Contrairement à Paul Kagame qui aspire à un troisième mandat en agitant une parodie “d’appel du peuple du Rwanda”, l’autocrate Paul BIYA n’a toujours pas compris du haut de ses 83 ans qu’il pourrait effectivement rester autant qu’il le peut au pouvoir – malgré les discours officiels des chancelleries occidentales – sans que cela ne les perturbe tant que cela …Realpolitik oblige!
Mais à condition que l’avenir des différentes générations de ses concitoyens ne soit pas autant assombri qu’il est aujourd’hui, par une misère endémique au Cameroun depuis 1983…
Bien triste de constater que 33 ans après sa première investiture à la Présidence de la République “L’homme fort” de Yaoundé croit toujours qu’il tire sa légitimité présidentielle uniquement de la déférence ou de l’arrogance qu’il aura su afficher à l’égard de son “maître” Élyséen du moment; y compris au prix d’une prestation guignolesque servie à une opinion publique camerounaise avare de clowneries anti-françaises; même accablée qu’elle l’est au quotidien par des besoins aussi primaires que pouvoir manger à sa faim, avoir accès à l’ eau courante/potable, à électricité, à des soins de santé de qualité…et j’en passe.
Faut craindre que rapidement les Camerounais reviennent à l’essentiel et ne se souviennent plus que vaguement de l’escale de 06 heures de François Hollande le 03 juillet à Yaoundé… Parce que le contenu des assiettes et des porte-monnaies, toujours désespérément vide, aura dicté sa loi.
Hélas!
“Ce que je retiens de la visite du président français au Cameroun.”
Par Marie Louise Eteki Otabela*
Il y a au moins une image que tout le monde aura retenue de cette visite, c’est la rose rouge monumentale offerte à François Hollande, même si le reste du décor se déclinait en jaune et…Blanc. Comme disait Ronsard à sa belle Cassandre : mignonne allons voir ! Seize ans que l’Etat camerounais a déployé toutes les stratégies diplomatiques impossibles et inimaginables pour arracher une visite d’Etat à la France. Le résultat fut lamentable : une escale après deux jours chez des Africains plus fréquentables, des leçons de démocratie par chef d’Etat interposé et au final, la revendication d’un totalitarisme pire que le nazisme et le goulag réunis. Illustration d’un non-événement historique.
Une visite d’Etat de 6 heures, la nuit !
Depuis plus d’un demi-siècle, les Camerounais sont habitués aux impopulaires mobilisations qui ont consisté toutes ces années à se masser le long de ce qui nous tient lieu de rues, ou qui sont aménagées sur le champ, pour accueillir les chefs d’Etat de chez nous et d’ailleurs. Ils appellent cela un « accueil chaleureux ». Mais François Hollande comme les autres ne s’y est pas trompé : les méthodes de répression en sont connues. On débarrasse le parcours présidentiel des « choses » encombrantes, on y contraint les femmes et les enfants (quand c’est de jour) en faction dès l’aube, on cache les prostitués et les mendiants : la ville doit être propre, la population et ses activités bloquées durant des heures. Voilà pour le côté jardin. Cassandre n’aurait pas apprécié.
Côté Cour, on a échafaudé bien des scénarii avant l’arrivée de la grosse délégation présidentielle (dont 50 hommes d’affaires !). Tout y est passé dès l’annonce officielle de cette fameuse visite dite d’Etat, en réalité une escale de quelques heures à la fin du voyage du Président Hollande en Afrique. Chacun y a été de ses « dossiers », ceux qui attendaient les deux chefs d’Etat. Dossier politique, le président français avait annoncé la couleur dès sa campagne électorale : la France ne veut plus soutenir les présidents africains qui restent au Pouvoir éternellement à coup de corruption et de mauvaise Gouvernance*1. Dossier économique , celui-là plus sûr concernerait les intérêts de la France, les parts du Marché camerounais arrachés par les Chinois et autres intrus dans le Pré -carré…Un sacré coup de main à Bolloré (et Co), mieux placé pour gérer les Grands travaux , le plan d’urgence et l’ émergence promise… comme la Terre du même nom, en l’ an 2035 !
