Si Muséveni se maintient au pouvoir à 71 ans par la force depuis 30 ans, que dire de son homologue camerounais Paul BIYA (83 ans officiel, dont 34 de règne sans partage) qui projette une énième modification constitutionnelle en vue d’anticiper une autre mascarade élection présidentielle, en ayant bien pris le soin de séquestrer ses concurrents potentiels les plus sérieux, dont M. Marafa Hamidou Yaya pour lequel une campagne de libération internationale vient d’être initiée par le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P).
Joël Didier Engo – Président du CL2P
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En Ouganda, la longue dérive autoritaire de Museveni, candidat à sa succession
REPORTAGE – Le chef de l’État est bien décidé à garder le pouvoir qu’il détient depuis 30 ans à l’issue de l’élection présidentielle, ce jeudi.
Envoyée spéciale à Kampala
Comme à chaque période électorale, Robinson Buyuki est venu rendre hommage à son meilleur ami, Waludia Muaud, tombé au combat pendant la guerre civile dont le district du Luweero a été le théâtre dans les années 1980. Il n’y a aucun nom sur la grande dalle qui marque l’une des quelques fosses communes dans lesquelles ont été inhumés les guérilleros ougandais. Seule une simple plaque «en mémoire des combattants de la liberté» indique l’importance de cette stèle, monument aux morts au rabais à la gloire de ceux qui se sont battus pour libérer l’Ouganda.
Debout agrippé au grillage, l’ancien rebelle aux cheveux grisonnants récite une prière dans la chaleur étouffante de l’après-midi. «La lutte continue, le dictateur tombera et ce jour-là, nous aurons cette victoire pour laquelle tu es mort», incante-t-il.
«Le soir, après les combats, il circulait dans le camp pour échanger avec les hommes. Il nous expliquait ses plans. Il ne voulait pas qu’on le suive aveuglément, C’était quelqu’un de bien. Rien ne laissait supposer qu’il nous tournerait le dos ainsi. Mais au final, il n’y a pas eu de démocratie»
Bwanika Absolom, vétéran de la guerre civile ougandaise
Comme Buyuki et Muaud, ils étaient venus par milliers de tout le Luweero, terre broussailleuse et sèche au nord de la capitale Kampala, pour se joindre à l’Armée de résistance nationale et faire tomber Milton Obote, président mal aimé et mal élu en 1980 après la fuite du dictateur Idi Amin Dada. À leur tête, Yoweri Museveni, commandant charismatique et éloquent, parti dans la brousse avec 27 hommes et de vagues idéaux marxistes acquis pendant ses études en Tanzanie. Cinq ans plus tard, il menait une armée à la victoire.
«Le soir, après les combats de la journée, il circulait dans le camp pour échanger avec les hommes. Autour du feu, il nous expliquait ses plans. Il ne voulait pas qu’on le suive aveuglément, raconte Bwanika Absolom, un autre vétéran de la guerre civile. C’était quelqu’un de bien. Rien ne laissait supposer qu’il nous tournerait le dos ainsi. Mais au final, il n’y a pas eu de démocratie.» Car Museveni est devenu ce qu’il combattait: un despote. Trente ans après son accession au pouvoir en 1986 et malgré ses 71 ans, il sera de nouveau candidat à sa propre succession lors de l’élection présidentielle, ce jeudi, pour un cinquième mandat joué d’avance.
«Il a privatisé à tour de bras, liquidé des entreprises publiques, et il est devenu le champion du marché libre, au plus grand plaisir des Américains et des Britanniques»
Mwambutsya Ndebesa, historien ougandais
Museveni a longtemps bénéficié de son aura de libérateur auprès de la population, et conserve aujourd’hui encore un très fort soutien, en particulier dans les milieux ruraux ayant beaucoup souffert des conflits armés. Malgré plusieurs rébellions dans les années 1990, il a su stabiliser le pays sur le plan sécuritaire et économique. Guidé au départ par des principes marxistes, il a brièvement prôné une politique socialiste avant de rentrer dans le rang au début des années 1990, moins à cause de la chute de l’Union soviétique que de l’attrait des fonds internationaux que lui ont fait miroiter le FMI et la Banque mondiale.
