Mais tirer aussi toutes les leçons sur le rôle plus que ambigu de la France lors de ce drame, afin notamment de ne pas commettre les mêmes erreurs ailleurs sur le continent, et non loin du Rwanda, au Cameroun par exemple à travers le soutien indéfectible apporté par la France à un régime ouvertement ethno-fasciste.
JDE
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Génocide au Rwanda : Macron veut faire du 7 avril une «journée de commémoration»
Dans un communiqué publié ce dimanche 7 avril, jour des 25 ans du génocide des Tutsi au Rwanda, le chef de l’Etat Emmanuel Macron «exprime sa solidarité avec le peuple rwandais et sa compassion à l’égard des victimes et de leurs familles».
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Il salue en outre le travail de mémoire conduit par les rescapés et souhaite «que la date du 7 avril soit désormais une journée de commémoration du génocide des Tutsi».
Macron a reçu vendredi au palais présidentiel des représentants d’Ibuka France, association de soutien aux victimes et rescapés du génocide. Il a annoncé la mise en place d’une commission d’historiens et chercheurs afin de faire la lumière sur le rôle controversé de Paris dans cette tragédie et apaiser la relation avec Kigali. Cette commission aura accès à “toutes les archives françaises concernant le Rwanda entre 1990 et 1994”.
Des commémorations ont lieu ce dimanche à Kigali, en présence du député LREM Hervé Berville qui représente la France.
Source : lefigaro.fr
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Rwanda: «L’État génocidaire se disait “personne ne va nous arrêter”»
Timothy Longman est professeur associé à l’université de Boston. Il a été l’un des premiers à enquêter sur le génocide de 1994 pour le compte de Human rights Watch (HRW) et de la FIDH. Ces enquêtes ont permis la publication d’un rapport conjoint, « Aucun témoin ne doit survivre », qui continue aujourd’hui encore de servir de référence. Il est également l’auteur de deux livres sur le Rwanda, le dernier publié en 2017 s’intitule Mémoire et Justice dans le Rwanda post-génocide. Il répond aux questions de Sonia Rolley.
RFI : Que ressortait-il des enquêtes qui vous a marqué sur ces 100 jours ?
Timothy Longman : Le 7 [avril], quand la violence a commencé, c’était surtout à Kigali et ils ont ciblé par seulement les Tutsis. Ils ont tué beaucoup de Hutus modérés. Donc ils ont tué le Premier ministre, madame Agathe Uwilingiyimana. Ils ont tué quelques autres ministres, des militants des droits de l’homme. Ils ont cherché des journalistes. Donc ils ont ciblé des gens qu’ils ont vus comme des ennemis, des gens qui étaient pour un pays plus démocratique. Et aussi, il faut dire qu’ils ont tué beaucoup de Tutsis, des leaders, les Tutsis qui étaient des hommes d’affaires. Après quelques jours, ils ont vu que le monde ne réagissait pas. Les États-Unis, la France, les autres pays disaient : c’est des Africains qui commencent à s’entretuer encore comme toujours. Ils n’ont pas condamné, ils n’ont pas même insisté pour qu’ils arrêtent. Avec ça, le nouveau gouvernement qui était plus extrémiste disait : on peut continuer, on peut en effet chercher les Tutsis partout parce que personne ne va nous arrêter.
L’État qui se met à faire le génocide sur tout le territoire, c’est venu après ?
Il y a des gens qui ont résisté partout. On ne peut pas dire que tous les Hutus sont des génocidaires parce que, même parmi les Hutus du Nord, il y en avait qui étaient contre le génocide, il y avait des gens même dans le parti politique du président qui étaient contre le génocide. Au sud du pays, il y avait une grande résistance dans les préfectures de Butare, de Gikongoro, de Sangoku ou de Gitarama. Il y avait des politiciens qui étaient de l’opposition, ils ont résisté pendant une semaine, deux semaines, trois semaines même. Après le gouvernement central est venu pour vraiment insister qu’il faut participer. Par exemple, j’ai étudié la préfecture de Butare, et là-bas, le 19 avril, le président est venu, le Premier ministre, la garde présidentielle et beaucoup de ministres. Il y avait une grande réunion de tous les bourgmestres. Les leaders leur ont dit que vraiment il faut arrêter la résistance, il faut les aider à chercher la sécurité. Cela voulait dire qu’il fallait tuer les Tutsis. Ils n’ont jamais vraiment dit : allez tuer les Tutsis. Ils ont toujours utilisé une langue un peu cachée. Et le gouvernement a dû vraiment pousser parce que la population n’était pas pour ces violences.