Bien évidemment le dossier, on va dire « humanitaire », de la franco-Camerounaise, Lydienne Eyoum. Cela devait être du donnant-donnant comme la Coopération new-look : on a libéré les otages français, vous pouvez bien nous libérer cette Avocate. Et là, coup de théâtre : Biya évoque la Constitution ! Ce n’est plus sur un simple geste de la tête qu’il peut vous propulser au devant de la scène ou vous envoyer aux oubliettes ni les déclarations intempestives de guerre de l’Etranger. On se dit donc qu’il y a au moins du progrès sur la gestion de son pouvoir absolu. Mais non : vous oubliez que pour vous sortir du vaste camp de concentration qu’ est le Cameroun…vous devez demander cette grâce présidentielle et jurer noir sur blanc que jamais ,au grand jamais, vous ne troublerez l’ordre totalitaire…une fois dehors : le coup de la victime qui doit être anéantie avant de monter sur l’ échafaud ! Et d’ailleurs sur ce chapitre-là, nous sommes revenus à la case Foccart, avec la fameuse loi anti-terroriste, dite loi Boko-Haram*2.
Des leçons de démocratie de chez « Charlie », l’africain
Le président Biya appelle cela, votre volonté ! « Je verrais ce que je peux faire si telle est sa volonté ». Eh bien, deuxième coup de théâtre : c’est le fameux « NON »de l’ancien bâtonnier ! Telle ne sera pas la volonté de Me Eyoum, a annoncé son illustre prédécesseur, Me Yondo Madengue Black…qui en sait un bout sur les méthodes d’élargissement du Régime ! Nous devrions plutôt nous remobiliser comme dans les années 90 pour exiger une grâce amnistiante pour une citoyenne accusée à tort et condamnée abusivement. Il y aura eu ainsi au moins trois leçons de démocratie au cours de cette escale publique. D’abord le message du président français au président camerounais depuis la terre Béninoise : je suis attaché à ce que soit respecté les textes constitutionnels, les échéances électorales et les rythmes de la démocratie, aurait déclaré le président français à Cotonou, le seul discours ( de 25 mn) de son voyage, même s’il a préféré citer le Burundi comme mauvais élève*3
Ensuite, la leçon de démocratie de l’homme par qui le processus démocratique a pris corps au Cameroun en 1990 : « Je pense que le totalitarisme c’est d’abord au niveau du Pouvoir. Le fait que celui qui a la chance de présider aux destinées du pays rassemble entre ses mains, tous les pouvoirs : l’exécutif, le législatif, le judiciaire. C’est dire qu’il régente tout. Or ceux qui sont forts et qui risquent de survivre à cette situation, il faut les anéantir*…Répression, torture et conditions de détention inhumaines. Elle vise l’anéantissement de l’Homme ! Ce qui fait que la plupart des gens, quand ils sortent de ces geôles, ce sont des loques…juste bons à servir comme indicateurs de police. On ne peut pas sortir de là tout seul : il fallait internationaliser au maximum le mouvement de résistance intérieure. On ne va pas inventer la démocratie. Elle est une et universelle. C’est la forme pratique qui change d’un pays à l’autre ».*4
Enfin, nous savons bien que le Régime camerounais a toujours repris pour son compte les combats…et les victoires de notre Mouvement de Résistance depuis 1957, l’année de création de l’Etat au Cameroun par un décret Français et que si le Premier « égocrate » camerounais est venu proclamer l’indépendance du Cameroun le 1er Janvier 1960, c’est l’aboutissement de la lutte des nationalistes et de 12 ans de combat de l’UPC de Ruben Um Nyobè ! Dire aujourd’hui que l’évocation des crimes commis par l’armée coloniale, et le génocide perpétré au Cameroun est une victoire de Paul Biya est une nième forfaiture quand on sait tout le combat mené ces dernières années par les partisans de l’Etat de droit au Cameroun. Sans compter les écrits des Résistants camerounais contre ce régime totalitaire et en particulier la demande de UPC (des fidèles) pour l’ouverture des Archives sur ces crimes classées « secret d’Etat » par la France ! Nous aimerions bien que l’on nous cite, un seul écrit des partisans de ce régime et des indéfectibles attachés à Biya qui ait jamais réclamé la reconnaissance de ces crimes. Alors à César…
« Ne dure pas au pouvoir celui qui veut mais qui peut »
On se demande donc dans cette conférence de presse qui a nargué qui ?
