Jacques Foccart est mort il y a 20 ans jour pour jour. Connu pour avoir été le « Monsieur Afrique » du premier président de la Ve République et de ses successeurs, il a dirigé de 1960 à 1974 le secrétariat général pour la Communauté et les affaires africaines et malgaches. Quel regard portait-il sur l’Afrique ? Quelles sont les sources de ce regard ? Et quel héritage a-t-il laissé à la politique africaine française ? Notre invité est Fréderic Turpin, historien et professeur à l’université Savoie Mont-Blanc. Il a notamment écrit une biographie de Jacques Foccart Jacques Foccart : Dans l’ombre du pouvoir, paru aux éditions du CNRS. Il répond aux questions d’Alexis Guilleux.
19 mars 1997 – 19 mars 2017. Jacques Foccart est mort il y a 20 ans jour pour jour ce dimanche. Très proche conseiller du général de Gaulle et dans les années 1960, puis de Georges Pompidou et de Jacques Chirac, Jacques Foccart est surtout connu pour avoir été le « Monsieur Afrique » du premier président de la Ve République et de ses successeurs gaullistes.
De 1960 à 1974, il a en effet dirigé le secrétariat général pour la Communauté et les affaires africaines et malgaches, où il a noué des relations personnelles avec plusieurs chefs d’Etat du continent. Quel regard Jacques Foccart portait-il sur l’Afrique ? Quelles sont les sources de ce regard ? Quel héritage a-t-il laissé à la politique africaine française ?
Pour en parler, l’invité de RFI ce dimanche matin est Fréderic Turpin, historien et professeur à l’université Savoie Mont-Blanc. Il a notamment écrit une biographie de Jacques Foccart Jacques Foccart, Dans l’ombre du pouvoir (édition CNRS 2015). Il répond aux questions d’Alexis Guilleux
RFI : Vingt ans après sa mort, est-ce que Jacques Foccart influence encore la politique africaine de la France ?
Frédéric Turpin : J’aurais plutôt tendance à dire que Jacques Foccart appartient plus au rayon des souvenirs qu’à la réalité pratique des relations franco-africaines. L’Afrique a considérablement évolué au seuil du XXe siècle (sic) et, en outre, la politique africaine de la France a, elle aussi, beaucoup évolué, dans ses modalités et même dans ses objectifs.
Malgré ces évolutions de la politique africaine française, on a l’impression qu’il y a comme un fantôme de Jacques Foccart qui hante encore les responsables politiques. Comme si, ils définissaient aujourd’hui leur politique africaine, en creux, à l’inverse en fait de ce que faisait Jacques Foccart dans les années 60.
Je crois que c’est à la fois un fantôme et un fantasme. Parce que, dans notre culture politique, Jacques Foccart est devenu un élément d’une légende négative, finalement, de ce qu’il faudrait à la fois ne pas faire dans les relations franco-africaines et puis, dans le même temps, c’est ce qui a permis de durer, aussi, à cette relation franco-africaine. Donc il y a un aspect très négatif dans le souvenir de l’action de Jacques Foccart. Mais c’est aussi un fantôme parce que c’est une action qui a été efficace si l’on se place sur le plan de la réalpolitique pour maintenir des relations fortes, privilégiées, entre la France et un certain nombre de pays africains francophones.
Est-ce que Jacques Foccart a des héritiers politiques aujourd’hui ?
Je ne crois pas. D’abord parce que ce n’était pas franchement l’objectif de Jacques Foccart de se succéder à lui-même via des personnes interposées. C’est d’abord une méthode, Jacques Foccart. C’est-à-dire de privilégier les relations personnelles, voire parfois même quasi-familiales, avec des dirigeants africains, avec cette grande famille franco-africaine. Méthode qui pouvait être additionnée à des méthodes souterraines des services spéciaux, etc. Tout ce qui constitue la légende aussi et tout simplement la vérité historique autour de l’action de Jacques Foccart.
Au moment où il arrive aux affaires, dans les années 1960, qu’est-ce qui détermine le regard de Jacques Foccart sur l’Afrique et surtout, est-ce que ce regard est symbolique d’une époque ?