Est-ce que pour vous aujourd’hui les commémorations symbolisent ou apportent une forme de vérité sur le génocide tel que celui que vous avez étudié ?
Ce qui me rend triste, c’est que la commémoration n’est pas contrôlée par les rescapés. Donc le Rwanda aujourd’hui est dirigé par les gens qui n’étaient pas au Rwanda pendant le génocide. C’était des gens qui étaient soit dans l’armée, les FPR, soit dans les pays extérieurs –Ouganda, Congo, Burundi. Et parce qu’ils n’étaient pas là pendant le génocide, ils ne comprennent pas exactement. Ils ont une histoire officielle. Le gouvernement et ses amis ont vraiment parlé d’un génocide comme quelque chose qui était presque enraciné dans l’histoire coloniale. Ils ont parlé des problèmes des Belges et la création des ethnies, et que les gouvernements après l’indépendance ont vraiment travaillé pour commencer un génocide. Donc l’histoire est vue maintenant seulement par le génocide. Pour moi, c’est très important d’avoir la commémoration, mais c’est plus politisé, c’est quelque chose qui est utilisé par le gouvernement actuel pour justifier pas mal de choses, en disant par exemple : il faut aller au Congo pour une guerre, il faut limiter les droits de l’homme à cause du génocide. Une chose pour nous qui avons étudié le génocide qui est intéressante, c’est qu’en général la plupart des Hutus n’ont pas vraiment détesté les Tutsis. Pendant le génocide, ils avaient peur, ils étaient dirigés par le gouvernement. Les gens qui ont résisté ont eu des problèmes, ils étaient même des fois tués. Mais la plupart des gens qui participaient avaient des amis tutsis, ils avaient des Tutsis dans la famille. Dans la commémoration aujourd’hui, on ne comprend pas ça. On parle toujours de l’idéologie du génocide, que vraiment c’était contre la haine contre les Tutsis ce qui s’est passé. C’est vrai qu’il y avait une idéologie du génocide, mais ce n’est pas vrai que tout le monde au Rwanda a accepté cette idéologie.
Est-ce que vous, vous avez l’impression que la justice a été faite sur le génocide ?
Après le génocide, il fallait avoir de la justice parce que ce sont des crimes incompréhensibles. Mais on avait la justice seulement pour le génocide. D’un autre côté, il y avait aussi des crimes. Quand le FPR est venu au Rwanda, ils ont tué pas mal de gens. Ce n’était pas un génocide selon moi, mais quand même ils ont trouvé pas mal de gens qui étaient eux-mêmes innocents. On n’a jamais eu la justice pour ça. Je crois que cela cause des problèmes parce qu’il y a pas mal de gens qui ont commencé même à nier le génocide à cause de leur manque de justice.
Donc vous pensez que ce déni de justice est en train de créer une forme de négationnisme au Rwanda ?
Oui, je crois. Il y a pas mal de gens qui disent : ma famille a été tuée au Congo, ma famille a été tuée en juillet après l’arrivée des FPR [Front patriotique rwandais], et parce qu’il n’y a personne qui est poursuivi pour ces crimes, ils commencent à dire qu’en effet, la justice, c’est quelque chose seulement politisé. Et c’est important de dire qu’il y a pas mal de gens qui étaient accusés et qui étaient des criminels qui ont tué beaucoup de gens dans le génocide, mais quand même il n’y a personne de leur côté des FPR qui ont tué des Hutus. C’est difficile d’avoir la réconciliation quand on ne peut pas parler, ça peut causer la haine.