Le Drian, grand maître de la politique africaine de Hollande
A partir de l’intervention française au Mali, et en privilégiant la construction de programmes sécuritaires régionaux, le ministère de la défense a pris l’ascendant sur le Quai d’Orsay sur les questions africaines.
LE MONDE | Par Cyril Bensimon
De l’Afrique, François Hollande ne connaissait rien ou presque. Tout juste avait-il eu, avec ses amis de la promotion Voltaire de l’ENA, pour projet de partir à la rencontre des révolutionnaires éthiopiens en 1979. L’aventure se termina, faute de visas, par une promenade en Somalie… Sur l’Afrique, François Hollande s’est révélé en janvier 2013. Lorsqu’une colonne djihadiste traverse la ligne de front au Mali et entame une descente sur Sévaré qui pourrait s’achever à Bamako, la capitale, la main de ce président que l’on dit incapable de trancher ne tremble pas. L’opération militaire « Serval » est déclenchée en urgence. Elle sera le point de bascule de sa politique africaine.
A cause de ce tournant militaire, Jean-Yves Le Drian a cumulé tout au long du quinquennat sa fonction de ministre de la défense avec celle, plus informelle, de « ministre de l’Afrique ». Pour les dignitaires, opposants et rebelles du continent de passage à Paris, le bureau de Cédric Lewandowski, le directeur du cabinet de ce dernier, est devenu une étape obligée. « Certains me surnomment désormais Foccardowski », s’amuse l’homme de confiance de Jean-Yves Le Drian qui, comme Jacques Foccart, le tout-puissant chargé des affaires africaines du général de Gaulle, cultive ses réseaux et la discrétion. « L’équipe Le Drian n’était pas préparée à l’Afrique, mais elle a su très vite s’appuyer sur le savoir-faire militaire français pour gérer les affaires d’otages et l’intervention au Sahel », explique une bonne source.
L’ascendant de l’Hôtel de Brienne, siège du ministère de la défense, sur le Quai d’Orsay concernant les questions africaines a permis au Tchadien Idriss Déby de se parer du titre de « meilleur allié dans la lutte contre le terrorisme au Sahel » ou bien encore au Congolais Denis Sassou Nguesso d’être considéré comme un « interlocuteur incontournable pour la Centrafrique », quand a été lancée l’opération militaire « Sangaris » en décembre 2013. Les pratiques très peu démocratiques de ces deux chefs d’Etat ont été vite oubliées au nom du « principe de réalité ».
Gardien du « pré carré »
Alors qu’au ministère des affaires étrangères, la direction de l’Afrique et de l’océan Indien promet, sous Laurent Fabius, « la fin de l’Afrique à papa », poussant à une plus grande concertation avec l’Union africaine et une réorientation vers l’Afrique de l’Est, jugée plus prometteuse économiquement, le duo Le Drian-Lewandowski fait figure de gardien du « pré carré ». Le ministre et le directeur du cabinet font reposer leur politique sur deux piliers : la confiance établie sur des relations personnelles, principalement dans les anciennes colonies, et la tentative de construction de programmes sécuritaires régionaux comme le G5 Sahel.
La stratégie consistant à « frapper et transférer » au plus vite le maintien de la paix à des forces internationales, au Mali comme en Centrafrique, a néanmoins connu ses limites. « Serval » est devenu « Barkhane », une opération « antiterroriste » à durée indéterminée dans cinq pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad). En Centrafrique, les soldats de l’opération « Sangaris » sont partis, mais le pays demeure morcelé et ni les nouvelles autorités ni les casques bleus ne parviennent à éteindre les guerres factieuses.
Lire aussi : Défense : les deux faces du bilan de Le Drian
Depuis son arrivée au ministère des affaires étrangères en février 2016, Jean-Marc Ayrault a bien tenté de redonner une couleur africaine à la diplomatie française, « prise en tenaille entre la défense et l’Agence française de développement, qui est devenue un nouveau ministère de la coopération », selon la description d’un expert. Ses voyages sur le continent, ses rencontres avec la société civile sont mis en avant mais les préoccupations sécuritaires continuent de dominer la diplomatie française. Ainsi, le nouveau directeur de l’Afrique et de l’océan Indien du Quai d’Orsay, Rémi Maréchaux, fut de 2010 à 2013, le directeur de la stratégie de la DGSE.
