En effet bien au-delà de l’affichage jeune et libéral du Président Macron, la sombre réalité interventionniste et paternaliste de la France aura certainement repris le dessus dans l’esprit des jeunes qu’il a rencontrés en Afrique, qui savent et comprennent parfaitement qu’un locataire de l’Élysée – fut-il jeune et volontariste- ne changera fondamentalement rien au tropisme colonial voire raciste qui sous-tend cette vieille relation, avec son lot de tyrans imposés ou de prédateurs jouissant de quasi-monopoles dans divers secteurs stratégiques.
Il appartient d’abord et uniquement aux Africains, notamment les jeunes, d’imprimer une autre relation plus humaine, respectueuse, équilibrée, et cordiale avec la France.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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La France n’a-t-elle vraiment plus de politique africaine ?
Il est encore bien trop tôt pour déterminer la trace que laissera Emmanuel Macron au sud du Sahara. Six mois après son arrivée à l’Elysée, le président français est encore davantage dans le temps des promesses que dans celui des réalisations, qui ne pourront être jugées qu’à la fin du quinquennat. Les orientations affichées lors de cette première tournée africaine, qui l’a mené du 27 au 30 novembre au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Ghana, offrent néanmoins quelques perspectives sur les intentions du chef de l’Etat.
Cela peut sembler anecdotique, mais le premier atout d’Emmanuel Macron est sa jeunesse, sa « fraîcheur » politique, sa personne, en somme. Il en a joué à plein lors de ces trois étapes afin d’établir une connivence générationnelle avec un continent où plus de 60 % de la population a moins de 35 ans, pour incarner une figure politique libérée des réseaux du passé. Par son parcours individuel, son ascension fulgurante en marge des grands partis – toujours tenus par des solidarités historiques et des liens nébuleux avec les représentants politiques du continent – et son sens de la transgression, le président français détient certaines cartes pour refaçonner les relations entre Paris et les Etats africains.
Ses familiarités de langage avec les étudiants réunis, mardi 28 novembre, à l’université de Ouagadougou et plus encore avec son homologue burkinabé, « parti réparer la clim’», ont été abondamment commentées. Si Emmanuel Macron doit, sans nul doute, apprendre à préserver les formes et les usages diplomatiques au risque de brusquer inutilement ses interlocuteurs, il apparaît que ses propos ont choqué les dirigeants africains, qui voient là un crime de lèse-majesté susceptible de se reproduire, bien plus que leurs administrés, rarement en position d’égratigner ceux qui les commandent.
La mort de la « Françafrique »
Au-delà des polémiques, deux thèmes ont été au cœur du propos et de la communication du président de la République lors de ce voyage : la nécessité d’investir dans l’éducation et de retisser la relation entre la France et les diasporas africaines qui la composent. Si l’on perçoit derrière ses choix les peurs européennes de voir débarquer des vagues successives de migrants en quête d’un avenir meilleur sur les rives nord de la Méditerranée, il est indéniable que ces deux questions constituent des urgences longtemps oubliées. Selon les projections, l’Afrique aura, d’ici à 2050, 450 millions de jeunes à insérer sur le marché du travail, et Emmanuel Macron, bien inspiré, semble avoir mesuré qu’une large part du désamour actuel entre Paris et ses anciennes colonies est alimenté par le peu d’espace que trouvent les enfants d’immigrés dans les sphères de pouvoir de la société française.
Pourquoi dès lors prétendre « qu’il n’y a plus de politique africaine de la France ! », comme il l’a fait en préambule de son discours de Ouagadougou ? Par souci d’humilité devant « la complexité et la diversité d’un continent de 54 pays », comme il l’a affirmé, ou plus sûrement pour exprimer avec d’autres mots ce que ses prédécesseurs ont déjà martelé : la mort de la « Françafrique », des pactes obscurs qui la caractérisaient et des fantasmes qu’elle continue de charrier. Alors que de nouvelles puissances – la Chine, l’Inde ou la Turquie pour n’en citer que quelques-unes – affichent sans complexe leurs ambitions africaines, il est illusoire de croire que Paris aborde ce continent avec le même détachement qu’elle peut avoir par rapport à l’Asie, l’Amérique ou l’Océanie. Emmanuel Macron a beau, comme il le dit, être « d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé », histoire et fonction obligent, il ne peut se soustraire au passé qui conditionne encore les relations entre la France et ses anciennes colonies.
Si la France a perdu de son influence dans cette partie du monde, c’est cependant grâce à l’Afrique qu’elle demeure un peu plus qu’une puissance européenne. Que ce soit pour les votes aux Nations unies, les décisions dans les instances internationales, le rayonnement de sa culture et de sa langue au-delà de l’Hexagone, Paris n’a d’autres choix que de s’appuyer sur les Etats francophones subsahariens. La contrepartie est claire : en cas d’urgence, c’est en direction de l’Elysée que les regards se tournent et que les appels à l’aide sont lancés in fine. Au début de leurs mandats respectifs, Nicolas Sarkozy et François Hollande n’avaient pas plus la fibre interventionniste qu’Emmanuel Macron. Le premier a finalement déployé l’armée française dans les rues d’Abidjan en 2011 pour trancher un litige électoral qui menaçait de se transformer en conflit de grande ampleur, alors que le second a lancé deux opérations militaires en 2013, au Mali contre les groupes djihadistes et dans une République centrafricaine basculant dans la guerre civile.
En plaçant comme « deuxième impératif la lutte contre le terrorisme », Emmanuel Macron s’inscrit dans cette continuité, même s’il souhaite impliquer avec plus de succès que ses prédécesseurs les armées africaines et les bailleurs européens dans la résolution des crises.
Enfin, quelle que soit sa volonté, ses déclarations indiquant que « le président de la République française n’a pas à expliquer dans un pays africain comment on organise la Constitution, comment on organise des élections ou la vie libre de l’opposition », Emmanuel Macron ne pourra observer en spectateur ou en conseiller les convulsions politiques du continent. Les opposants comme les sociétés civiles des pays d’Afrique francophone continuent d’orienter leur boussole vers Paris pour se faire entendre. C’est aussi là que se trouve le paradoxe de cette relation.