C’est un regard assez caractéristique parce que Jacques Foccart n’est pas le créateur de la partition musicale franco-africaine. C’est un chef d’orchestre, mais ce n’est pas celui qui a composé la musique. Le compositeur, c’est le général de Gaulle. Donc c’est en cela que Jacques Foccart est assez représentatif, aussi, de cette époque particulière de la république gaullienne, qui tient évidemment à la personnalité charismatique du général de Gaulle et qui tient aussi à cette période de transition historique. Ce sont les indépendances des Etats africains, donc il se tisse une relation spéciale à ce moment-là entre la France et ces Etats. Et le regard de Jacques Foccart de ce point de vue-là est un regard de continuité, dans l’action, dans les objectifs stratégiques, qui sont ceux du général de Gaulle.
Est-ce qu’on peut dire que cette politique de Jacques Foccart est une sorte d’entre-deux, entre l’administration coloniale et l’époque actuelle ?
Ça aurait dû être un entre-deux relativement plus court. Si vous voulez, le problème historique c’est, pourquoi est-ce que ça a duré autant de décennies et non pas autant d’années ? Ce moment aurait dû être un moment de transition simplement, sur quelques années et non pas sur plusieurs décennies. C’est ce qui interpelle, sur les méthodes, sur les objectifs, sur les intérêts des dirigeants africains aussi à maintenir ce type de relations au-delà de ce qui aurait été probablement souhaitable. Donc ce n’est pas un côté qui l’emporte sur l’autre, c’est que les deux ont des objectifs qui parfois sont un peu différents mais qui rejoignent finalement, la même nécessité de maintenir ce type de relations.
Est-ce que pour vous ce serait une erreur de réduire Jacques Foccart à son étiquette de « Foccart l’Africain » ?
Oui, c’est une erreur historique qui a été faite notamment au moment de sa mort, où on a beaucoup insisté sur sa casquette africaine. « Monsieur Afrique » du général de Gaulle, « monsieur Afrique » de Georges Pompidou et bien sûr, de Jacques Chirac qui était évidemment aussi, à l’époque, le président de la République en exercice. Et on a omis, très largement, sa casquette de conseille politique du général de Gaulle et l’autre casquette qui lui a valu sa légende noire, celle de chef des barbouzes, de chef du SAC, le Service d’action civique. Jacques Foccart c’est tout ça aussi. Et Jacques Foccart, fondamentalement, c’est un militant gaulliste, prêt à suivre, jusqu’au bout, le général de Gaulle, dans ses actions tant en Afrique qu’en France métropolitaine, tant en diplomatie, dans ses relations avec les Etats-Unis, etc.
Tout l’exercice de votre biographie, vous l’avez dit, c’est de sortir du mythe Foccart, de ce que vous appelez la légende noire. Est-ce qu’il y a une volonté de votre part de réhabiliter la figure de Jacques Foccart ?
L’historien n’a pas pour objectif de réhabiliter une figure historique. Maintenant, je ne cache pas dans mon ouvrage que je suis parti de la légende noire pour essayer de démonter ou de confirmer un certain nombre d’éléments de cette légende noire. Ce n’est pas un procès en réhabilitation en ce sens que Jacques Foccart n’était pas un enfant de chœur. Ce que je veux dire par là c’est que Jacques Foccart, si c’est un salaud, est un salaud d’Etat. Ce n’est pas quelqu’un qui agit pour lui-même, pour, par exemple, son enrichissement personnel dans ses relations franco-africaines, pour une sorte de pouvoir personnel. C’est quelqu’un qui l’a toujours fait dans le cadre de l’Etat. L’Etat gaullien, dans ses années 60, puis la République française, au sens de ses présidents, le président Georges Pompidou puis le Premier ministre et le président Jacques Chirac. Donc c’est aussi une politique étatique qu’il a appliquée avec tous les moyens que la République française a pu mettre à sa disposition, moyens officiels et ceux, évidemment, beaucoup moins officiels.
Inamovible responsable de la cellule africaine de l’Elysée sous de Gaulle et Pompidou, Jacques Foccart a joué pendant les premières décennies de la Ve République un rôle décisif dans la politique africaine de la France. La vie et les actions de cet homme d’influence, qui préférait l’ombre des officines aux feux de la rampe, restent nimbées de mystères et de faux-semblants. Difficile de dénouer l’écheveau complexe de fantasmes et de réalités.