Cyril Bensimon
Journaliste au Monde
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Défense : les deux faces du bilan de Le Drian
Respecté par l’opposition, applaudi par les industriels, le ministre de la défense a toutefois un bilan nuancé : experts et militaires décrivent un scénario d’usure inédit des armées.
LE MONDE | Par Nathalie Guibert
Finalement, il lui a préconisé de garder cette cravate noire rayée blanche. Tant pis si son ministre apparaissait toujours avec la même sur les photos, a pensé, en cet été 2012, Sacha Mandel, le conseiller en communication du tout nouveau ministre de la défense. Avec cet accessoire d’une austère banalité, l’on finirait par repérer Jean-Yves Le Drian, inconnu des Français hors de la Bretagne, son fief.
Pour installer dans l’opinion l’ancien professeur d’histoire devenu ministre, le spin doctor vise l’essentiel : il faut vendre aux médias un atout maître du président François Hollande. Car « personne ne connaît Le Drian, et personne ne sait à quoi sert un ministre de la défense » dans la Ve République, qui fait du seul chef de l’Etat le chef des armées.
Cinq ans plus tard, l’armée française combat partout dans le monde et Le Drian s’est fait un nom. Devenu « le glaive du président », selon le journaliste Hubert Coudurier, qui lui consacre une biographie (Plon, 2017), il semblait même, avant l’élection présidentielle, le seul potentiel survivant de la mandature, ministre putatif d’Emmanuel Macron si celui-ci devenait l’hôte de l’Elysée.
L’opposition de droite a appris à respecter le compagnon de route du Parti socialiste. Les généraux, le chef d’état-major Pierre de Villiers en tête, louent un patron qui a défendu avec opiniâtreté les armées. Pour l’industriel Serge Dassault, il est « le meilleur ministre de la défense qu’on ait jamais eu ».
Au-delà des frontières, mieux encore : les chefs d’Etat du Golfe et d’Afrique parlent au président français à travers lui, et l’embrassent. « Les militaires français ont de la chance d’avoir un dirigeant aussi déterminé que Jean-Yves Le Drian », a aussi salué, en janvier 2016, son homologue à Washington, Ashton Carter. Ce précieux allié américain permettra à la France de partager la vente de douze sous-marins à l’Australie, un contrat historique de 34 milliards d’euros, dont 8 milliards pour les entreprises de l’Hexagone.
Au ministère, trois hommes ont pris tous les pouvoirs
A bientôt 70 ans, Jean-Yves Le Drian est devenu une figure incontournable. Au verso de l’image, le bilan de ces cinq ans peut être nuancé.
Au ministère, ce sont en réalité trois hommes qui ont pris tous les pouvoirs. Un trio fusionnel, centralisateur, abusivement surnommé, en interne, « le bon, la brute et le truand ». A chacun son rôle dans le film, avec un mot d’ordre : « Le ministre est le maître chez lui. » Les militaires, qui ont trop pris leurs aises sous la présidence de Nicolas Sarkozy, quand le chef d’état-major Jean-Louis Georgelin en remontrait au ministre Hervé Morin, sont priés de se taire.
Le « bon », bien sûr, sera le ministre. Il va vite s’employer à rassurer l’institution. « Certains, à gauche, ont à l’égard de la guerre et des armées une certaine allergie, ils oublient que la guerre et la République sont concomitantes. Elles ont permis la souveraineté nationale », explique-t-il dans Le Monde en 2013.
Prudent à l’excès dans ses prises de parole publiques, craignant la presse, Jean-Yves Le Drian va forcer sa nature : son conseiller en communication lui ouvre les portes de tous les médias, de BFM au International Herald Tribune. Le ministre se présente aussi comme un homme à l’écoute de ses interlocuteurs étrangers : « On ne vend pas un avion comme un tapis, nous cherchons des partenaires stratégiques », répète-t-il. Attentif quand il visite la troupe, il est bien accueilli, là encore.