Le vieux lion qui a essayé de « surfer (!) sur l’humour machiavélique ».*5 On est loin du symbolisme lyrique de Ronsard sur la fuite du temps. Cette tentative de réflexion didactique de Biya à Hollande n’a été qu’une piteuse leçon de morale politique. Son seul argumentaire depuis 1982 : rigueur et moralisation. Trente trois ans après, le Cameroun est par terre ! A la fugacité de la vie, de la jeunesse, le « poète-président » âgé, avoue avec une pathétique arrogance à la face du monde, la nature totalitaire de son pouvoir. Nous l’avons démontré depuis les années 90. « Voilà comment ce pays a été détruit et c’est pourquoi l’Etat au cameroun ne tend pas vers un règne despotique sur les Camerounais mais vers un système dans lequel les hommes se sentent inutiles. Ce qui fait que leur Humanité n’a plus d’importance : « ils sont interchangeables » comme on dit dans la langue du Parti du Président, des hommes en trop : quel Camerounais un tant soit peu lucide n’a pas éprouvé ce sentiment dans ce pays » ?*6
Hollande qui, connaissant parfaitement la nature du régime politique camerounais n’a pu recevoir que l’Opposition que ce Régime s’est donnée et que nous appelons « l’opposition institutionnelle » dont nous connaissons les performances lamentables en 25 ans : pas même une simple loi électorale et encore moins une élection présidentielle à deux tours comme dans la plupart des démocraties actuelles ? Si le Cameroun avait des institutions dignes de ce nom – une Cour Constitutionnelle, une véritable Cour Suprême, une Justice indépendante, bref un Etat de droit, cela se saurait ! L’indépendance en Afrique, une mascarade –comme dit Eva Joly- Et le chaos, lorsqu’il se produit, ne trouble pas le système. Il n’est qu’à voir l’Angola, en guerre pendant des dizaines d’années, mais dont aucune goutte de pétrole, jamais, n’a raté sa destination. Pendant la guerre, les affaires continuaient…Qui osera un jour rendre au Nigéria, au Cameroun, au Gabon, au Congo Brazzaville ce que la France leur doit ?*7 Le Candidat Hollande avait pourtant promis qu’une fois élu, il supprimerait le mot « race » de la Constitution française. On attend l’enfant, comme disent les gens d’ici.
Ou le Mouvement des Femmes camerounaises, le CRI, qui a publié à cette occasion cette mise à jour sur notre pétition*8 : « Il semble donc que le président François Hollande fera une escale de quelques heures dans trois jours au Cameroun ! Ce qui va réellement se dire durant ces quelques minutes que le chef de l’Etat français “accorde” au Peuple Camerounais, nous ne le saurons peut-être jamais… Mais nous réitérons ici, par le biais de cette pétition des femmes camerounaises lancée depuis 5 mois, le message de notre Peuple. Aussi nous invitons tous ceux et celles qui n’ont pas encore signé cette pétition, à profiter de cette occasion pour la signer. C’est la seule façon de faire entendre les voix de la majorité des citoyens de notre pays, réduite au silence depuis plus d’un demi siècle sans compter les innombrables victimes de ce régime -que la France a vécu seulement pendant trois ans, de 1939 à 1944…et qu’elle aurait tant souhaité bannir de son Histoire. Dans l’espoir que François Hollande nous entende comme jadis son illustre prédécesseur socialiste, François Mitterrand, Mignonnes du Cameroun, attendons voir si la rose…
* Co-présidente de la Coordination des Forces Alternatives, parti politique féministe reconnu publiquement au Cameroun depuis 1997.