Le 20 mars 1997 disparaissait Jacques Foccart, l’un des hommes les plus puissants des débuts de la Ve République. Bras droit du général de Gaulle sur les questions africaines, il faisait partie avec Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré, Georges Pompidou, Roger Frey et André Malraux ceux qu’on a appelés les grands « barons » du gaullisme.
Fidèle parmi les fidèles, ce gaulliste de première heure avait un bureau proche de son mentor au palais présidentiel et était un des rares à s’entretenir quasi quotidiennement avec le Général. Devenu un intermédiaire indispensable entre Paris et ses anciennes colonies africaines, il restera en place sous la présidence de Pompidou, avant d’être remercié après l’élection de Giscard d’Estaing en 1974. Jacques Chirac lorsqu’il est nommé à Matignon en 1986 fera appel à ses services, puis encore en 1995 quand il accède à l’Elysée.
Foccart est sans doute aussi l’un des hommes les plus controversés de la république gaullienne à cause de ses liens – toujours niés par l’intéressé – avec les services de renseignement français (SDECE) et le service d’ordre gaulliste (SAC), mais aussi à cause des dérives de la politique française dans l’Afrique post indépendance, imputées aux fameux réseaux Foccart. Les controverses se sont amplifiés récemment avec les révélations du Fonds Foccart aux Archives nationales (1) dévoilant au cours des dernières années les méthodes de gestion, via un vaste réseau d’informateurs et de mercenaires de contre-espionnage, que « Monsieur Afrique » du Général-président avait mis en place pour conserver une influence française dans les anciennes colonies.
Pour Frédéric Turpin, l’auteur d’une récente biographie (2) de l’homme, ces révélations ne disent pas toutefois tout du personnage complexe que fut Jacques Foccart. Si le biographe reconnaît que les accusations contre son protagoniste « ne reposent naturellement pas que sur des représentations négatives purement imaginées », il regrette qu’ « en se focalisant sur certains aspects de l’action du personnage (barbouzes, affaires africaines, etc.) la légende noire a(it) capté la mémoire de Jacques Foccart au point d’en faire une vulgate communément admise comme une vérité historique absolue ». Cette légende noire ne dit rien sur son extraordinaire longévité aux affaires par exemple, ni sur sa capacité d’influence ou ses convictions patriotiques. Force est de s’interroger : Qui était le vrai Foccart ? Pourquoi le mythe a-t-il rattrapé le personnage ?
Bras séculier du régime gaulliste
La légende noire faite de réseaux occultes, de barbouzeries en tous genres et de financement occulte des partis politiques qui entoure son héros, explique Turpin, ne peut se comprendre sans la situer dans les luttes violentes qui ont caractérisé la vie politique française dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Les Gaullistes, engagés dans une lutte fratricide avec notamment les Communistes dans ces années de guerre froide, ne dérogeaient pas à la règle. Foccart en était l’un des principaux opérateurs.
Né en 1913, de père alsacien et de mère créole guadeloupéenne, le jeune homme était devenu gaulliste pendant la Résistance en prenant la tête d’un maquis dans l’Orne. Il participe aussi aux missions de renseignement et d’action pour le compte du service secret de la France libre. Sa première rencontre avec l’homme du 18 juin a lieu en 1946. Il rejoindra ensuite rapidement le Rassemblement du peuple français (RPF), le parti créé par de Gaulle. Parallèlement, il est au cœur des réseaux d’anciens résistants recyclés en agents secrets, sur lesquels il s’appuie pour accompagner de Gaulle dans sa prise du pouvoir, ce qui sera chose faite en mai 1958.
Pour récompenser sa fidélité, il est parachuté conseiller à Matignon, puis dès janvier 1959, il est nommé secrétaire général pour la Communauté et les Affaires africaines et malgaches à l’Elysée. Mais au début des années 1960, les journalistes le qualifient toujours de « spécialiste du renseignement » et de « technicien de services secrets », adepte des manipulations et coups tordus. Une réputation, déjà sulfureuse, qu’il doit au rôle qu’il a joué dans la lutte livrée par le pouvoir gaulliste contre les tenants de l’Algérie française et l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS). L’image d’un Foccart comme l’archétype de Monsieur Afrique s’imposera progressivement.