Au ministre, le bénéfice de l’action
« La brute », ce fut pour Jean-Claude Mallet, 62 ans, un conseiller d’Etat protestant, bourreau de travail insomniaque. Le conseiller spécial Mallet est l’auteur de tous les livres blancs de la défense depuis vingt ans, y compris celui de François Hollande, mis en œuvre par Le Drian.
« Ne croyez jamais un militaire qui vous dit que l’armée n’a pas assez d’argent », confiait-il en 2012, à l’heure des économies tous azimuts. L’homme, omniprésent, tient les piliers de la politique de défense du quinquennat : une relation étroite assumée avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, le choix de la technologie pour les investissements militaires (drones, cyber, spatial), la priorité donnée à tous les moyens du renseignement.
Pour filer la métaphore cinématographique, il restait le personnage du « truand », dont a été affublé le directeur du cabinet, Cédric Lewandowski, 47 ans, un homme puissant et craint. Un autre travailleur acharné, franc-maçon et homme du sérail, déjà membre du cabinet de la défense en 1997.
Il sera l’homme de l’ombre capable de préserver le ministre dans les dossiers sensibles, depuis la libération des otages français jusqu’aux arcanes des contrats d’armement. Certains le voient candidat à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), pour succéder au diplomate Bernard Bajolet, à qui il s’est opposé, notamment lors des négociations avec les ravisseurs des otages d’Areva.
Au ministre, le bénéfice de l’action. Depuis les attentats islamistes de 2015 en France, « l’armée et le ministre de la défense apparaissent comme le dernier rempart d’une nation fragilisée dans sa cohésion intérieure », écrit Hubert Coudurier.
Jean-Yves Le Drian devait partir fin 2015, selon la règle fixée par François Hollande, pour ne pas cumuler son poste avec celui de président de la région Bretagne. Il restera, comme MM. Mallet et Lewandowski. « J’ai effectué 256 voyages, parcouru 1,5 million de kilomètres, visité 64 pays », a-t-il lui-même vanté à des journalistes reçus dans ses bureaux de l’Hôtel de Brienne, début avril.
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Une pratique qui laisse les militaires amers
« Dans le domaine des opérations extérieures, la communication a remarquablement réussi, note un observateur averti. Pourtant, avec le retrait unilatéral des soldats français d’Afghanistan, cela avait commencé par une rupture du contrat moral passé avec les Américains qui était “in together, out together” ». Mais Le Drian est allé déminer le sujet avant le sommet de l’OTAN de mai 2012 à Chicago. Et Barack Obama fut indulgent pour le nouveau président français, qu’il savait prêt à s’investir sur d’autres fronts.
Vite, François Hollande a décidé de nouvelles opérations : le ministre a pu s’appuyer sur un chef des armées qui, selon un officier général en poste, « a eu des réflexes sains et des interventions légitimes ». Si leur pertinence n’a pas été contestée aux débuts, elles ont eu des résultats mitigés.
Au Mali, d’abord. En 2012, le cabinet Le Drian n’a pas de mots assez durs pour le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. Face à la menace djihadiste, il n’aurait « rien compris, rien vu venir ».
L’opération « Serval » frappe fort, en janvier 2013, sur les groupes armés prêts à prendre Bamako. Derrière l’impressionnant déploiement, le ministre inaugure une pratique qui laisse les militaires amers : à Brienne, c’est le directeur du cabinet qui mène les réunions opérationnelles. Il en exclut le chef d’état-major des armées au profit de son adjoint aux opérations, avant de « briefer » le ministre, qui va rapporter au président. Du jamais vu.
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La Libye reste une bombe à retardement
Serval devenue « Barkhane » en 2014, l’opération principale française (entre 4 000 et 5 000 hommes opérant dans cinq pays du Sahel) s’inscrit désormais dans la longue durée. Quelque 150 terroristes ont encore été « neutralisés » en 2016.
Le ministre reconnaît que « la situation du nord du Mali reste préoccupante », que « le Niger se fragilise ». « La situation est bloquée car il n’y a pas de gestion politique du conflit », critique le député de Paris (Les Républicains) Jean-François Lamour, proche de François Fillon, à l’unisson de beaucoup d’autres.
