l’université d’État de Nasarawa près d’Abuja, Anthony était le reflet des jeunes Nigérians à bien des égards.
Dans un pays où des millions de diplômés sont au chômage et reçoivent peu de soutien de l’État, la plupart des jeunes créent leurs propres moyens de gagner leur vie.
Au moment de sa mort, Anthony dirigeait trois boutiques de paris en ligne.
Il était également un peu agent immobilier et “faisait tout ce qu’il pouvait pour gagner de l’argent légitimement”, dit son frère Austin.
“C’est une grande perte, car depuis la mort de mon père, il s’occupait de la famille”.
“Ma mère, qui voyageait à l’étranger, n’est même pas là pour voir sa dernière dépouille”, se désole-t-il.
Ce ne sont pas seulement des voyous armés qui avaient été déployés pour écraser les manifestants, mais aussi des soldats qui – deux jours après la mort d’Anthony – ont tiré sur des manifestants au péage de Lekki à Lagos.
Bien que l’armée ait nié que les troupes ont ouvert le feu, Amnesty International et de nombreux témoins oculaires affirment catégoriquement qu’ils y ont tué au moins 10 manifestants.
Ironiquement, Anthony, avant sa mort, avait demandé à rejoindre l’armée, estimant qu’il était de son devoir patriotique d’aider à la lutte contre le groupe islamiste militant Boko Haram, qui mène une insurrection brutale dans le nord du pays depuis plus d’une décennie.
“Il a toujours parlé de rejoindre l’armée pour combattre Boko Haram”.
“Il était passionné par le Nigeria et l’Afrique et a toujours voulu donner de sa personne”, a déclaré le frère d’Anthony.
Contrairement à de nombreux manifestants, Anthony n’avait jamais été lui-même victime de violences policières mais il a rejoint les manifestations parce qu’il voulait un meilleur Nigeria.
“Quand il a vu les jeunes se rassembler, il m’a appelé et m’a dit que c’était un moment important”, indique son proche ami Shedrack.
Comment évoluera le mouvement #EndSARS ?
Le lendemain de l’enterrement d’Anthony, les dirigeants du mouvement de protestation et des milliers d’autres ont tenu une session en ligne pendant plus de quatre heures pour tracer la voie à suivre après la fin des manifestations de masse.
“Et après ? Qu’allons-nous faire ?” demande le modérateur Ebuka Obi-Uchendu en ouvrant la session Zoom après une minute de silence en l’honneur des morts.
Dans sa réponse, le musicien et avocat Folarin Falana, mieux connu sous le nom de Falz, dit : “j’ose dire que les choses ne seront plus jamais les mêmes au Nigéria”.
“Le travail consiste maintenant à éduquer les citoyens, faire connaître aux gens leurs droits et les lois”.
D’autres orateurs ont exhorté les jeunes à s’impliquer dans la politique et à utiliser leur nombre pour élire des représentants compétents.
“Ce que nous avons vu, c’est que nous pouvons nous rassembler et nous organiser”, estime Feyikemi Abudu de la Coalition féministe, l’un des principaux groupes de protestation.
Ses milliers d’abonnés en ligne la voient comme leur “présidente” pour ses compétences organisationnelles exceptionnelles qui ont fait des démonstrations un succès.
“Des choses que nous ne pensions pas pouvoir faire en des mois ou des années ont été réalisées en quelques semaines et c’est cette énergie que nous devons conserver”, dit elle.
Les amis d’Anthony sont d’accord, soulignant qu’il avait écrit sur son compte Instagram privé des mots presque prophétiques avant sa mort.
“À ma génération de Nigérians. Je vous aime et vous avez gagné mon respect maximum et sincère”.
“Les pouvoirs en place sont vraiment contre nous et font tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter ce mouvement. Cela va empirer, mais ne reculons jamais”, avait écrit Anthony.
Avec l’aide de Chukwuemeka Anyikwa