« Monsieur Afrique »
L’Afrique a longtemps été
pour Jacques Foccart terra incognita. Il n’y avait jamais mis les pieds avant les années 1950. Mais comme il connaissait les Antilles, ayant passé sa petite enfance en Guadeloupe où son père avait officié comme conseiller général, il s’est vu confier le portefeuille africain dans le nouveau parti gaulliste (RPF) et, en mars 1950, un siège de conseiller de l’Union française. Il saisit cette occasion pour nouer des contacts et parfois des amitiés parmi les parlementaires africains (Houphouët-Boigny, Emile Zinsou, Modibo Keïta…) qui exerceront ensuite les plus hautes fonctions dans leurs pays respectifs après les indépendances. Mais c’est le voyage qu’il effectue en mars 1953, aux côtés du général de Gaulle, dans tous les territoires de l’Afrique occidentale et équatoriale, qui constitue « la borne à partir de laquelle l’Afrique a été quelque chose de très important », confiera-t-il au journaliste Philippe Gaillard chargé de co-rédiger ses Mémoires (3).
En tant que conseiller de de Gaulle sur les dossiers africains, il était chargé d’organiser la décolonisation de l’Afrique. Son rôle était celui d’un fidèle exécutant. Le véritable concepteur de la politique africaine n’était autre que le général-président lui-même. Pour ce dernier, il était impératif de maintenir l’Afrique subsaharienne francophone dans le giron de la France. Cela découlait d’une part de la nécessité pour Paris d’avoir accès selon ses termes aux richesses minières et pétrolières dont les pays africains regorgent et du souci de la France gaullienne, d’autre part, de retrouver sur la scène mondiale une place de premier plan, malgré la bipolarisation de la Guerre froide.
Dans ce contexte, la principale mission du secrétariat général pour les Affaires africaines et malgaches consistait à assurer la stabilité dans les pays dont il avait la charge, en soutenant les dirigeants amis et en empêchant des régimes hostiles à l’ancienne métropole de prendre le pouvoir. Jacques Foccart s’acquitte de la tâche en s’appuyant sur ses réseaux formels et informels, réussissant à incarner à lui seul la spécificité des relations franco-africaines. Mais sa méthode de gestion des affaires africaines et malgaches dans une opacité totale n’a pas manqué de susciter des critiques. Dès 1969, les partis d’opposition en France réclamaient la suppression de l’officine et le rattachement du portefuille au ministère des Affaires étrangères.
On a tout imputé aux réseaux Foccart : néocolonialisme, déstabilisation des jeunes républiques africaines, manœuvres souterraines, coups d’Etat, assassinats d’opposants à la demande des régimes amis. La légende que le secrétaire général des Affaires africaines et malgaches gardait dans son tiroir des lettres signées par les chefs d’Etats réclamant l’envoi des troupes françaises prévu par les traités de défense bilatéraux. Le moment venu, il suffisait de mettre la date.
Foccart s’est toujours défendu d’avoir orchestré des coups d’Etat et a nié avec beaucoup de véhémence dans ses entretiens avec Philippe Gaillard toute participation à l’assassinat de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka en 1965, enlevé à Paris avec l’aide de policiers et de membres des services secrets français. Il était moins catégorique s’agissant de l’aide française à Moïse Tschombé au Congo-Léopoldville, devenu depuis le Zaïre, ou à la sécession biafraise au Nigeria. Interrogé sur ses réseaux lors du procès du SAC en 1982, il avait déclaré espérant mettre fin aux rumeurs : « Je n’alimente pas des réseaux qui n’existent pas avec de l’argent que je ne gagne pas grâce à des sociétés qui ne sont pas. »
Cela n’a manifestement pas suffi, car la légende noire a fini par capter la mémoire de Jacques Foccart. Est-ce parce que l’homme n’est jamais allé – sans doute par fidélité à son mentor – jusqu’au bout de sa logique d’autodéfense, en rappelant qu’il n’était pas le concepteur mais simple exécutant, certes enthousiaste, d’une politique empreinte des contradictions et turbulences de la république gaullienne ?
(1) Le syndrome Foccart. La politique française en Afrique, de 1959 à nos jours, par Jean-Pierre Bat. Folio/Histoire, Paris, Gallimard, 2012
(2) Jacques Foccart. Dans l’ombre du pouvoir, par Frédéric Turpin. Paris, CNRS Editions, 2015.
(3) Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard, 2 tomes, Paris, Fayard-Jeune Afrique, 1995-1997.