La Libye reste une bombe à retardement. Certes, le chef d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Mokhtar Belmokhtar, a bien été tué par une frappe française de Rafale en novembre 2016 dans le sud du pays, selon les informations du Monde. Certes, les groupes armés islamistes sont contenus par l’armée américaine et des actions françaises clandestines, que le ministre range sous le terme d’« opérations de renseignement ».
Mais la situation reste explosive, tandis que Paris fait le grand écart entre sa position officielle – un soutien au gouvernement toujours plus faible de Faïez Sarraj à Tripoli – et son appui militaire officieux au général Khalifa Haftar, maître de Benghazi.
En Centrafrique, le ministre avait « vendu » fin 2013 au président une « guerre humanitaire » éclair, de « quatre à six mois ». Le retrait français, plusieurs fois annoncé, a été forcé par Paris en octobre 2016. Jean-Yves Le Drian a alors déclaré à une troupe éprouvée que « la mission était réussie ». Le pays, présenté comme « un territoire pilote » de la stratégie française du « frapper et transférer », demeure prêt à s’embraser.
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« Les ressources humaines aux limites de leurs forces »
Sur le théâtre irako-syrien, c’est le bilan coût-avantage d’une action placée sous le commandement américain qui est discuté. « Ceux qui veulent faire de la France le meilleur second des Etats-Unis se trompent, assure un ancien responsable militaire, car on a toujours beaucoup donné dans les coalitions avec les Américains sans jamais rien recevoir en retour. »
Dans le bilan, résume un amiral, « les aspects positifs – réactivité des armées aux demandes du président, succès à terre, en mer et dans les airs, bonne coopération alliée – ne compensent pas des faiblesses inquiétantes. Les ressources humaines sont aux limites de leurs forces, le système D l’emporte face aux manques d’équipements, et la France ne pèse pas lourd dans l’opération américaine contre l’EI [organisation Etat islamique] ».
Experts et militaires décrivent un scénario d’usure inédit. « On est allé au-delà des capacités des armées, qui sont en train de vivre ce qu’a vécu le Royaume-Uni » après dix ans de surengagement en Irak et en Afghanistan, estime le général Henri Bentégeat, ancien chef d’état-major. « La question est qu’il est très difficile de renoncer à certaines capacités sauf à reconnaître une perte de rang de la France. Il est tout aussi impossible de penser se retirer des opérations extérieures pour que les armées récupèrent un peu. »
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Le ministre obtient de limiter la casse
Paradoxe, car Jean-Yves Le Drian achève le mandat avec l’image de celui qui a sauvé les armées de la débâcle. En 2012, la défense était au mitan d’un plan social massif de 80 000 suppressions d’emploi sur dix ans. Bercy voulait 30 milliards d’économies.
Le ministre obtient dans les faits de limiter la casse, avec 15 milliards d’euros de moins et un slogan : l’austérité frappera « pas plus pas moins » la défense que les autres missions de l’Etat. Les grands programmes d’équipements témoignent de cette cure. En 2009, l’on pensait commander 286 Rafale, ce sera 136 pour 2019. De 50 transporteurs A400M, on passe à une quinzaine. De dix-huit frégates multimissions à onze…
En 2014, les chefs d’état-major menacent de démissionner. La programmation militaire 2014-2019 reviendra à diviser par deux les capacités d’intervention de l’armée française.
Les contraintes budgétaires « ont été compensées par une baisse des ambitions, qui s’est faite en deux étapes dans les livres blancs de 2008 et de 2013 », note le général Bentégeat. Avec 7 000 hommes durablement projetés, « l’objectif d’engagement extérieur porte sur un effectif qui est seulement celui de la France dans la guerre du Golfe en 1991 avec une armée d’appelés, alors que nous avons une armée professionnelle ».
Sauver l’industrie nationale de défense
Le scénario financier, bâti par Jean-Claude Mallet, a un objectif : sauver l’industrie nationale de défense, en lui garantissant un minimum d’investissement. En dessous de 6 milliards d’euros de commandes ce serait la fin, a estimé, en 2013, la Direction générale de l’armement (DGA).