«Il a privatisé à tour de bras, liquidé des entreprises publiques, et il est devenu le champion du marché libre, au plus grand plaisir des Américains et des Britanniques, qui le créditent aussi d’avoir convaincu le Rwanda d’adopter l’anglais comme langue nationale au détriment du français», explique l’historien ougandais Mwambutsya Ndebesa. Museveni est ami avec Paul Kagame, l’actuel président rwandais, qui vécut en exil en Ouganda jusqu’à sa prise de pouvoir à la suite du génocide de 1994. Ensemble, ils sont les «freedom fighters», chouchous de l’Administration Clinton et des institutions internationales.
Le marché est libre, mais l’espace politique est restreint. Après son coup d’État, Museveni crée un parti unique pour diriger le pays, le Mouvement de résistance nationale (NRM). La corruption et le népotisme deviennent la norme, et le commandant de brousse prônant une vie frugale devient un leader glouton et avide de richesses. Les membres de son clan se retrouvent à tous les échelons du système, verrouillant ainsi le pouvoir: son fils commande les forces spéciales, tandis que son frère serait le commandant de l’armée de facto. Sa femme, Janet, est ministre, élue au Parlement et cultive un réseau d’influence au sein du NRM.
Kizza Besigye en tête dans les sondages
Pourtant, c’est de ses plus proches et anciens alliés que la contestation de son pouvoir est venue. Le docteur Kizza Besigye, son adversaire donné en tête dans les sondages, a été son médecin personnel pendant la période de la rébellion. «Museveni était vraiment révolutionnaire à l’époque, il voulait faire un nouveau genre de politique, moderne. Il travaillait dur, et nous avons cru en lui. Bref, le contraire d’aujourd’hui», raconte l’opposant dans sa maison de Kampala, un lieu sans luxe ni ostentation.
Après une décennie passée au sommet du pouvoir au côté de son mentor, Besigye a fini par prendre ses distances pour officiellement rompre les rangs en 1999. Les Ougandais le créditent d’avoir forcé la main au NRM, qui a fini par introduire le multipartisme en 2005. Plus jeune, plus accessible et intègre, il a immédiatement su rassembler les déçus du système ainsi que la jeunesse ougandaise, en d’autres termes la majorité de la population.
80% des Ougandais ont moins de 30 ans
Pour les Ougandais, dont 80 % ont moins de 30 ans, Museveni est «le grand-père», un sobriquet mi-affectueux mi-agacé. Le pays, sclérosé par la corruption et l’immobilisme, stagne au plus bas de l’index de développement humain, malgré une population dynamique et créative. Kampala bouillonne d’idées et de jeunes éduqués développant des applications, tel Safe Boda, l’Uber des motos-taxis de la capitale, Fundi Bots qui propose des robots éducatifs pour initier les lycéens aux sciences, ou encore des solutions pour remédier au manque de services publics, tel BarefootLaw, une plateforme virtuelle permettant aux populations défavorisées d’avoir accès à un conseiller juridique.
Avec des amis, Andrew Karagami, 27 ans et avocat de formation, a fondé Black Monday, un mouvement apolitique dénonçant la corruption du système. «L’idée est de rassembler tout le monde, d’être collaboratif au maximum et de sensibiliser les gens», explique-t-il. Les actions de Black Monday sont surtout symboliques, les membres s’habillent en noir le lundi par exemple, leur donnant juste assez de visibilité pour déranger le régime. Karagami a tout de même été arrêté plusieurs fois. «Mais on n’est pas dupe, on sait que le vrai progrès doit passer par un changement politique», dit-il.
Les médias réduits au silence
Ce changement-là, alors que les Ougandais se rendent aux urnes dans un climat de tensions, ce jeudi matin, les derniers mois de la campagne présidentielle n’auront pas permis de l’espérer. Les rassemblements de l’opposition ont été constamment brisés par les forces de sécurité, et les médias ont été réduits au silence. Comble de l’ironie, le NRM n’a cessé d’agiter l’ombre des guerres passées pour avertir la population: votez Museveni ou attendez-vous au pire.
Lundi, alors que Besigye était détenu par la police pendant plusieurs heures, les étudiants de l’université de Kampala venus assister à son rassemblement de campagne ont été arrosés de gaz lacrymogène. «Il y a 30 ans, Museveni et ses hommes avaient notre âge quand ils ont pris le pouvoir. C’est à notre tour! Vive la révolution!», clamait un jeune homme, avant de prendre les jambes à son cou.