La Bretagne en profitera : le ministre y installera un pôle cyber, des services de la DGA, une future usine de munitions… Les frégates de taille intermédiaire seront fabriquées à Lorient (Morbihan), la ville dont il fut longtemps le maire, un programme de 4 milliards d’euros dont M. Le Drian a obtenu l’arbitrage financier juste avant l’élection présidentielle.
L’habileté de l’équipe Le Drian aura ainsi été, en bonne intelligence avec le chef d’état-major, de convaincre les acteurs de la défense que le modèle le moins pire aura été un bon modèle.
« En réalité, ce fut déjà un effort considérable d’avoir tenu les murs et le plafond qui menaçaient de s’effondrer dans la période », assure un technicien de l’ombre. La communication du ministre en a parfois trop fait, surjouant le film du combattant infatigable arrachant les crédits à l’ennemi, Bercy.
« Les pressions répétées de Le Drian ont fini par agacer Hollande », raconte Hubert Coudurier. « Je t’avais dit que tu l’avais ce budget, il faut arrêter le lobbying », a pu lancer le président.
Mais il faudra attendre les attentats de 2015 pour que le chef de l’Etat décide de relancer les crédits. Même en tenant compte de 28 000 emplois « sauvés », le ministère aura supprimé 5 000 postes, les armées perdant 20 % de leur effectif entre 2009 et 2019.
Les conditions du sauvetage reposaient sur un pari : les exportations d’armement. La vente du Rafale devait permettre de maintenir la chaîne de production tandis que les livraisons à l’armée française étaient gelées pour quatre ans.
L’appétit militaire soudain du président-maréchal égyptien Abdel Fattah Al-Sissi a tout débloqué, conduisant la France à exporter des armes à un niveau historique. De février à avril 2015, Paris va vendre 48 avions de combat à l’Egypte, puis au Qatar, et en négocier 36 autres avec l’Inde.
Une relation ambivalente avec l’institution
La vente égyptienne, dit-on au ministère, est « combat proven » – l’avion a été éprouvé au combat. Début 2015, le ministre n’a pas hésité à faire avancer les opérations des Rafale du porte-avions Charles-de-Gaulle contre l’EI pour les caméras.
« Les opérations, c’est moi », taclera Hollande. « Il n’y a en avait que pour Le Drian », résume-t-on à l’Elysée. Six mois après, pour la parade militaire du 6 août 2015 sur le canal de Suez, le ministre est tout sourire sur la photo, cravate noire rayée blanche de rigueur, au côté de François Hollande.
« Nos exportations ont atteint 20 milliards en 2016, un nouveau record ! », vante-t-il lors de ses vœux pour 2017. Le chiffre est gonflé à tort avec le contrat des sous-marins australiens, pas encore signé, et se situe à 14 milliards. Qu’importe. La gauche au pouvoir a triplé les prises de commandes par rapport à 2012. Les industriels applaudissent.
« Maître chez lui », le ministre s’est au final installé dans une relation ambivalente avec l’institution. « Il y a trois vertus dans la relation avec les militaires et il ne faut pas les inverser », expliquait-il, début avril, aux journalistes – « le respect, l’exigence, la transparence ». De quoi faire s’étrangler nombre d’officiers.
Le cabinet a réduit par décret, dès 2013, les prérogatives du chef d’état-major des armées au profit des trois grands adjoints civils du ministre : le secrétaire général pour l’administration, le délégué général pour l’armement, le directeur des relations internationales et de la stratégie.
Cédric Lewandowski a aussi pris l’habitude de convoquer les généraux, et de distribuer lui-même leurs étoiles aux colonels, une pratique souvent humiliante. Les chefs d’armée n’ont plus eu accès au ministre comme ils l’auraient souhaité.
Et la troupe ? Les dysfonctionnements de Louvois, le logiciel de la paie des militaires, n’ont pas été résolus en dépit des efforts de l’administration. Les effets de ce scandale dans l’institution seront durables, a jugé le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire.
Au fil des mois, le ministre a peu à peu espacé les interviews, à l’exception notable de son rendez-vous régulier avec Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. « Vous êtes devenu l’homme le plus populaire de France », a conclu fin 2016 le vieux chroniqueur sans questionner le bilan.
Nathalie Guibert
Correspondante défense